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Comment la mise sous tutelle par l'Etat de certains territoires pourrait contribuer à lutter contre la ghettoïsation
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Bonnes feuilles

Amine El Khatmi publie "Combats pour la France" aux éditions Fayard. L’auteur nous parle de cette France qui souffre, s’abîme et menace de faire sécession, pendant qu’une partie de la gauche se vautre dans le déni. Amine El Khatmi évoque aussi le génie de notre devise républicaine. Extrait 1/2.

Amine El Khatmi

Amine El Khatmi

Amine El Khatmi est militant politique depuis l’âge de 15 ans. Élu municipal socialiste d’Avignon entre 2014 et 2020, il a présidé de 2016 à 2023 le Printemps Républicain. Il est l’auteur de plusieurs essais : Non, je ne me tairai plus publié en 2017 aux éditions Lattès, Combats pour la France en 2019 chez Fayard, Printemps Républicain publié aux éditions de l’Observatoire en 2021 et Cynisme, dérives et trahisons chez Harper Collins en 2024.

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Et maintenant que tous ces constats sont dressés, que faire ? Nous venons de le voir, la situation est à ce point gangrenée dans certains territoires, les pratiques antirépublicaines tellement ancrées dans certains quartiers, pratiques et situations niées ou minimisées par des discours politiques, médiatiques ou universitaires irresponsables, qu’il va falloir frapper un grand coup. Je ne crois plus aux  demi‑mesures. Face à certains élus locaux corrompus, face à ceux qui ont pactisé avec les voyous, les salafistes et les représentants communautaires, face à ceux pour qui l’idéal républicain ne vaut plus rien quand approche une élection, lorsque Juifs, femmes ou homosexuels sont contraints d’éviter ou de quitter certains territoires, c’est à la république de reprendre la main. Fermement. Ainsi, je propose la mise sous tutelle par l’État de certains territoires et quartiers rongés par la violence et le communautarisme. Ce dispositif existe déjà pour les collectivités rencontrant de graves difficultés dans l’exécution de leur budget ; ce sont alors les préfets et leurs équipes qui prennent la main pour une période donnée, le temps de redresser les comptes et de prendre les décisions qui s’imposent pour remettre la collectivité à flot. Ce qui est possible pour les budgets doit l’être pour les principes républicains. Il reviendra le moment venu au législateur de définir une liste de critères pré‑ cis, pouvant par exemple être liés au taux de pauvreté, au décrochage scolaire, à la délinquance, aux agressions antisémites ou homophobes, permettant ainsi la mise sous tutelle républicaine d’un territoire, tutelle qui sera proposée et motivée par les préfets, puis prononcée en conseil des ministres, évitant ainsi les abus et assurant à cette mesure de garder son caractère exceptionnel. J’entends déjà certains de mes collègues élus hurler au déni de démocratie, au diktat de l’État sur les collectivités locales, à la tyrannie des préfets et des énarques contre la légitimité du suffrage universel ; qu’ils restent fidèles aux principes républicains et ils n’auront rien à craindre. Mais ceux qui depuis des années se vautrent dans le clientélisme, comme à Bagnolet ou Bobigny, doivent savoir que le temps de l’impunité est révolu ! Qu’ils continuent à se fourvoyer, et la république les rattrapera ! 

Je crois d’autant plus à l’utilité de cette mesure, car je sais que préfets et fonctionnaires se moquent bien de leur popularité et du calendrier électoral et sont, dans bien des cas, les seuls à pouvoir assumer les décisions les plus urgentes et les plus impopulaires. 

Mais la réponse ne saurait être que dans la contrainte. Je n’oublie pas Thomas Urdy et les milliers d’élus locaux de banlieues, majoritaires j’en suis convaincu, qui s’investissent avec passion et sincérité dans leur mandat et qui se sentent parfois délaissés par l’État. Pas plus que je n’oublie les habitants de nos quartiers populaires, et notamment les plus jeunes, qui constituent l’un des plus grands défis pour notre pays. Pour eux, la réponse doit être aussi forte qu’ambitieuse ! 

