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La plupart des personnes en surpoids et souffrant d'obésité se situeraient principalement dans les zones rurales et périurbaines.
La plupart des personnes en surpoids et souffrant d'obésité se situeraient principalement dans les zones rurales et périurbaines.
©REUTERS/Regis Duvignau

Marqueur social

La plupart des personnes en surpoids et souffrant d'obésité se situeraient principalement dans les zones rurales et périurbaines. Et pour cause, loin de tout, la sédentarité est légion tandis que l'usage de la voiture est presque obligatoire.

Réginald Allouche

Réginald Allouche

Réginald Allouche est médecin et ingénieur. Il assure une consultation principalement axée sur le diabète gestationnel, la nutrition et la prévention du diabète de type II.

Son dernier livre publié aux Editions Odile Jacob porte sur ce théme du prédiabète : Du plaisir du sucre au risque du prédiabète, publié chez Odile Jacob.

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Atlantico : Les banlieues et les zones rurales ont tendance à concentrer davantage de personnes en surpoids que les villes. Comment sont liés développement de l'obésité et développement des modes de vie périurbain ?

Réginald Allouche : Il y a effectivement un parallélisme des formes entre le développement du surpoids et de l'obésité avec une forme sociétale de "lutte des classes". Le poids devient de facto un phénomène de classe sociale. En effet, plus les moyens manquent et plus le poids moyen augmente. Ce constat est déjà ancien et ne s'est pas modifié depuis une vingtaine d'années.

On pourrait penser que les efforts sur les prix des produits alimentaires permettraient de mieux se nourrir à un prix plus bas. En fait, on ne se nourrit pas mieux mais plus en quantité à prix égal et ce, avec des produits premier prix qui n'ont parfois pas toutes les qualités nutritionnelles requises. 

Souvenons-nous de ce rapport de 2010 sur les produits "low-cost". Il y était maintenu que les produits low-cost avaient les mêmes valeurs nutritionnelles que les produits de marque. Je me souviens du passage sur les paquets de biscottes suédoises bien connues qui sont à l'origine fabriquées avec de l'huile de colza riche en oméga 3, le produit en marque blanche moins cher est étiqueté simplement : huile végétale. En fait, il s'agit d'huile de palme : huile saturée qui doit être consommée avec parcimonie. En dehors de produits très particuliers, il n'y a aucun mystère, en alimentation comme en automobile, la qualité se paie.

De plus, le manque de moyen pousse les consommateurs à favoriser les huiles saturées plutôt bon marché et les aliments roboratifs comme les féculents. Je ne partage pas les recommandations qui ont la faveur des médias, les féculents sont des sucres cuisinés avec des graisses dans la plupart des cas. Consommer des féculents 2 fois par jour avec des graisses favorise la prise de poids surtout chez des personnes qui ne pratiquent pas d'exercice de manière régulière. Encore aujourd'hui aucune recommandation sur le mode de cuisson ( al dente pour les pâtes par exemple ) afin de ne pas augmenter l'index glycémique n'est donnée. On continue ainsi à favoriser la prise de poids en véhiculant des informations incomplètes. 

J'insiste régulièrement sur l'intérêt des tables d'index glycémiques qui décidément ne seront jamais prises en compte par nos autorités sanitaires européennes. Le mystère demeure.... Il est vrai que le jour où cette donnée sera obligatoire, certaines sociétés de produits céréaliers du petit déjeuner devront changer de mode de fabrication et de communication mais cela n'arrivera sans doute pas...

La consommation de jus de fruits premier prix et de sodas sucrés contribuent également à la prise de poids. Plus d'un jeune sur quatre boit "souvent" des sodas lors des repas, contre seulement un sur six qui dit boire "très souvent" de l'eau.

D'après une étude récente, un quart des personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 1200 euros sont obèses, contre 7 % de celles dont les revenus dépassent 5 300 euros. Une même corrélation est observée avec le niveau d'instruction ou le type de profession.

Revenus < 1200 euros
, 
24,1% d'obésité

Entre 1201 et 2300 euros

 : 17,9%

Entre 2301 et 3800 euros

 : 14,1%

Supérieurs à 3800 euros

 : 8,3%

Pour une population totale

  dont la moyenne est de 15,0%.

Les populations périurbaines sont souvent celles qui ont les revenus les plus faibles, il n'est donc pas surprenant d'y rencontrer le pourcentage d'obèses le plus important.

En quoi les contraintes que ce mode vie implique, notamment en termes de gestion du temps, contribuent-elles au phénomène ?

Il est évident que le temps de transport (auto ou transports en commun) est un temps "mort" pour une personne vivant en banlieue. Il est souvent difficile de faire autre chose que de lire si on a la chance de voyager dans de bonnes conditions de confort. L'activité reine aujourd'hui est de fixer ses écouteurs dans les oreilles et écouter de la musique ou des infos pour se changer les idées. Ce temps de transport est perdu pour l'activité physique. Et je veux ré insister ici, marcher quelques minutes, piétiner debout dans un métro, rejoindre la gare à pied dans le stress du retard n'est pas une activité physique. L'activité physique efficace est une activité d'intensité moyenne mais soutenue, effectuée dans le calme et dans un environnement serein et choisi. Ce n'est pas le cas pendant un transport collectif !

