Colère des agriculteurs : à quel point importons-nous des produits qui ne respectent pas les normes françaises ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme brandit un drapeau français devant un tracteur alors que les agriculteurs participent à une journée nationale d'actions et de barrages routiers, à Agen, le 25 janvier 2024.
Une femme brandit un drapeau français devant un tracteur alors que les agriculteurs participent à une journée nationale d'actions et de barrages routiers, à Agen, le 25 janvier 2024.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Importations

La réalité est infiniment plus complexe que ce que l’on entend à tout bout de champ dans le débat public et de chaque bord de l’échiquier politique.

Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau est professeur d'économie à AgroParisTech et travaille sur les questions de commerce international dans le domaine de l'agriculture et de l'environnement. Il est chercheur associé au CEPII.

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Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Atlantico : Les agriculteurs français sont en colère. Ils s’agacent de l’importation de nombreux produits alimentaires qui ne respecteraient pas les normes hexagonales. Peut-on vraiment dire, comme c’est souvent affirmé en ce moment, que les traités de libre-échange ne sont pas négociés autour de ces mêmes normes ? Le respect de celle-ci n’est-il pas compris dans les accords finaux ?

Jean-Luc Demarty : Il faut tout d’abord rappeler que l’ensemble des produits commercialisés dans l’Union européenne, ce qui inclut les produits issus des secteurs agricole et agroalimentaire, doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires en vigueur dans l’UE. N’est tolérée aucune exception, qu’il s’agisse de produits originaires de pays membres de l’Union ou de pays tiers. 

Il va de soi que, au moment de la négociation, ces éléments sont abordés. Nos partenaires savent précisément qu’il faut respecter ces normes, qui doivent être compatibles avec les principes établis par l'accord mulilatéral sanitaire et phytosanitaire de l'OMC. En outre, il nous est tout à fait possible, à condition de faire preuve d’une certaine forme de rationalité, de durcir nos normes après la conclusion des accords en vertu du principe de précaution qui est acté dans nos accords, ce qui est souvent ignoré. C'est le cas par exemple de l'interdiction de l'usage des hormones qui n'est jamais négociable.

S’il fallait résumer le propos en une seule phrase, nous pourrions dire que le respect des normes sanitaires et phytosanitaires est compris dans les accords finaux que nous signons avec nos partenaires.

André Heitz : M. Jean-Luc Demarty a répondu de manière magistrale, avec une expertise de première main, à cette question dans « Crise dans l’agriculture : la redoutable schizophrénie française » et « Le libre-échange a-t-il vraiment tué l’agriculture française (et aggravé la crise climatique) ? » 

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Il va de soi – malgré les discours ambiants fondés, soit sur une méconnaissance des règles et des usages en matière de négociations commerciales, soit sur une mauvaise foi politicienne cyniquement assumée (l'un n'empêchant pas l'autre) – que les négociateurs s'attachent à obtenir le meilleur résultat global en évitant les désastres sectoriels. 

M. Jean-Luc Demarty nous rapporte que nos négociateurs y sont plutôt bien parvenus, pour l'Europe, l'agriculture française ayant plongé dans le marasme, et ce, pour des causes internes. 

Mais absence de désastre ne signifie pas nécessairement absence d'effets négatifs. Il faudrait donc vérifier l'état de la situation accord par accord et filière par filière.

La question posée est intéressante ! Les accords sont négociés sur la base des normes européennes, et non des « normes hexagonales » qui auraient été créées par le génie législatif et réglementaire français de toutes pièces ou par surtransposition de normes européennes. 

Ce qui est incorporé dans les accords finaux, ce sont les normes à la date de la fin des travaux. 

Mais les meilleurs précautions n'empêchent pas les « accidents », à l'image des découpes de volailles ukrainiennes évoquées dans un des articles cités ci-dessus.

Que prévoient les traités de libre-échange en matière de respect des normes alimentaires ? Outre la théorie, comment se passe la pratique ?

