"Choose France..." Emmanuel Macron se félicite d'un afflux d'argent étranger mais ne propose rien pour réveiller l'épargne française<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors du septième Sommet "Choose France", qui vise à attirer les investisseurs étrangers dans le pays, au château de Versailles, le 13 mai 2024.
Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors du septième Sommet "Choose France", qui vise à attirer les investisseurs étrangers dans le pays, au château de Versailles, le 13 mai 2024.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Atlantico business

Plus de 56 projets signés pour 15 milliards d'investissements étrangers en France, Emmanuel Macron s'en est félicité, mais cela ne dit rien de la stratégie globale, et surtout rien sur les dégâts collatéraux.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les chiffres qui portent sur les investissements étrangers en France sont toujours impressionnants quand ils sont dévoilés par le président de la République. 15 milliards d'euros cette année, ce n'est pas rien, et de commenter en prime le défilé d'investisseurs venant d'Amérique ou d'ailleurs qui ont choisi l'hexagone... C'est d'un chic... d'autant que tout cela se passe à Versailles, un peu comme au temps de Louis XIV quand Colbert , recevait les amis du roi qui apportaient leurs oboles …  

Colbert organisait ainsi la rencontre entre fournisseurs et prestataires les plus riches et le roi. Il inventait le colbertisme.

Chaque année maintenant, depuis qu'il est arrivé aux affaires, le président cède à cette habitude de recevoir les grands patrons des multinationales. Alors, au tout début de son mandat, il organisait cette rencontre quelques jours avant ou après Davos, qui se tient en général la dernière semaine de janvier... parce que c'était plus commode, il offrait une escale un peu festive aux dirigeants du monde. Mais depuis quelques temps, il a changé un peu l'habitude, peut-être pour mieux coller au calendrier politique. 

Toujours est-il qu'hier, le président n'a pas manqué son effet. Pour les 180 patrons étrangers, Versailles est toujours très marquant, et avec 56 décisions d'investissements pour 15 milliards d'euros, le bilan n'est pas mauvais. 

Encore meilleur que l'an dernier, c'est d'ailleurs le bilan que EY, la société de conseil d'entreprises et de comptabilité, a livré il y a quelques semaines, en indiquant que la France restait un pôle d'attraction pour les industriels étrangers, avec sa situation géographique, sa façade côtière, la qualité de vie, les équipements sociaux, les moyens de communication et la pertinence de ses grandes écoles, sans parler de la stabilité de la fiscalité des entreprises et la générosité du crédit emploi-recherche.

Ce "Choose France" 2024, à la veille des Jeux olympiques et surtout des élections européennes, a donné l'occasion au président de s'auto-célébrer en apportant la preuve de l'efficacité du système français et de vanter son dynamisme pour répondre aux enjeux actuels que sont la réindustrialisation, la décarbonation et l'intelligence artificielle. 

En bref, la France serait branchée comme personne d'autre sur les moteurs de la croissance moderne . Qu'il y ait une intention politique à l'appui de cette communication, c'est une évidence, sauf qu'elle reflète aussi une réalité que l'opinion publique ne perçoit pas. 

Toutes les études en profondeur auprès des investisseurs ou des visiteurs étrangers indiquent qu'ils perçoivent une image de la France et de son fonctionnement bien meilleure et plus efficace que ce que perçoivent les Français eux-mêmes. Les investisseurs étrangers considèrent par exemple que les services publics et sociaux sont des facteurs d'attractivité très forts et citent en exemple la qualité de l'enseignement ou du système de santé. L'opinion publique française, elle, considère que l'école publique ne fonctionne pas bien et que l'hôpital ne fonctionne plus. 

Les mêmes investisseurs étrangers estiment que l'appartenance à l'Union européenne, l'adhésion à une monnaie unique, l'euro, offrent des avantages importants, alors que les Français eux-mêmes formulent beaucoup de critiques à l'égard de l'appareil européen. Ce qui est troublant d'ailleurs, c'est que beaucoup de courants politiques, à droite comme à gauche, utilisent cette situation, mais n'ont pas pour autant de propositions alternatives à l'Union européenne. Très peu de responsables politiques aujourd'hui réclament une sortie de l'euro et de l'Union européenne. 

Il y a donc un fossé entre ce que ressentent les étrangers et ce que vivent les Français eux-mêmes. C'est ce décalage-là que l'exécutif veut réduire afin de stabiliser la situation politique. 

L'afflux d'investisseurs étrangers peut impressionner l'opinion publique et changer en partie le regard porté sur la politique pro-business menée par Emmanuel Macron, mais appelle trois séries de remarques : 

La première est qu'il faut relativiser cette attractivité. Une entreprise comme Microsoft annonce un gros projet en France portant sur 4 milliards, alors que le montant investi en Allemagne avoisine les 40 milliards, soit dix fois plus. Amazon est dans la même situation. McCain, premier fabricant mondial de frites, annonce un plan de modernisation de 350 millions, mais McCain se rapproche aux quatre coins du monde de ses clients et notamment du premier de ses clients qui est McDonald's. 

La deuxième remarque porte sur le déficit de main-d'œuvre disponible. Le gros point de blocage en France à l'attractivité se situe au niveau de la main-d'œuvre qualifiée. Tous les secteurs fléchés dans la stratégie de réindustrialisation, à savoir les industries vertes, la décarbonation, la construction, l'agroalimentaire, sont des secteurs en tension. Situation qui porte sur la question de l'enseignement, de la formation et du logement. 

La troisième remarque porte sur le financement des investissements et pose le problème de l'épargne française. Les investisseurs étrangers ont les moyens de financer des opportunités de développement. L'épargne française est impossible à mobiliser. Elle reste figée dans des comptes réglementés, livrets d'épargne qui restent, quoi qu'on dise, très liquides et disponibles, et qui ne s'investissent pas dans l'industrie ou les services économiques. L'épargnant français, dont le taux d'épargne est l'un des plus importants du monde, marque une préférence pour une épargne de précaution. 

Ce qui signifie deux choses : 

- D'une part, l'épargnant n'a sans doute pas confiance dans les potentialités du système français ou dans la capacité des gouvernants. 

- D'autre part, cela signifie aussi qu'il n'y a pas d'outils suffisamment attractifs pour flécher des épargnes vers l'industrie. 

Alors Bercy travaille sur cette question, mais on ne peut pas dire que le pouvoir politique soit décidé à donner une impulsion fiscale, par exemple, à ce type de fléchage. Emmanuel Macron n'en a guère parlé. La réforme des retraites aurait été une bonne occasion de sortir des produits de capitalisations, mais on les a visiblement oubliés. 

Les investisseurs étrangers nous sont donc très utiles. Ils ont néanmoins deux inconvénients : 

- D'une part, ils prennent le pouvoir là où ils investissent. 

- D'autre part, ils travaillent pour le long terme, c'est-à-dire qu'avec les revenus de ces investissements, ils vont alimenter les fonds de pensions retraite des épargnants étrangers qui ont financé l'apport. 

On en arrive à ce paradoxe agaçant à savoir que l'investissement étranger crée de l'activité et des emplois en France, mais en même temps, ils dégagent des marges qui vont financer les retraites futures mais hors de France. 

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