Comment le service public de l’audiovisuel pourra survivre (et pourquoi il le faut)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de loi sur l'audiovisuel va notamment modifier le système de nomination des présidents de chaînes et radios publiques.
Le projet de loi sur l'audiovisuel va notamment modifier le système de nomination des présidents de chaînes et radios publiques.
©Reuters

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Le projet de loi sur l'audiovisuel, dont les débats s'ouvrent à l'Assemblée nationale, a pour ambition de renforcer l'indépendance du CSA vis-à-vis du pouvoir présidentiel afin de donner un nouveau souffle au service public. L'occasion de rappeler la différence entre service public et radiotélévision d'Etat.

Jean-Noël Dibie pour Culture-Tops

Jean-Noël Dibie pour Culture-Tops

Docteur en droit, Jean-Noël Dibie a une très longue expérience de l'audiovisuel et des médias : directeur de la SFP (Société française de production), responsable des affaires européennes à France Télévision, conseiller du directeur général de l'UER (Union européenne de radio-télévision). 

Aujourd’hui consultant, il s’investit dans les activités de recherche, notamment au sein d’EUROVISIONI, et d’enseignement (président du conseil pédagogique de l’EICAR, l’Ecole des métiers du cinéma de l’audiovisuel et des nouveaux médias, et chargé de cours à l’EDHEC).

Jean-Noël Dibie est l'auteur d'un A-book en six parties paru en 2014 sur Atlantico éditions : Communication politique, le plus vieux métier du monde

 

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La télévision installée au centre du clavier esthétique dans la seconde moitié du 20e siècle, demeure le média le plus apte à préserver conjointement les valeurs fondatrices du contrat social et les identités culturelles. Ce faisant ce n’est pas tant l’exception culturelle qu’il faut préserver, mais la diversité culturelle telle que reconnue dans la Convention de l’Unesco, que les Etats-Unis n’ont pas signé…

En Europe, où le «système dual» de la télévision organise la concurrence entre radiodiffuseurs publics et commerciaux, il s’avère que les premiers ont tendance à oublier qu’ils doivent répondre aux attentes du public, de tous les publics, alors que légitimement, les seconds fédèrent les consommateurs autour de consensus mous.

En juillet 2005, Patrick Lelay, président TF1 première chaîne commerciale française, présente ainsi le travail de la chaîne : «Le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit … Ce que nous vendons à Coca Cola c’est du temps de cerveau Humain». Huit ans plus tard, internet étant devenu un outil de communication à vocation commerciale, qui use d’habillages culturels ou sociaux à des fins promotionnelles. Divina Frau-Meigs, sociologue, professeur à Paris III, écrit : « les individus branchés sur Facebook se transforment en temps de cerveau disponible pour la publicité ciblée et très présente ».

Faut-il un service du public de l’audiovisuel ?

La domination exercé par la dynamique marchande sur l’univers éclaté de la communication numérique, plaide en faveur d’un service public de l’audiovisuel ayant vocation à établir avec les téléspectateurs des liens différents de celui qui unit fournisseurs et consommateurs. A cette fin, les opérateurs de ce service public se doivent d’optimiser l’usage qu’ils font des Technologies de l’Information et de la Communication. N’est-ce pas ce qu’ont fait les mécènes et les artisans et du 14ème siècle, lorsqu’ils ont découvert les possibilités ouvertes par  la nouvelle technique picturale de l’huile ?

Les principaux opérateurs européens de télévision de service public ont déjà élargit leur diffusion. Ce faisant ils se sont conformés aux orientations données par  Commission européenne qui, dans sa communication du 17 octobre 2001, inclue la technologie et les services de la Société de l’Information dans le champ du service public de la radiodiffusion. Les plus dynamiques offrent, parallèlement à leurs chaînes hertziennes numériques, des programmes et des services complémentaires adaptés aux réseaux à large bande et aux mobiles.

Y-a-t-il encore un financement pour la production d’œuvres audiovisuelles ?