Jean-Christophe Bureau : Les accords de libre échange de l'UE depuis le début des années 2000 ont des volets sanitaires, sociaux et environnementaux. D'une manière générale, ces volets prennent de plus en plus de place (en nombre de pages) dans les accords mais sont de fait assez peu efficaces car difficiles à contrôler. Sur le plan de l'environnement, ils sont rédigés de manière assez générale et ne contenant pas réellement de clauses concrètes susceptibles de faire l'objet de restrictions. Sur le plan alimentaire, ils permettent d'interdire l'entrée de produits dangereux, si ceux-ci ont été jugés comme tels par des instances internationales (du type Codex Alimentarius). Ceci donne une protection du consommateur relativement efficace. Par contre sur des questions controversées mais non prouvées scientifiquement, comme les OGM, l'utilisation d'hormones ou de méthodes de production qui n'ont pas été déclarées dangereuses explicitement, ces accords ne permettent pas vraiment de protéger le producteur européen de la concurrence de biens importés produits sous d'autres normes.

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Récemment, l'UE a pris des mesures unilatérales, avec des "clauses miroir". Par exemple, il n'est plus possible d'importer des viandes produites avec des antibiotiques interdits par l'UE depuis 2022. Ou du bœuf produit avec des hormones de croissance comme qui sont généralisées aux USA mais interdites dans l'UE. Néanmoins à ce stade il s'agit de mesures encore limitées à quelques produits. D'une part, il n'est pas facile de mettre en place ces clauses miroir sur un plan technique: par exemple, on ne peut pas déceler l'utilisation d'une hormone utilisée aux USA pour la production laitière dans les fromages, alors que les producteurs européens ne peuvent pas l'utiliser. Et d'autre part il y a des pressions diplomatiques et commerciales très fortes contre ces clauses miroir de la part des USA, de la Chine, du Brésil, de l'Indonésie. Or les Etats membres n'ont pas toujours envie de fâcher un potentiel client pour leurs Mercedes ou leur Rafale...

Peut-on dire de la raquette, en matière d’importation alimentaire, qu’elle est trouée et que les griefs de nos agriculteurs sont, pour partie au moins, fondés ?

Jean-Luc Demarty : Il est vrai que nous ne pouvons pas exercer un contrôle entier ou parfait. Il n’est tout simplement pas possible de contrôler l’intégralité des produits qui passent notre frontière, ce qui signifie en effet qu’il peut exister des trous dans la raquette. Ceci étant dit, il faut bien réaliser que les produits mis en vente sur le marché intérieur européen subissent de très nombreux contrôles et que la vente d’un produit jugé non conforme constitue une prise de risque importante, aussi bien pour l’importateur que pour l’utilisateur qui transforme le produit en question. Si les autorités constatent une récurrence, elles sont en mesure d’interdire l’importation du produit en question. C’est déjà arrivé par le passé, en raison d’une suspicion légitime sur la qualité de tel ou tel produit. Bien sûr, la situation est différente quand on fait face à un accident, qui concerne un produit isolé et qu’il ne s’agit donc pas nécessairement d’un problème généralisé. On pourrait ainsi citer le cas de la volaille brésilienne, qui a été interdite pour ces mêmes raisons.

Il ne s’agit pas de dire, évidemment, qu’il n’existe jamais de problème d’exécution. Toutes les politiques publiques font, hélas, l’objet d’erreurs occasionnelles et de fraudes potentielles. Mais il va de soi que tenter le diable peut s’avérer onéreux pour les importateurs, si ceux-ci sont effectivement contrôlés. D’une façon générale, il faut bien le reconnaître, la majorité des produits que l’on importe ne sont pas de mauvaise qualité. Quelques-uns sont même de très haute qualité, puisque le marché européen bénéficie d’un pouvoir d’achat assez élevé. Pour l’essentiel, il s’agit de produits de qualité standard, qui sont contrôlés aux frontières par des vétérinaires notamment quand on parle de viandes ou de volailles. Il revient à chaque Etat membre de l’Union de réaliser ces contrôles, qui ne dépendent donc pas d’une administration européenne.

