Bitcoin, même pas mal : revue non exhaustive des bêtises lues ces derniers jours sur la monnaie virtuelle<!-- --> | Atlantico.fr
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La valeur moyenne d’un bitcoin, établie par achat à partir de monnaies fiat traditionnelles, n’a cessé de grimper pour passer de quelques cents de dollars en 2010 à près de 1200$ mi-décembre 2013.
La valeur moyenne d’un bitcoin, établie par achat à partir de monnaies fiat traditionnelles, n’a cessé de grimper pour passer de quelques cents de dollars en 2010 à près de 1200$ mi-décembre 2013.
©Reuters

Pignouferies de la presse

Pour Bitcoin, le mois qui vient de s’écouler est intéressant à plus d’un titre : la monnaie numérique a en effet subi différents revers et la façon dont les informations ont été traitées par la presse en dit certainement plus long sur l’avenir de la presse que sur l’avenir de l’innovation monétaire constituée par Bitcoin.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Les lecteurs réguliers savent déjà ce qu’est Bitcoin ; pour les autres, disons de façon fort résumée qu’il s’agit d’une monnaie numérique dont le comportement est entièrement indépendant de toute autorité centrale, et dont la sécurité repose non pas sur la confiance en chacun des participants mais sur des assurances mathématiques (preuves cryptographiques) que les transactions ont bien eu lieu. Cette monnaie a été créée par un certain Satoshi Nakamoto dans le courant de l’année 2008 et implémentée sous forme de programmes informatiques à partir de 2009.

Depuis, l’application pratique n’a cessé de s’étendre avec un nombre croissant de particuliers puis de commerçants et enfin d’entreprises reconnues qui acceptent à présent les bitcoins comme moyen d’échange. Dans le même temps, la valeur moyenne d’un bitcoin, établie par achat à partir de monnaies fiat traditionnelles, n’a cessé de grimper pour passer de quelques cents de dollars en 2010 à près de 1200$ mi-décembre 2013, le tout avec des rebondissements et des variations de valeur parfois violentes ; en mai 2011, la valeur du bitcoin était passée de 4$ à 32$ en moins de trois semaines, pour tomber à 4$ six mois plus tard, avant de regrimper, en mai 2013, à 238$, pour retomber à nouveau vers 107$ dans les mois qui précédèrent la nouvelle envolée qui le propulsa à plus de 1150$. Le bitcoin s’établit actuellement à 628$.



Comme on le voit, il vaut mieux avoir le cœur bien accroché si l’on souhaite rentrer sur le marché bitcoin et y effectuer des opérations de trading comme sur d’autres marchés plus calmes. À ce titre, ceux qui considèrent encore que ces bitcoins ne sont pas à proprement parler une monnaie tant que la volatilité est aussi grande n’ont pas tort : pour le moment, la monnaie numérique ne remplit pas encore son rôle de réserve de valeur.

Et c’est d’autant plus vrai que des événements extérieurs se sont accumulés ces dernières semaines pour accroître encore la violence des mouvements d’un marché à la volatilité d’autant plus grande qu’il est étroit.


Il y a bien sûr eu la fermeture, assez brutale (mais pas du tout imprévisible) de MtGox, une plateforme d’échange qui représentait jusqu’à 15% des transactions mondiales en bitcoins. En substance, les bitcoins stockés par l’entreprise pour le compte de ses clients ont été détournés de façon frauduleuse, laissant MtGox avec un énorme trou de trésorerie qui l’a forcé à la faillite. La fraude s’est basée sur une faille de programmation de la plateforme et non, comme quelques journalistes peu au fait de la technologie, à cause d’une faille intrinsèque au protocole Bitcoin. Journalistes qui, en moyenne, n’ont pas fait plus d’efforts pour se renseigner lorsqu’il aura fallu retranscrire la nouvelle de cette faillite, avec un véritable feu d’artifice d’approximations et d’erreurs dans les médias mainstream.


On découvre ainsi, stupéfait du toupet des scribouillards en charge de l’article, que le bitcoin "s’échange sur des places informatiques échappant à toute réglementation", alors même que ces places de marché sont lourdement suivies par toutes les autorités possibles et imaginables ; actuellement, l’achat de bitcoins sur une telle plateforme d’échanges nécessite au moins autant de paperasserie administrative que sur n’importe quelle banque en ligne, et en tout cas, nettement plus que pour l’achat d’un livre électronique sur Amazon alors que, fondamentalement, il n’y a rien de différent.


L’explosion de n’importe quoi fumant est cependant atteinte avec encore plus de facilité par les pisse-copies ignares de Libération, épave journaliste en attente fiévreuse d’une banqueroute méritée. Dans un article consternant de bêtise issu directement d’une AFP entièrement vendue aux intérêts statolâtres, le problème de MtGox serait exclusivement lié à la fumeuse non-régulation de la monnaie numérique, et la faille observée constituerait "un échec cuisant pour la communauté du bitcoin". L’article, charge grotesque dans son parti pris si caricatural, n’est qu’une succession de témoignages d’analystes financiers obscurs et très manifestement assez peu au fait du marché en question, qui conviennent tous que la fermeture de MtGox constitue un coup très dur et que l’avenir de Bitcoin est très sombre, et pourrait s’achever sur un mouvement de panique comparable à septembre 2008 pour le secteur bancaire, d’autant qu’"avec une baisse de plus de 20%, on s’approche d’un tournant qui pourrait faire dérailler le système dans son ensemble".