Les jugements portés sur la politique de la ville sont souvent aussi excessifs que caricaturaux : combien de fois  ai‑je entendu, dans des réunions, des élus du rassemblement national pérorer avec des airs de sachants sur les « milliards déversés en vain », « l’achat de la paix sociale » à coups de « politique des grands frères » ? En réalité, les moyens accordés à ces quartiers sont relativement modestes, y compris en cumulant les crédits spécifiques ou les personnels supplémentaires qui y sont mobilisés. De même, la réalité de ces quartiers est bien plus complexe et plus diverse que ce que l’opinion publique en retient parfois, notamment en raison de représentations caricaturales et polémiques, qui vont des «  no‑go zones » décrites comme des  coupe‑gorge par les uns à une vision mièvre et enchantée du dynamisme d’une jeunesse présentée comme « une chance pour la France » par des acteurs politiques et associatifs qui, au prétexte louable de refuser toute stigmatisation, versent dans une démagogie certaine. Qu’ils soient excessivement pessimistes ou exagérément flatteurs, les portraits des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QpV) oublient presque toujours de différencier les territoires de leurs habitants, négligeant de ce fait un facteur décisif pour juger de l’évolution de ces quartiers : la mobilité, à la fois sociale et territoriale. Accueillant une forte proportion de jeunes ménages d’origine étrangère, notamment en  Île‑de‑France, qui abrite 40 % des immigrés, les QpV sont pour beaucoup un point de départ, une première étape dans la vie ; 12 % des ménages quittent ces quartiers chaque année, ce qui correspond à la moyenne nationale en termes de mobilité. Le problème, c’est qu’ils sont systématiquement remplacés par des ménages pauvres. C’est là la principale explication de la stagnation des quartiers, en dépit des moyens publics mobilisés. 

Une étude réalisée en octobre  2018 par le commissariat général à l’égalité des territoires le révélait crûment : sur la centaine de territoires identifiés en 1977 comme présentant un cumul de handicaps, 90 % sont encore en géographie prioritaire aujourd’hui. Pire, estiment les auteurs de l’étude, la moitié de ces territoires présentent des facteurs d’enfermement et de décrochage, qu’il s’agisse des résultats scolaires, des indicateurs de pauvreté ou encore de la délinquance. Même si nul ne sait ce que ces quartiers seraient devenus sans la politique de la ville, la persistance des handicaps, voire, dans plusieurs cas, l’aggravation des difficultés, explique largement la lassitude et l’abattement des habitants ; plus encore,  l’incapacité des pouvoirs publics à transformer la donne en profondeur entretient un sentiment d’impuissance qui tourne vite à la colère contre des promesses régulièrement renouvelées et jamais vraiment tenues. Plus que sur n’importe quel autre terrain, la fatalité des « quartiers » signe l’échec du politique à améliorer la vie des gens et à agir concrètement sur le réel. Comment s’étonner dès lors que leurs habitants se détournent massivement des urnes et considèrent les politiques comme de beaux parleurs incompétents, des vendeurs de rêves qu’ils sont bien incapables de transformer en réalités, quand ils ne se mettent pas  eux‑mêmes à entériner l’enfermement communautaire, par un clientélisme inspiré d’arrière‑pensées électorales ? Comment ne pas donner crédit à tous ces jeunes qui, sans tomber dans un discours victimaire militant, ont parfois le sentiment de ne pas être traités comme les autres, de partir dans la vie avec des handicaps plus lourds et des obstacles plus grands ? Il faut tendre l’oreille à ces inquiétudes et leur apporter des réponses. 

Le constat est sans appel ; les pouvoirs publics n’ont pas été en mesure de renverser la vapeur ni de lutter efficacement contre les deux fléaux structurels des quartiers populaires que sont la pauvreté et l’insécurité. La pauvreté d’abord : là où le taux de pauvreté, selon la définition qu’en retient l’Insee, est de 14 % pour l’ensemble du territoire national, il s’élève à plus de 37 % dans les quartiers populaires, ce qui signifie que plus d’une famille sur trois y vit avec moins de 1 000 € par mois. Et encore ce chiffre  masque‑t‑il des situations bien plus dramatiques : ainsi le taux de pauvreté dans les QpV de la région Occitanie dépasse les 48 %, culminant à 68 % dans le quartier de Pissevin‑Valdegour, à Nîmes. Des situations analogues se rencontrent dans les  Hauts‑de‑France, en région parisienne ou dans le Grand Est. Ce sont des familles entières qui tirent tous leurs revenus des prestations sociales et dans lesquelles, sur deux ou trois générations, aucun membre n’a occupé un emploi stable. Cette pauvreté a de nombreuses répercussions sur le plan sanitaire mais aussi éducatif : globalement, le différentiel de réussite au brevet est de l’ordre de 10 points par rapport à la moyenne nationale. À Grigny, dans le département de l’Essonne, le taux de réussite au bac stagne autour de 50 %, lorsqu’il dépasse largement 80 % au niveau national. Le deuxième fléau structurel des quartiers est l’insécurité. Si l’opinion publique retient surtout les images d’émeutes, comme celles de novembre 2005, et les « traditionnelles » voitures brûlées du 31 décembre, c’est principalement l’insécurité du quotidien qui pourrit la vie des habitants des quartiers populaires. En 2018, 26 % des habitants de ces quartiers disaient se sentir en insécurité, contre 10 % pour les habitants  hors QpV.