Nous ne contrôlons pas, une fois encore, 100% des produits qui passent nos frontières. Mais ce n’est pas nécessaire : ce serait inutilement coûteux. Il suffit, pour déceler l’essentiel des dangers, de contrôler un échantillon significatif des biens importés et de le faire de façon aléatoire, de sorte à repérer les problèmes systémiques.

André Heitz : On entre ici – aussi – dans la question du commerce intracommunautaire. Il y a sans aucun doute des « trous dans la raquette », des situations de concurrence objectivement ou subjectivement défavorable, voire déloyale. 

D'une manière générale, les secteurs des fruits et légumes sont plus sensibles aux différences – selon le cas aux distorsions – en matière de climat, de normes économiques et sociales, et de normes environnementales. 

Mais est-il suffisant de se lamenter ? Il faudrait procéder à un sérieux examen de conscience, parce que nous – tant les instances décisionnelles que les acteurs économiques – n'avons pas toujours pris les mesures nécessaires. Ou, inversement, nous avons consciemment ou non péjoré la situation de nos agriculteurs. L'analyse économique rationelle conduit aussi à admettre que, dans certains cas, notre intérêt bien compris est de profiter de l'avantage compétitif du partenaire commercial. Sans oublier les considérations géopolitiques. 

Ainsi, lorsque – répondant à des déclarations intempestives et irréfléchies du président de la République – on a restreint les usages du glyphosate aux seules situations où il était difficilement dispensable (en pérorant sur l'extraordinaire exploit de la réduction de son usage), on a créé une situation de concurrence faussée pour un très grand nombre d'agriculteurs par rapport à leurs collègues des autres États membres. 

Notre activisme anti-néonicotinoïdes, répondant à des campagnes de dénigrement très largement infondées, a fait le bonheur des producteurs de sucre de canne lorsque nous avons interdit l'enrobage des semences de betteraves. Et, en interdisant tous les néonicotinoïdes en France, nous avons pénalisé les producteurs français par rapport à leurs collègues européens qui peuvent encore utiliser l'acétamipride en traitements foliaires. 

Il y a bien les fameuses « clauses miroir ». Meilleure élève de la classe européenne, la France a interdit en 2016 le diméthoate sur cerises (avant d'« exporter » sa décision à Bruxelles) et a aussi interdit les importations de cerises en provenance de pays où cette substance très utile dans la lutte contre la Drosophila suzukii est autorisé. Résultat : elle a malmené la filière cerises française, pénalisée encore davantage par les pertes de rendement et les conditions socio-économiques. 

La production de tomates au Maroc illustre les enjeux géostratégiques : c'est d'une certaine manière un échange à bénéfices mutuels tomates contre blé. Ce serait une erreur gravissime que de réduire nos importations de tomates et de céder notre marché d'exportation de blé à quelqu'un qui ne nous veut pas du bien. 

On peut aussi évoquer les haricots prêts à cuire ou les roses du Kenya : ils offrent des emplois à de nombreuses femmes, leur permettent d'envoyer leurs enfants à l'école et contribuent pas seulement financièrement au développement du pays. 

Gardons nous donc, en conclusion, d'adopter une vision trop étroite des relations commerciales internationales et de leurs effets sur l'agriculture française. 

Où se situe la responsabilité des pouvoirs publics en matière d’importation (et tout particulièrement alimentaire) ? Quid des importateurs eux-mêmes ?

Jean-Christophe Bureau : Les importateurs sont soumis à des exigences de qualité sanitaire, par exemple des Limites Maximales de Résidus (MRL en anglais) pour les substances dangereuses. Mais les contrôles aux frontières sont très partiels. Ils sont aussi assez exclusivement sur l'aspect santé humaine. Il est frappant de voir le nombre de maladies et ravageurs des végétaux qui sont importées, et qui imposent un coût à notre agriculture, nos forêts, notre biodiversité.