Tout ceci, au vu de la résilience du réseau et deux semaines après la fermeture du site, prend un tour presque comique. Des baisses de plus de 20% dans la journée ont déjà été observées sur le marché des bitcoins sans que celui-ci ne disparaisse. Bitcoin est toujours là, les bitcoins s’échangent toujours, et le cours est toujours très supérieur à 500$. MtGox est fermé, mais bitstamp, bitcoin-central fonctionnent toujours et un nombre d’individus toujours plus grand continue obstinément à s’échanger la monnaie numérique.


Et cette réalité agace prodigieusement les autorités. Parce que s’il est facile pour elles de réguler la partie fiat d’un marché des changes "Bitcoin / monnaie étatique", il leur est impossible de réguler l’autre partie et les échanges directs de biens et de services contre les bitcoins. Difficile pour elles de savoir sur qui taper sans mener des enquêtes qui peuvent rapidement s’avérer complexes. Impossible pour elles d’interrompre les échanges, pour les contrôler ou – évidemment – les taxer, sans devoir lourdement intervenir sur l’infrastructure même d’Internet, causant des problèmes collatéraux rapidement prohibitifs.
Pas étonnant, dès lors, de retrouver régulièrement dans la presse des analyses idiotes et des remarques lourdes de sous-entendus sur le mode "Bitcoin, c’est du marché noir, c’est de la fraude, ce sont des pirates qui veulent votre argent" et autres fadaises à base de mots-clefs pourtant sans lien comme pyramide de Ponzi dont le but ultime est essentiellement pour les politiciens au pouvoir d’effrayer le citoyen qui risquerait, s’il se renseignait vraiment, de trouver dans ce système une vraie alternative aux arnaques financières montées par leurs banquiers centraux.


Et c’est tellement vrai, tant pour les politiciens frustrés de ne pouvoir contrôler Bitcoin que pour les journalistes désemparés devant cette nouvelle technologie sans directeur, sans CEO, sans tête bien visible, que des efforts constants sont entrepris pour retrouver le fameux Satoshi Nakamoto, auteur du protocole de base : avoir une tête bien visible serait très pratique pour personnifier (et, le cas échéant, diaboliser) l’invention. Tous les moyens sont donc bons, ce qu’à prouvé récemment Newsweek dans un article tout à fait dans la lignée des ratures journalistiques précédentes, pour, du reste, se planter en beauté (il n’ont pas réussi à attraper le bon Nakamoto).



En pratique, Bitcoin répond simplement au cycle de la mode lorsqu’une invention réellement valable apparaît sur le marché : à une période d’hyper-inflation des espoirs suscités et de la visibilité de la technologie en succède une autre de désenchantement, dans laquelle Bitcoin s’inscrit peut-être actuellement auprès des médias qui, très mal outillés pour comprendre ce type de nouveauté, semblaient en attendre un peu tout et n’importe quoi. Et, probablement parce qu’il est toujours plus facile d’aller dans le sens du courant général que de faire un réel travail d’investigation journalistique, on ne peut pas s’étonner de voir un nombre considérable d’articles réclamer la régulation, ou se réjouir plus ou moins ouvertement des problèmes subis par la monnaie numérique, quand bien même tout montre à présent que ces problèmes sont largement montés en épingle et n’en constituent pas un tournant majeur.


La donne n’a, en effet, pas changé : Bitcoin, en tant que protocole, est toujours là. L’idée même qu’une monnaie électronique permet à des particuliers d’échanger des biens et des services en dehors de toute autorité centralisée, en dehors de tout contrôle par un tiers étatique, cette idée-là est toujours aussi présente et n’est toujours pas battue en brèche. Mieux encore : les récents retournements de situations et la faiblesse globale de leur impact montre l’incroyable résilience du concept, dont les caractéristiques "anti-fragiles", comme l’aime à dire Nassim Taleb dans son dernier livre, permettent d’en améliorer la sécurité et la fiabilité.


Comme je le faisais remarquer il y a quelques mois en pleine "bulle Bitcoin", l’avenir est encore fort incertain pour Bitcoin. Rien ne permet d’affirmer qu’il sera un jour une monnaie majeure et indispensable. Peut-être une autre monnaie apparaîtra. Nul ne sait, même si les récents événements permettent de rester optimiste. Le protocole, en revanche, a montré sa robustesse et son applicabilité à d’autres domaines n’est plus à démontrer. Le même protocole peut en effet être utilisé pour garantir l’échange de propriété, certains types de contrats, et, pourquoi pas, une forme de vote électronique garantissant effectivement les droits des votants, tout en permettant une expression rapide et pratique des votes.


Bien sûr, de même qu’il serait naïf de considérer que les États pourraient réellement empêcher complètement les bitcoins de circuler, il serait tout autant naïf de considérer que ces derniers ne peuvent pas en ralentir l’usage et l’acceptation par le public. Mais, au contraire de ce que semblent penser les politiciens et un paquet de journalistes, tous aussi à la ramasse les uns que les autres, il y a bien plus de risques à essayer de contrôler cette technologie que de l’incorporer proprement dans la société actuelle.

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