Des tuyaux sans contenus n’ont pas de raison d’être. Elargir la diffusion n’est pas suffisant, il faut aussi produire des œuvres audiovisuelles. Dés 1994, Rupert Murdoch, affirmait: « C’est le contenu du programme qui sera le plus important ». Depuis, les opérateurs de tuyaux n’ont de cesse d’accéder aux catalogues de programmes et les industries de programmes multiplient leurs efforts pour d’élargir leurs offres. Il faut des ressources pour produire des œuvres audiovisuels, qui jusqu’alors ont été financées essentiellement par les radiodiffuseurs. Or ceux-ci voient leurs ressources menacées par la confusion des marchés publicitaires de la télévision et des offres en ligne. 

Les opérateurs du web collectent de la publicité au détriment des chaînes commerciales en clair. Les opérateurs de services à péage en ligne, facturés au forfait ou à l’acte, concurrencent les chaines cryptées premium qui voient se réduire leurs recettes d’abonnements.

En outre, les opérateurs de ces nouvelles plateformes, bénéficiaires de ces transferts de ressources, affectent à la production d’œuvres audiovisuelles un très faible pourcentage de leurs produits d’exploitation. Alors que les capacités d’investissement des radiodiffuseurs se réduit comme peau de chagrin, le modèle économique de l’audiovisuel numérique, fondée sur la valorisation des contenants, les tuyaux, par les contenus, les programmes, est encore en devenir. Sans ressources, aucun opérateur n’est en mesure de résister à la pression croissante d’offres standards mondialisées installant une culture de masse, qui est en occident dominée par la production américaine.

Les producteurs américains, riches d’expériences acquises dans le cinéma et la télévision, ont trouvé dans les nouvelles plateformes des Technologies de l’Information et de la Communication des instruments d’influence et des vecteurs de profits. D’ailleurs, les activités audiovisuelles constituent le premier poste de la balance commerciale américaine, devant l’aéronautique.

Un financement adapté à la mission d’un service public de l’audiovisuel

En Europe, considérant l’étroitesse des marchés et l’environnement hyper concurrentiel de l’audiovisuel numérique, il s’avère impossible de dégager suffisamment de ressources commerciales pour financer conjointement des opérateurs commerciaux et un service public de l’audiovisuel. Or, faute d’un tel service public, la production d’œuvres audiovisuelle va vite s’étioler, avec pour corollaire l’effacement de la diversité culturelle, qui participe de la richesse européenne. Le service public de l’audiovisuel, nécessaire à la survie, plus encore qu’au rayonnement des cultures européennes, doit être doté de moyens suffisants et pérennes, adaptés à sa mission. Faute de capacité du marché, son financement repose sur une ressource publique, l’expérience plaidant en faveur d’une redevance audiovisuelle indexée.

L’opérateur d’un service public, ainsi doté, va devoir gérer au mieux cet argent public afin d’optimiser ses investissements dans la production. A cette fin, il lui est, notamment, possible d’ajouter une corde à son arc : celle d’éditeur de programmes audiovisuels, intermédiaire entre les téléspectateurs et les auteurs, l’œuvre audiovisuelle étant le plus souvent collective. Un radiodiffuseur / éditeur, va tout naturellement investir dans la production de programmes conformes à son image et à sa ligne éditoriale. C’est déjà ce que font la BBC en Angleterre ou la Rai en Italie qui, diffusant plusieurs chaînes identifiées par leurs programmes, ont une dynamique comparable à celle d’un groupe d’édition rassemblant des éditeurs ayant chacun des lignes éditoriales propres. En France, un effet pervers de la politique de soutien au développement de l’industrie de programme fait que le radiodiffuseur n’est pas identifié comme l’éditeur des programmes qu’ils diffusent, y compris des œuvres originales dont il a l’initiative. Une réforme s’impose, mais, sans attendre, France télévisions peut se positionner éditeur de programmes, en adoptant une stratégie de marque pour le groupe et pour chacune de ses chaînes.

En Europe et en France, il n’est plus temps d’instruire le procès du service public de l’audiovisuel. Or, l’actuelle situation de crise est exploitée par ceux qui, louant les vertus de l’internet champion de la libéré l’expression après avoir plaidé pour le tout marché, entretiennent la confusion entre service public de l’audiovisuel et radiotélévision d’Etat. Marginaliser, pire supprimer, le service public de l’audiovisuel, c’est accepter que la communication audiovisuelle ne soit plus que support de publicité, outil de commerce électronique, ou, pire, instrument de propagande manipulé par les extrémistes de tout bord.

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