Bêtisier diplomatique : quand une bourde stupéfiante jette un froid entre la France et le Maroc <!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration / François Hollande en visite au Maroc.
Photo d'illustration / François Hollande en visite au Maroc.
©Reuters

Panique à bord

Abdellatif El Hammouchi, ou comment un trafiquant de drogue en prison crée une crise diplomatique entre la France et le Maroc avec un téléphone portable et de l'imagination.

Le débarquement d’une escouade de policiers (en gilet pare-balles !) à la résidence de l’ambassadeur du Maroc en France, en quête du chef de la DGST, Abdellatif El Hammouchi, a provoqué une spectaculaire crise diplomatique entre les deux pays. Une juge d’instruction parisienne soupçonne le patron de la lutte antiterroriste au Maroc de "complicité d’actes de torture" et elle ne s’est pas embarrassée du protocole. François Hollande a dû s’excuser auprès du Roi. Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Laurent Fabius en ont fait autant auprès de leurs homologues. En vain. Des milliers de manifestants ont conspué la France et Rabat a suspendu la coopération judiciaire avec Paris. Les magistrats marocains et français détachés dans les ambassades sont depuis au chômage technique. Les détenus qui espéraient un transfert dans leur pays natal pour y purger leur peine attendront.

L’affaire relève du bêtisier diplomatique. Elle est encore plus édifiante quand on connait la personnalité et la trajectoire de l’accusateur. Adil Lamtalsi a été arrêté en 2008 à Tanger et condamné à dix ans de prison ferme par la justice marocaine pour avoir tenté d’expédier à bord d’un petit avion une tonne et demie de cannabis en Europe. Tout un réseau lié à la pègre espagnole tombe alors. A la prison de Sale où il purge une partie de sa peine, Adil Lamtalsi se lie à des islamistes radicaux. Il sympathise avec Fatiha Mejjati, une célèbre "veuve noire". Son mari, Karim Mejatti  était la vedette marocaine du réseau Al Qaida, impliqué dans les attentats de Madrid, de Casablanca et les attaques de Ryad avant que la police saoudienne n’interrompe brutalement sa carrière de terroriste international.

Adil Lamtalsi prétend bientôt que ses aveux lui ont été extorqués. Il a été victime d’un complot policier et il s’agit de médiatiser ce scandale. Lui qui a fait une carrière éphémère de producteur de cinéma ("Nancy et le monstre" est un navet ghanéen datant de 2006) met en scène avec un codétenu des scènes de torture. Elles sont censées se dérouler au centre de la DGST à Tamara mais sont photographiées avec un portable dans les douches de la prison de Salé. On le voit les yeux bandés, le teeshirt tâché d’un liquide rougeâtre, suspendu à une tringle en bois. Le montage n’est pas plus convaincant que les scènes Gore de "Nancy et le monstre". D’autres clichés montrent Adil Lamtalsi avec un bleu au pied, des ecchymoses à l’oreille et même un œil au beurre noir. Interrogés, les gardiens de la prison de Sale affirment qu’ils sont intervenus pour l’empêcher de s’automutiler en se frappant l’œil gauche. Peu importe : Adil Lamtalsi donnera des consignes à sa sœur pour diffuser ces clichés à travers la mouvance salafiste en Europe. D’anciens djihadistes détenus l’aideront dans cette tâche. Elle transmettra aussi ces photos accusatrices à des journalistes ciblés mais ils ne leur accorderont aucun crédit et ne donneront pas suite.

Transféré au printemps 2013 à la prison de Villepinte en Seine Saint Denis pour y purger la fin de sa peine, le trafiquant dépose plainte contre la DGST. La juge Sophie Kheris qui s’est fait connaitre dans les affaires Bettencourt et Karachi est saisie en décembre. Elle sera informée in extremis de la présence du directeur de la DGST à Paris où il accompagnait son ministre à une réunion place Beauvau. Trop tard pour prendre le temps d’appeler le quai d’Orsay, d’en référer au Parquet ou d’informer les magistrats chargés de la coopération entre les deux pays ? Adil Lamtalsi était fait pour le cinéma. Il sait raconter des histoires et il a un talent vraiment stupéfiant pour produire l'évènement.

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