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Ce qui se cache derrière le retrait surprise des troupes russes de Syrie
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Vladimir "Underwoodovitch" Poutine

"Les militaires russes ont accompli leur mission en Syrie et inversé la tendance dans la lutte contre le terrorisme international," a annoncé le Président Russe le 14 mars au soir. Le retrait des troupes russes, au delà de son côté profondément surprenant nourrit probablement un objectif : celui de désarçonner Bachar el-Assad, un allié parfois trop peu conciliant.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Vladimir Poutine a annoncé le 14 mars au soir le retrait des troupes russes de la Syrie. Que faut-il voir derrière cette annonce ? Quels en sont les motifs ?

Alain Rodier :Il semble que cela soit un coup de bluff mené par Vladimir Poutine. Il est essentiel de ré-étudier dans le détail la déclaration exacte et en vérifier la traduction. Le Président Russe ne parle pas, a priori, d'un retrait complet des forces aériennes, mais d'un retrait « de la majeure partie de nos contingents militaires ». Restera un site de « maintenance de vols », vraisemblablement sur la base de Hmeimim. Tout est affaire de proportions et du temps que mettront ses forces à se retirer. Si Vladimir Poutine retire que quelques appareils sur la cinquantaine (sans compter les 30 hélicoptères) qui y est déployée, cela n'aura pas d'impact.

Ce coup de bluff vise le plus vraisemblablement Bachar el-Assad. Vladimir Poutine souhaite le rendre plus conciliant, lui et son clan, dans le cadre des négociations qui sont d'ores et déjà engagées. Rappelons-nous que le Président Poutine nous a toujours habitué aux opérations surprises… C'était le cas en Crimée, mais il a également réussi à faire retirer les armes chimiques de l'arsenal guerrier syrien. Si l'intervention Russe en Syrie était déjà plus repérable, elle est restée tout de même une surprise. Par conséquent, il apparaît évident que c'est dans les manières de procéder de Vladimir Poutine. Il se comporte à la hussarde et souhaite certainement faire pression sur le gouvernement de Bachar el-Assad et sur son clan. Les rumeurs font état depuis un certain temps d’un rafraîchissement des relations entre les deux hommes.

Cela étant, le Président Syrien n'est pas la seule et unique cible de ce geste : Vladimir Poutine envoie également un signal aux Occidentaux et à l’Iran. Il souhaite sans doute dire qu'il est prêt à négocier et qu'il n'est pas marié avec Bachar el-Assad. Néanmoins, les deux grandes puissances concernées par la situation dans la région, les Etats-Unis et la Russie, n'ont aucun intérêt à ce que le régime en place à Damas s'effondre brutalement car cela pourrait permettre aux salafistes-djihadistes d’arriver au pouvoir. Cela ne signifierait qu'une intensification de la guerre civile.

Quelques heures après l'annonce du Président Russe, il est toujours aussi difficile de prévoir l'avenir. Il sera essentiel d'examiner de très près le cheminement des négociations actuellement en cours ; en espérant qu'elles connaîtront une meilleure issue que celles de février. Il semble que Vladimir Poutine a joué un de ses atouts, mais la balle est désormais dans le camp de Bachar el-Assad, dont nous attendons de savoir s'il acceptera de suivre la direction russe. S'il ne le fait pas, le problème sera d'autant plus réel que Poutine s'est quasiment engagé à retirer ses troupes par le biais d'une telle déclaration. Restons, toutefois, extrêmement prudents : il ne semble pas que cela soit véritablement sa volonté. J'ai même ouï-dire que le seul porte-avion dont il dispose, l'Amiral Kouznetsov, devrait rejoindre les côtes syriennes cet été.  Il n'est donc pas impossible que Vladimir Poutine replie des avions au sol pour déployer, en avance, son porte-avion. Sur le plan militaire, plusieurs options sont possibles. Je suis persuadé qu'il s'agit avant tout d'un coup politique.

Quel bilan peut-on dresser de l'opération Russe en Syrie, jusqu'à présent ? En un sens, un départ de Vladimir Poutine et de ses troupes serait-il opportun, actuellement ?

Non. Ce n'est absolument pas le bon moment. Dans un premier temps les forces russes ont permis de bloquer l'offensive d'Al-Nosra, qui avait pris la province d'Idlib. Le front menaçait Lattaquié, berceau du régime. La situation de celui-ci était véritablement chaotique à l'été de l'année dernière. L'intervention russe l’a littéralement sauvé. La chute de Lattaquié aurait annoncé la fin proche de Damas.

Dans un deuxième temps, cette intervention russe a permis au régime de reprendre l'offensive, comme nous l'avons constaté à Alep, ou les forces de Bachar el-Assad ont réussi à couper la liaison vers le nord avec la Turquie (elle est toujours possible via la province d’Idlib à l’ouest). Il menace de reprendre Palmyre dans les semaines à venir et une offensive s'est déclenchée – peut-être une opération de diversion – vers Raqqa, la « capitale » de l’ « Etat » islamique. Il s’agit d’une tactique de « grignotage » de terrain qui n’aurait pas été possible sans l'intervention russe. 

Clairement, jusqu'à maintenant, c'est un sans-faute qu'a mené Vladimir Poutine. Ceci étant, se retirer totalement maintenant ternirait une victoire militaire indéniable, puisque cela relèverait de la défaite politique. 

Au vu et au su de ce bilan, des négociations en cours, quelle réaction peut-on attendre de Bachar el-Assad ?

Il est susceptible de réagir, certes, mais il n'a que peu de choix. Le Président Syrien est bien conscient qu'un retrait russe amorcerait rapidement (pas immédiatement, mais au bout de quelques semaines ou quelques mois) un retour à la situation catastrophique de juillet/août 2015. Très vite, il serait de nouveau en position de perdre la guerre. Bachar el-Assad – et par extension son clan – fera sûrement savoir son mécontentement, râlera sans doute, mais il a plus qu'intérêt à filer doux. Il ne peut faire autrement qu’accepter ou brûler ses vaisseaux. Maintenant, il reste à voir ce que va décider Téhéran qui avait vu son influence diminuer en Syrie au profit des Russes.

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