Il y a une auto-régulation des distributeurs qui font très attention à la qualité sanitaire de ce qu'ils achètent... car ils ne veulent pas de procès. C'est une mesure efficace lorsque la santé des consommateurs est à risque, y compris bactériologique. Mais sur les normes de fabrication différentes qui ne se voient pas dans la qualité finale (conditions sociales, environnementales, bien-être animal, etc.), les producteurs européens sont un peu laissés face à une concurrence assez déloyale.

Dans quelle mesure peut-on défendre l’idée que les grandes exploitations produiraient des produits moins sains que les petites exploitations ? Ne sont-elles pas soumises à des contrôles qualités plus rigoureux ? Comment s’assurer, par exemple, que l’encre utilisée sur l’emballage d’un yaourt produit dans une enseigne très locale, n’a pas contaminé le produit final ?

Jean-Luc Demarty : Il n’y a pas de raison de penser que, par nature, les grandes exploitations produisent des produits moins sains que les petites exploitations. Il est vrai que les premières sont généralement plus contrôlées que les secondes. D’une façon générale, les produits issus de l’industrie agroalimentaire sont généralement plus sécurisés, sur le plan sanitaire, que ceux issus d’une production indépendante ; exception faite, bien sûr, de certains accidents bien connus. Les cas de fromages contaminés au listeria, alors qu’ils viennent directement de la ferme, existent aussi. Pour éviter ce type de risques, il faut être équipé de matériel de qualité et faire très attention, ce qui peut s’avérer difficile pour de petites exploitations ; quand bien même il existe évidemment des enseignes qui produisent des aliments d’une qualité très nettement supérieure à ce que l’on trouve en général, notamment sur le plan gustatif. Il est plus complexe de produire un bien particulièrement bon en très grande quantité que de le faire en petite quantité. Mais ces exploitations-là ne sont pas les plus représentatives.

D’une façon générale, j’aurais tendance à dire que la qualité des produits s’accroît, à la fois dans les grandes et dans les petites exploitations.

Les industries agroalimentaires, quand elles importent des produits qu’elles comptent transformer, doivent faire très attention à la qualité agricole et sanitaire de ceux-ci et, pour l’essentiel, elles travaillent avec des produits locaux quand elles le peuvent. Les matières premières utilisées, puisqu’elles sont elles aussi des produits alimentaires, sont contrôlés de la même façon que les autres produits alimentaires qui entrent en France et sont soumises aux mêmes normes.

André Heitz : Cette idée est indéfendable. 

Les grandes exploitations livrent préférentiellement à la filière agroalimentaire, laquelle est outillée pour assurer la qualité sanitaire des produits livrés aux consommateurs. Les petites exploitations sont aussi performantes lorsqu'elles allient compétence, savoir faire, soin et matériel adéquat. Cela n'empêche évidemment pas les accidents, ni les malversations, dont les médias se font généralement les choux gras, mais différentiellement. 

Notons que la dernière crise sanitaire de taille a été en Europe celle des graines germées de fenugrec bio en mai-juin 2011. Due à E. coli souche O104:H4, elle a affecté près de 4.000 personnes, dont certaines maintenant dialysées à vie, et fait 53 morts, essentiellement en Allemagne. Nombre de médias français ont du reste arrêté de rapporter le nombre de décès quand les concombres espagnols ont été mis hors de cause et que les suspicions se sont reportées sur un produit bio. 

On entre ici aussi dans la question des pesticides et des effets sur la santé de leurs résidus dans les aliments. Une question qui fait l'objet d'une désinformation faramineuse. 

D'aucuns s'imaginent que l'on pourrait protéger nos marchés en imposant des conditions drastiques à leur emploi, ce qui, soit dit en passant, implique la reconnaissance de leur rôle dans une production performante (reconnaissance oubliée quand on fait la promotion du bio...). 

Les données colligées annuellement par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) montrent que près de 60 % des échantillons analysés dans le programme coordonné ne présentent pas de résidus de pesticides à des niveaux quantifiables. Près de 2 % dépassent les limites maximales de résidus, sans que cela implique une préoccupation pour la santé des consommateurs. 

