Amour, gloire et beauté
Les candidats en campagne ? De véritables cœurs d’artichaut...
Guy Carlier dresse un portrait impertinent de la classe politique durant la dernière campagne présidentielle, dénonçant la démagogie des promesses de certains, aussi vite reniées après l'élection. Extraits de "Journal de curées de campagne" (2/2).
Je t’aime… C’est fou comme les candidats à la présidentielle nous disent qu’ils nous aiment en ce moment. Ils aiment tout le monde. Le matin ils aiment les ouvriers dans une aciérie, l’après-midi ils aiment les patrons dans une réunion de chefs d’entreprise. Ils aiment les ouvriers, les agents de maîtrise, les cadres, les petits commerçants, les caissières des grandes surfaces, les agriculteurs, les vaches des agriculteurs, les intellos, les prolos, les nantis, les jeunes et les immigrés, euh non, pas les jeunes ni les immigrés, ils ne votent pas, mais, quoi qu’il en soit, les candidats à la présidentielle sont de véritables cœurs d’artichaut.
Pourtant, vous savez bien que, la plupart du temps, lorsqu’on vous dit je t’aime, ce n’est pas d’l’amour. C’est du désir, c’est juste le besoin de séduire, c’est une envie de faire l’amour, de prendre du plaisir. Les candidats à la présidentielle nous disent Je t’aime mais nous on n’ose plus dire Je t’aime, parce qu’on s’est trop souvent fait avoir. On n’y croit plus…
Tiens, prenez Nicolas Sarkozy, il y a cinq ans, il nous avait déjà dit Je t’aime avec une telle force qu’on avait fini par le croire et qu’on avait cédé à ses avances. Eh bien, le soir même où on lui a dit « Bon ben, nous aussi, Nicolas, on t’aime », il nous trompait sans vergogne au Fouquet’s avec ses vieilles maîtresses, en plus des personnes de mauvaise vie, les habitués d’un claque qui s’appelle le CAC 40. À peine lui avait-on dit Je t’aime à Nicolas Sarkozy qu’il abandonnait le domicile conjugal pour partir en croisière sur le yacht d’une de ces personnes, pendant cinq ans, il n’a fait l’amour qu’avec elles, et le voilà, aujourd’hui, qui revient tout penaud nous dire qu’il regrette ses erreurs du passé, mais qu’il nous aime toujours.
Comme dans la chanson Ne me quitte pas de Jacques Brel, Sarkozy nous dit « Il faut oublier, tout peut s’oublier… Oublier le temps desmalentendus ». Et puis il nous fait de belles phrases, il dit qu’il nous offrira « des perles de pluie, venues de pays où il nepleut pas »… Enfin lui, il ne le dit pas comme ça, il dit « Moi je t’offrirai des jobs en CDI venus d’un pays où y’a pas d’emplois… » C’est joli, mais c’est juste des mots, les jobs en CDI, c’est comme les perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas, ça n’existe pas. Il nous dit aussi : « Je t’inventerai des mots insensés que tucomprendras. » Bon, ça, en revanche, c’est déjà fait, quand il a balancé « Casse toi pauv’ con », c’étaient des mots insensés, mais on les a bien compris… Et, enfin, pour nous convaincre de reprendre la vie conjugale malgré le désamour, il dit qu’« il est paraît-il desterres brûlées donnant plus de blé qu’un meilleur avril… ».
François Hollande aussi nous dit qu’il nous aime. On l’a entendu cette semaine à Ajaccio forcer sa voix, comme le lui a suggéré son conseiller en communication, ben oui, parce que, par nature, Hollande n’est pas un violent, du coup les autres le traitent de mou. Alors son staff lui a dit : «François, fais-nous un discours d’homme déterminé », mais comme il n’a pas fait l’Actor’s Studio, il jouait mal, il surjouait la colère, on aurait cru qu’il avait picolé, il braillait tellement qu’on aurait cru Lara Fabian, quand elle hurle : « Je t’aime, je t’aime, comme un fou, comme un soldat, comme une star de cinéma. Je t’aime, je t’aime (…) comme un homme que je ne suis pas, tu vois, je t’aime comme ça. Oui, c’est ça, hier Hollande nous disait : Je t’aime comme une star de cinéma, comme un homme qu’il n’est pas…
Tous nous parlent d’amour, Eva Joly, L’amour est unbouquet de violettes, François Bayrou lui aussi nous chante Ne me quitte pas, il dit : «Je ne vais plus pleurer, je ne vais plus parler, je me cacherai là, à te regarderdanser et sourire, et à t’écouter chanter et puis rire ». Tiens, même Mélenchon, l’autre soir, je le regardais à la télé dans le crépuscule à la Bastille et, en voyant la foule qui agitait les drapeaux rouges du communisme et le drapeau noir de l’anarchie, on pensait encore à Jacques Brel. « Et quand vient le soir, pour qu’un ciel flamboie, le rouge et le noir, ne s’épousent-ils pas ». Écoutez Nicolas Sarkozy, il est prêt à tout pour qu’on lui dise qu’on l’aime. « Laisse-moi devenirl’ombre de ton ombre, l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien, ne me quitte pas, ne me quitte pas ne me quitte pas, ne me quitte… ».
Mais nous, on n’y croit plus, on s’est fait tellement avoir,tiens, souvenez le grand-là, qui nous avait dit Je t’aime en1995 en jurant de réduire la fracture sociale, et qui n’a rienfoutu pendant douze ans, ça on peut dire qu’il nous a bieneus.On sait bien que leurs Je t’aime, c’est juste une envie defaire l’amour, de prendre du plaisir avec nous. Alors quandils nous disent Je t’aime, on a envie de leur répondre commele faisait Gainsbourg que l’amour physique est sans issue.Dorénavant lorsqu’un candidat vous dira « Je t’aime », répondez-lui « Moi non plus ».
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Extrait de "Journal de curées de campagne", Editions du Moment (7 juin 2012)
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