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Commémoration de l’abolition de l’esclavage : quand la Manif pour Tous en profite pour dénoncer une autre forme de traite moderne… la GPA
©Reuters

Loi Taubira

Les commémorations nationales en mémoire de l'abolition de l'esclavage ont lieu ce mardi 10 mai. Mais cette année, un autre esclavage est mis en avant par la Manif pour Tous et groupes affiliés : celui des ventres. L'abolition est-elle à géométrie variable ?

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : Le 10 mai est la "Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions", mise en place en 2006. Les mouvements autour de la Manif pour Tous (Alliance Vita) profitent cette année de l'occasion pour dénoncer l'esclavage moderne que représente pour eux la GPA. Pourquoi cette comparaison vous semble-t-elle justifiée ?

Aude MirkovicC’est hélas plus qu’une comparaison. La GPA ne ressemble pas à l’esclavage, c’est bien l’esclavage moderne qui se dissimule sous le sigle aseptisé de GPA. Ce n’est pas facile à réaliser car nous avons de l’esclavage une idée à l’ancienne, où l’esclave figurait dans le patrimoine du maître. Le code pénal français a été modifié en 2013 en vue précisément de tenir compte des nouvelles formes de traite des êtres humains et le nouvel article 224-1 A intègre, enfin, la réduction en esclavage telle que déjà définie par la première convention de Genève en 1926 comme le fait d'exercer à l'encontre d'une personne l'un des attributs du droit de propriété. Rappelons les attributs, bien connus, du propriétaire : usus, fructus et abusus. Disposer (abusus) de la femme n’est d’aucune utilité pour les clients de la GPA qui se contentent de l’usus, utiliser la femme : son corps est mis à contribution et à disposition 24 heures sur 24. La prestation qu’elle fournit comporte autant de mesures attentatoires à la liberté que de clauses au contrat. Quant à son consentement réel ou supposé, il importe peu car le droit n’accorde pas de validité à un prétendu consentement à des traitements inhumains et dégradants. Les nouvelles formes de traite des êtres humains incluent ainsi les conditions de travail ou d'hébergement contraires à la dignité, alors même que les personnes ainsi exploitées peuvent être consentantes voire même satisfaites de leur sort. L’esclavage volontaire est sans doute le plus perfide, car la victime ne se plaint pas.

C’est encore plus évident s’agissant des enfants. Qu’est-ce qui caractérise l’humanité, sinon que l’être humain n’est pas un objet et qu’aucun être humain n’est propriétaire d’un autre être humain ? Or, le contrat de GPA fait de l’enfant un bien dont les contractants disposent entre eux, le plus souvent moyennant rémunération. Cette fois-ci c’est bien l’abusus, le pouvoir de disposer, que les protagonistes exercent sur l’enfant. Et, quand bien même la GPA pourrait intervenir à titre non rémunéré, elle reviendrait encore à traiter l’enfant comme un objet car on ne saurait non plus donner un être humain. Vendre et acheter, tout comme donner, sont des prorogatives de propriétaires. La GPA organise ainsi l’exercice de l’un des attributs du droit de propriété, à l’encontre tant de la femme que de l’enfant. Les bonnes intentions ne changent pas,hélas,la réalité.

Ce nouvel esclavage est ainsi d’autant plus dangereux qu’il est enrobé de bons sentiments et promu à grand renfort de clichés de bébés souriants dans les bras de leurs acheteurs. Lorsque la Manif pour tous ou le CORP dénoncent le nouvel esclavage de la GPA, ce n’est pas une façon de parler médiatique ou politique, c’est la réalité, rien d’autre. Heureusement qu’il y a encore en France (et ailleurs) des personnes capables de se mobiliser contre cela. 

Comment fonctionne aujourd'hui ce "trafic humain", et pourquoi prospère-t-il, même en France où il est interdit ? 

Il fonctionne très bien car les gens sont prêts à tout pour avoir un enfant : le désir et l’affection promise à l’enfant occultent ce que la GPA lui fait subir. Par ailleurs, ce marché de la procréation rapporte gros précisément car les gens sont prêts à tout et, en particulier, à payer.Mais si ce trafic prospère en  France, c’est en raison de la complaisance de la justice qui ferme les yeux sur la GPA et valide les violations des droits des femmes et des enfants qui en résultent. Il manque une réaction ferme et décidée des pouvoirs publics pour mettre fin à ces pratiques. On a l’impression que les juges sont paralysés. Au lieu de combattre cette nouvelle forme de traite, ils l’entérinent et stérilisent ainsi la prohibition légale, privant femmes et enfants de la protection qu’elle a pour but de leur assurer. 

Le Premier ministre Manuel Valls semble avoir entériné l'idée qu'il ne fallait pas laisser cette pratique se développer : "La France entend promouvoir une initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des pays qui l’interdisent." Pensez-vous que nous avancions vers une abolition de ces pratiques ?

Il y a en effet de belles paroles pour condamner ce nouvel esclavage de la GPA. Lorsque Manuel Valls parle de « pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes », il décrit assez bien la GPA. En attendant, des sociétés étrangères organisent en toute impunité leurs réunions de promotion de la GPA en France et des plaintes déposées contre elles, par l’association Juristes pour l’enfance notamment,ont été classées sans suite. Les sites internet d’annonces en vue de la GPA pullulent. Ils ont été signalés aux instances de lutte contre les sites à contenus illicites, sans le moindre effet. A l’échelon international, même inertie du gouvernement qui n’a rien initié, contrairement à ce qui a été annoncé il y a plus d’un an. On a le sentiment que, si l’esclavage à l’ancienne existait encore aujourd'hui, notre société serait complètement incapable de l’abolir, en se laissant embobiner par les fausses bonnes raisons : ne vaut-il pas mieux un esclavage encadré par la loi pour éviter les excès et préserver les esclaves des mauvais traitements ? Ou encore, on feindrait de croire que les esclaves sont satisfaits de leur sort : logés, nourris, soignés, ce qui vaut toujours mieux que de mourir de faim etc.

Heureusement, des initiatives à visée internationale en vue de l’abolition de la GPA ont été initiées, par exemple, autour de la pétition No Maternity trafic adressée au Conseil de l’Europe par un collectif d’associations nationales et européennes,l’Union Internationale pour l’abolition de la gestation pour autrui. C’est également l’objectif du mouvement lancé par des personnalités et visant à l’arrêt immédiat de la GPA, Stop surrogacynow ! Mais ce sont des initiatives de la société civile. On dirait que le sort des femmes et des enfants dépend de la mobilisation des citoyens car les pouvoirs publics sont comme tétanisés. Au lieu de se reposer sur les lauriers des générations passées qui ont en leur temps aboli l’esclavage, notre époque ne doit-elle pas au contraire se montrer à la hauteur de cet héritage et combattre l’esclavage qui renaît sous d’anciennes et nouvelles formes ? Cela signifie, entre autres, non seulement de condamner la GPA avec des mots mais aussi de la combattre avec des faits, jusqu’à son éradication.

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