Dans les programmes nationaux libres, qui ciblent plus particulièrement les situations à risques, les dépassements montent à près de 4 %, toujours sans susciter de préoccupations. Les dépassements sur les produits de pays tiers sont alors beaucoup plus élevés (de l'ordre de 10 %, souvent sur des produits et origines spécifiques), mais pour des raisons diverses : le pesticide n'est pas approuvé dans l'Union Européenne, en général ou pour le produit alimentaire en cause, et il n'y a pas de tolérance à l'importation ; les préconisations d'emploi n'ont pas été respectées ; ou encore, des traitements ont été appliqués lors de la transformation pour réduire les contaminations bactériennes. 

L’espérance de vie des Français a récemment atteint un record. Faut-il penser, au regard des données sanitaires, que l’on court un si grand danger du fait de notre alimentation ?

Jean-Luc Demarty : Nous l’avons déjà dit tout-à-l’heure, mais il est indéniable que la qualité globale des produits s’améliore en France. Sur le plan gustatif, c’est évidemment discutable, mais il n’y a pas de doute à avoir sur le plan sanitaire. Il suffit de jeter un œil aux chiffres : dans les années 1950, on comptait environ 4000 morts par an en raison d'intoxications alimentaires, en France. C’est devenu très rare aujourd’hui.

André Heitz : Clairement, notre alimentation est intrinsèquement bien plus saine que par le passé et elle contribue à notre espérance de vie. S'il y a malbouffe, c'est essentiellement par choix personnel. 

L'agitation autour des pesticides mériterait une analyse détaillée tant sur la réalité des faits que sur les intérêts promus par cette agitation. 

Personnellement, entre le risque hypothétique d'un pesticide et le risque réel d'une intoxication prévenue par la recherche de la meilleure qualité sanitaire, le choix est fait. Plutôt le résidu en quantité infime que l'aflatoxine. Mais l'affaire du pain maudit de Pont-Saint-Esprit est si loin (1951)... Alors on fait peur avec une exposition au glyphosate de l'ordre du microgramme quand la dose journalière admissible – établie de manière très, très sécuritaire – est de 30 milligrammes pour une petite personne de 60 kilos (0,5 mg/kg poids corporel – 1,75 mg/kg aux États-Unis). 

Un certain nombre de figures politiques, y compris à droite, martèlent l’idée qu’il faudrait empêcher les produits n’étant pas aux normes d’arriver en France. Que répondre à de tels arguments ?

Jean-Christophe Bureau :  C'est un argument très ancien des syndicats agricoles et tout particulièrement de la Confédération Paysanne qui est plutôt un syndicat de gauche. Il a beaucoup de sens car si les normes alimentaires permettent d'empêcher les produits réellement dangereux pour le consommateur, elles ne permettent pas de combler le déficit de compétitivité qui vient de méthodes de production différentes.

Mais conditionner par des clauses miroir les importations au respect de production européenne, comme on le vient de le faire par exemple en interdisant l'entrée de produits qui proviennent de zones déforestées n'est pas simple à vérifier. C'est aussi s'exposer à ce que les autres pays mettent en place des obstacles: la France n'est pas indemne de toute maladie d'élevage et des pays étrangers se sont servis de cet argument pour interdire nos produits. 

La question est ici plutôt de mettre fin à une certaine naïveté de l'UE: par exemple nous importons beaucoup de miel chinois qui est "frelaté" dans le sens où il est mélangé avec des sirops de glucose. La dessus les contrôles paraissent déficients. Or la Chine a longtemps interdit (et peut être le fait elle toujours) les importations de miel français avec des motifs sanitaires largement fallacieux (la présence en France de spores de "loque américaine" une bactérie inoffensive pour l'homme et... présente en Chine !!!).

Jean-Luc Demarty : Votre question porte sur deux sujets distincts. D’une part, elle soulève celui des normes sanitaires et phytosanitaires, qui doivent évidemment être respectées par l’ensemble des produits qui passent les frontières de l’Europe. Ce n’est pas une condition dont on peut débattre, en soi. Nous pouvons discuter de la qualité des contrôles, de comment les améliorer, mais pas de la nature même de l’objectif. Bien sûr, la situation n’est pas absolument parfaite ou idéale, nous l’avons déjà dit. 