Il est difficile de pratiquer un sport praticable le matin pour les personnes vivant en banlieue, et le soir, il faut préparer le repas, faire les courses, s'occuper de ses proches. On sacrifie toujours l'exercice physique qui n'est jamais mis en avant dans les médias. On y parle de sport et de sportifs de haut niveau sans aucune mesure avec la réalité de la vie en banlieue.

Il y a également la solitude de certaines personnes vivant isolée en campagne ce qui ne favorise pas l'activité physique. L'émulation du groupe est toujours un facteur important de motivation pour bouger et pratiquer un sport.

Qu'est-ce qui dans la façon dont ces zones périurbaines ont été pensées favorise ce phénomène ?

En effet, les banlieues n'ont pas sacrifié à l'unité d'habitation de Le Corbusier qui regroupe dans un même bâtiment tous les équipements collectifs nécessaires à la vie — garderie, laverie, piscine, école, commerces, bibliothèque, lieux de rencontre. Coûteux peut-être mais plus habitable que les barres d'immeuble de certaines banlieues.

Pour des raisons économiques on a préféré une centralisation des équipements sportifs et des commerces. Tout a donc été pensé pour fluidifier la circulation en .... voiture. Ce centralisme est la marque de l'aménagement de notre pays. Le prix à payer est le recours quasi-systématique de la voiture en dehors des grandes villes.  L'irruption, ces 10 dernières années des technologies de communication comme internet augmente encore la sédentarité et particulièrement celles des moins de 25 ans. Ainsi, 61 % des jeunes disent manger au moins une fois sur deux devant un écran, ils sautent souvent des repas, compensent en grignotant. De plus, la consommation d'alcool des 18-24 ans augmente et représente avec le temps un risque d'obésité bien réelle pour ces jeunes adultes.On bouge moins, on se déplace moins. Les médias contribuent également à ce phénomène, il suffit de regarder les infos le soir à la TV. Le message est simple : ne sortez pas de chez vous, avez vous vu ce qui se passe à l'extérieur ? Les faits divers sont systématiquement mis en avant, le moindre jogging dans les bois est maintenant un acte d'héroïsme considéré comme inconscient pour les médias de masse. Pourtant les équipements sportifs de qualité existent, un grand nombre de municipalités ont fait l'effort de construire terrains et piscines. Mais là aussi, la possibilité de s'y rendre reste difficile car les horaires et les conditions d'accès sont bien souvent d'une complexité étonnante. Mais les villes moyennes font de très gros efforts et la situation s'améliore.

Quelles sont les caractéristiques des villes qui a contrario préviennent le surpoids ?

On ne peut pas à proprement parler de ville qui préviennent le surpoids mais paradoxalement, les grandes villes où l'on marche beaucoup sont celles qui semblent les moins "obésogènes". Les exemples comme Paris, New-York, Londres en sont des exemples. Mais là aussi, le revenu par citadin est un facteur important, nous l'avons évoqué plus haut.

Il y a aussi la latitude qui compte, vivre dans le sud de la France est moins "obésogène" que le nord. La ville d'Argenteuil est semble-t-il la ville où l'on compte le plus de personnes en surpoids (55%), Aix en Provence le moins (38%). Par delà la latitude on voit bien là encore l'influence du revenu moyen par habitant. Les villes universitaires semblent être également mieux loties.

L'information est aujourd'hui principalement véhiculée par un écran TV et/ou Internet. Les messages nutritionnels y sont traités souvent de façon confuse et partielles. Les émissions consacrés au "bien manger" sont rares et passent tard dans la soirée. La publicité, elle, est omniprésente et il suffit de la regarder attentivement pour mesurer l'influence importante qu'elle a sur les attitudes alimentaires.

De nombreuses villes parmi lesquelles Strasbourg, Frontignan ou encore La Madeleine proposent  des parcours spécifiques et/ou des séances encadrées d'exercice physique. Ces initiatives vont se multiplier, j'en suis sûr, et je salue ici les élus qui développent ces activités pour le bien de leurs administrés. Pourquoi pas un prix national pour mettre en avant ces initiatives ?

Par ailleurs, quelles différences culturelles entre pays peut-on identifier ?

Il est indéniable que le Canada et les pays scandinaves sont très en avance sur le point de la promotion de l'exercice physique. Les pays anglo-saxons donnent à la pratique scolaire du sport une réelle priorité. Il faut que notre superbe pays se "bouge" pour le plus grand bien des français. 

Ces activités sont moins chères à financer que les conséquences médicales, sociales et économiques du surpoids et des maladies si nombreuses associées.

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