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Mort de Ben Laden : 
le prisme Houellebecq
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La carte et le territoire

Les commentaires sur les grands évènements de l'actualité oscillent toujours entre absurdité et réalité. La mort de Ben Laden, la guerre en Irak ne dérogent pas à cette règle et les argumentaires non fondés vont bon train. Quelles sont les vérités qui entourent ces épisodes de l'Histoire ?

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo est économiste et écrivain, ancien fonctionnaire à la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). Il est diplômé d’économie politique de l’université Johns Hopkins (Baltimore).  Son dernier ouvrage, Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale (L'Harmattan) présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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Rien que pour l’originalité du sujet, la Carte et le Territoire de Michel Houellebecq méritait le prix que l’Académie Goncourt lui décerna en 2010. Il s’agit de l’histoire d’un photographe qui met devant son objectif des cartes géographiques reproduites dans des guides touristiques de la France. Le héros du roman s’amusait donc à observer, non pas le territoire français en tant que tel, mais la façon dont ses confrères représentaient ce territoire.

C’est un exercice de même nature qu’il conviendrait de mener autour d’Oussama Ben Laden. Nous pencher pour une fois, non pas sur le funeste personnage, mais sur les explications, voire les inepties formulées autour de son cas. Poursuivant dans l’analogie avec le roman de Houellebecq, disons que l’heure est venue de mettre devant notre objectif, plutôt que le territoire Ben Laden, les cartes que nos contemporains ont dressées à son égard.

A commencer par les arguments réducteurs avancés dans ce domaine, et en particulier le premier entre tous, à savoir : ce sont les Américains qui avaient construit le monstre en lui donnant des moyens et des renseignements pour qu’il pût combattre les soviétiques en Afghanistan.

Argument fragile pour le moins : les relations entre Ben Laden et la CIA n’ont jamais été prouvées mais simplement martelées avec une insistance pavlovienne dès le lendemain du 11 Septembre.

Admettons cependant que cela soit vrai. Les Etats-Unis n’ont pas à en rougir pour autant. Car pour lancer ses actions terroristes contre l’Amérique, Ben Laden n’aura utilisé, ni l’argent des Etats-Unis, ni les armes ou la technologie que ces derniers auraient pu fournir à l’époque de l’invasion soviétique en Afghanistan. L’argent, Ben Laden en regorgeait de par la fortune familiale. Puis, pour ses attentats contre les Etats-Unis et autres nations, Al-Qaïda a fait recours à des explosifs artisanaux, voire à de simples lames de rasoir. Donc rien de sophistiqué made in USA.

Aussi peut-on affirmer que ce furent les Etats-Unis qui ont utilisé Ben Laden et non l’inverse.

Viennent ensuite les amalgames. Comme à l’époque du fameux « Lyndon Johnson égal Hitler », la fabrique d’amalgames s’est mise à tourner à plein régime pour prétendre que les « crimes » de Bush (guerre d’Irak, Guantanamo) valaient ceux de Ben Laden.

Les relations entre Ben Laden et la CIA n’ont jamais été prouvées

Voyons l’acte d’accusation.

Primo, guerre d’Irak déclarée sans le consentement de l’ONU. A quoi l’on peut répondre que celle du Kosovo ne reçut pas l’onusienne bénédiction non plus.

Secundo, guerre basée sur le mensonge, car on ne trouva pas d’armes de destruction massive. Supposons qu’il s’est effectivement agi d’un mensonge et non pas d’erreurs dans la chaîne des renseignements américains. Qu’est-ce qui est alors plus grave, le mensonge de Bush ou l’indolence d’un Conseil de sécurité de l’ONU qui, par de sordides subterfuges, s’était abstenu de sanctionner les tortures insupportables subies dans les prisons irakiennes et le gazage de Kurdes par Saddam ? Pourquoi ne dénonce-t-on pas pareille indolence avec la même force ?

Tertio, guerre menant au « chaos ». Or, la violence sectaire et l’anarchie n’ont-elles pas radicalement diminué, dès que la stratégie du général Petraeus se substitua à l’impréparation de l’administration Bush au début de l’après Saddam ? Alors, le chaos était-il consubstantiel à la guerre d’Irak, ou aurait-il pu être évité par un programme de redressement institutionnel bien ficelé, comme celui mis en place plus tard ?

Toujours est-il qu’aujourd’hui, alors que des hommes et des femmes se font tuer en Syrie et dans d’autres pays de la région pour le simple motif de réclamer la démocratie, les institutions démocratiques irakiennes voient leur image relevée. Rien d’étonnant que dans son discours sur le Printemps arabe prononcé le 19 mai, le président Obama – pourtant l’anti-Bush par excellence – ait parlé de la « promesse d’une démocratie multiconfessionnelle et multiethnique » que constitue à ses yeux le nouvel Irak.

Des interrogatoires "musclés" qui ont aidé, entre autres, à déceler la cache de Ben Laden

Quant à Guantanamo, notons que, en dépit de ses engagements de campagne, l’actuel président américain n’a toujours pas réussi à mettre en place une alternative efficace. Alors « crime » de Bush ou impératif de la lutte anti-terroriste ?

Ce qui nous amène aux conditions de la mort de Ben Laden.

Nul doute, la capture et l’exécution du plus sanguinaire des terroristes ne se firent pas en stricte conformité avec les conventions internationales en la matière. La même critique, d’ailleurs, est faite à propos des interrogatoires "musclés" qui ont aidé, entre autres, à déceler la cache de Ben Laden. Or, ce conflit entre les conventions en vigueur et les succès de la lutte antiterroriste nous oblige à nous poser des questions sur la nécessité de mettre à jour le droit international. La guerre asymétrique menée par le terrorisme ne peut pas être combattue avec un droit symétrique mais inadapté.

  • Ecrivain et ancien fonctionnaire ONU. Son dernier ouvrage : Ternes Eclats – Dans les coulisses de la Genève internationale (L’Harmattan), présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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