L’autre question que cela soulève, c’est celle des techniques de productions, que l’on cherche notamment à verrouiller à l’aide de clauses-miroirs. Une clause-miroir, concrètement, vise à contraindre un pays importateur avec qui l’on a signé un accord préalable à assurer la production des biens importés en faisant appel aux mêmes techniques que celles utilisées dans l’Union européenne (en matière environnementale liée au bien-être animal que de l’usage de pesticide, par exemple). Les clauses miroirs sont très difficiles à négocier lorsque les produits concernés font l'objet de restrictions à l'importation par des contingents tarifaires restrictifs, ce qui est généralement le cas des produits les plus sensibles comme les viandes. Il est alors difficile de demander à nos partenaires de s'aligner complètement sur nos techniques de production. Il pourrait en être autrement en matière environnementale liée à la lutte contre le changement climatique. S'il est demandé à nos agriculteurs de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en les faisant rentrer dans le régime du marché du carbone, il sera justifié d'appliquer aux produits importés des pays tiers le mécanisme d'ajustement carbone à la frontière (MACF), déjà décidé pour certains produits industriels. Rappelons également que l'importation des produits issus de la déforestation sera interdite. Ceci étant dit, il faut bien réaliser que l’usage ou l’interdiction de pesticide constitue aussi une réponse aux conditions climatiques des pays où sont produits les biens en question. Il ne sera pas possible d’organiser des clauses-miroirs systématiques entre deux nations dont les réalités climatiques diffèrent grandement. Rappelons que les produits contenant des pesticides interdits en Europe ne peuvent entrer sur le marché européen s'ils dépassent la limite de détection, généralement infinitésimale.

Plus généralement le problème principal de l'agriculture française aujourd'hui est la forte dégradation de sa compétitivité par rapport à celle des autres pays européens. Cela résulte de l'application de normes souvent inutilement plus contraignantes que les normes européennes ou bien de normes franco-françaises souvent peu justifiées. En outre quand la France s'en tient strictement aux normes européennes dont le principe est souvent justifié, elle a un talent exceptionnel pour les transformer en délire bureaucratique. Je vous invite à lire les règles françaises de rétablissement ou d'entretien des haies ou de curage des fossés qui sont réellement kafkaiennes. On est dans la logique où des fonctionnaires, souvent citadins, donnent des leçons d'agriculture. Les autorisations des nouvelles installations d'élevage ou de méthanisation de taille économique compétitive sont très difficiles à obtenir et sont systématiquement contestées devant les tribunaux, souvent avec succès, par certaines ONG environnementales qui donnent également des leçons d'agriculture.

Enfin l'agriculture française est également négativement impactée par certaines décisions économiques de portée générale, comme les désastreuses 35 h qui ont généré un déficit commercial structurel de 60 à 100 milliards d'EUROS depuis 20 ans et ont fait stagner l'excédent commercial agro-alimentaire français traditionnel. Sur la même période la balance commerciale de l'UE, y compris dans sa partie agro-alimentaire, a une santé insolente en amélioration constante.

André Heitz : C'est de la démagogie. Ce que l'on entend par là, c'est la fermeture de la frontière à certains produits, le cas échéant de certaines provenances (puisque les produits trouvés non conformes aux règles sanitaires au stade de l'importation ne sont pas admis dans les circuits commerciaux). 

C'est déjà une question communautaire et non française sur le plan décisionnel. 

Quant à durcir les conditions, on imagine aisément les problèmes de séparation des filières, les contrôles (qui, certes, créent des emplois, mais peu productifs). Et aussi les embarras politiques et économiques (mesures de rétorsion par exemple). 

Cela ne résoudra pas notre problème principal, la compétitivité par rapport aux autres États membres de l'Union Européenne et ne fera pas revenir des productions que nous avons tuées ou asphyxiées par notre propre incurie.

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