L’enquête de victimation réalisée chaque année par le ministère de l’Intérieur, qui a pour objectif d’évaluer et de décrire les infractions dont sont victimes ménages et individus, révèle en outre qu’ils sont deux fois plus exposés à des actes de vandalisme contre leur logement (4,4 % contre 2,1 %) ou contre leur véhicule (9,6 % contre 4,9 %) que dans les autres territoires. Cela explique que 19 % des habitants des QpV disent avoir renoncé au moins une fois dans l’année à sortir de chez eux pour des raisons de sécurité, contre 10 % ailleurs, et que 25 % d’entre eux considèrent que la délinquance est le problème le plus important dans leur territoire, quand ils ne sont que 9 %  hors QpV. Cela démontre à quel point est décalé le discours de minimisation de cette insécurité tenu au sein d’une partie de la gauche et assez répandu dans la presse, au nom du refus de la stigmatisation. Être de gauche, vouloir défendre les classes populaires, c’est aussi assumer sans réserve un discours offensif sur l’ordre et la sécurité, et je rejette cette pudeur sur la réalité délinquante des quartiers dictée par l’idée que tout discours sur l’insécurité ferait de vous un cheval de Troie de la droite ou de l’extrême droite. La réalité, c’est que les immigrés et descendants d’immigrés sont les premiers à se plaindre de l’insécurité : 15 % des immigrés (QpV et  hors QpV) et 13 % des descendants d’immigrés considèrent que l’insécurité est le problème numéro 1 de leur quartier. Ils ne sont que 9 % chez les descendants de Français. Voilà un constat que certains « progressistes », ou prétendus tels, seraient bien inspirés de prendre en compte, plutôt que de parler sans cesse à la place des habitants des quartiers populaires, dans lesquels ils ne mettent jamais les pieds ! 

D’autant que deux phénomènes ont aggravé et fait changer de dimension l’insécurité des quartiers : d’une part, la prolifération des armes à feu, donnant lieu, dans le cadre de la lutte pour le contrôle du marché de la drogue, à une exacerbation de la violence et à la multiplication des règlements de comptes à Marseille, en Guadeloupe, à Toulouse et désormais dans des villes qu’on pensait épargnées, comme Nantes. D’autre part, la radicalisation islamiste, qui, si elle ne provoque pas par  elle‑même de comportements délinquants ou criminels dans ces territoires, fait régner un climat de surveillance et de suspicion de plus en plus pesant, provoquant la fuite des ménages les mieux insérés – y compris les familles musulmanes qui redoutent l’embrigadement de leurs enfants  –  et organisant une ghettoïsation par la normalisation des pratiques vestimentaires et la pénétration dans le maigre tissu commercial, comme cela s’est produit à Trappes par exemple. C’est ainsi que la ghettoïsation sociale déjà à l’œuvre depuis bien longtemps, et à laquelle les pouvoirs publics n’ont pas su remédier, s’est peu à peu transformée en une ghettoïsation  ethno‑religieuse, créant les conditions favorables à l’instauration d’une forme de société parallèle vivant selon ses propres codes. Une entente discrète, tacite la plupart du temps, explicite quelquefois, permet aux trafiquants de drogue et aux prédicateurs religieux de se partager le travail, les uns ayant besoin d’un havre pour le business, les autres pour contrôler les âmes. 

Avoir laissé de tels ghettos se constituer est une immense tache d’infamie pour la république. Malgré leurs excès ou, pour certaines, leurs  arrière‑pensées, les associations de terrain n’ont pas tort d’affirmer que les pouvoirs publics n’ont pas tiré les leçons des émeutes de 2005 et ont laissé la situation se dégrader. De comités interministériels en plans d’action, l’on a surtout habillé l’impuissance, et pire, l’indifférence publique, par des artifices de communication et un saupoudrage de moyens à mille lieues des enjeux. D’autant que, pendant ce temps, une vaste réforme technocratique à finalité essentiellement budgétaire, la RGPP (révision générale des politiques publiques) et sa déclinaison territoriale, la RéATE (réforme de l’administration territoriale de l’État), entraînait une désorganisation et une érosion des moyens sans précédent dont les quartiers prioritaires allaient être les premières victimes. Car non contente de casser des administrations de terrain pour produire des fusions bureaucratiques entre services, entraînant une perte de compétences hautement préjudiciable à l’État, la RéATE s’est surtout traduite par une réduction des postes très significative sur le plan national : 80 000 postes supprimés dans l’Éducation nationale, 13 000 dans la police et la gendarmerie, durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Les quartiers populaires ont été heurtés de plein fouet par cette politique : territoires de première affectation des jeunes fonctionnaires, ils ont été les premiers à subir le tarissement des sorties d’école. Si l’on ajoute à cela le fait que cette politique a été conduite au moment où la crise financière de 2008 aggravait considérablement la situation des ménages des quartiers populaires, on comprend vite pourquoi non seulement la situation des quartiers ne s’est pas stabilisée, mais s’est profondément détériorée depuis dix ans. Le thème du désengagement de l’État n’est donc pas un mythe, mais une réalité matérialisée par une moindre présence de terrain.

Extrait du livre d’Amine El Khatmi, "Combats pour la France", publié aux éditions Fayard 

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