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France, Belgique :
deux systèmes sociaux différents, 
mais un même résultat, la grève
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Grève une fois

La crise montre les failles du dialogue social dans les deux pays voisins.

Grève des agents de la sûreté aéroportuaire à Roissy, grève générale contre la réforme des pensions en Belgique : dans tout l’Europe continentale, le dialogue social avec les syndicats se brise sur l’autel de la crise de la dette et la soutenabilité des régimes de retraite. Partout, le droit de grève est mis en balance avec d’autres droits (au travail, à la mobilité…) et le service minimum est brandi comme alternative.

Pour ceux qui auraient raté un épisode, la Belgique possède depuis peu un gouvernement de plein exercice.  Après 540 jours de crise politique, la dégradation par Moody’s de la note de la Belgique (AA+ en AA) a accéléré les négociations. Libéraux, socialistes et chrétiens-démocrate wallons et flamands ont réussi, sous l’égide du socialiste wallon Elio Di Rupo, à former un gouvernement. Après un an et demi d’affaires courantes, ce gouvernement s’attèle aux réformes au pas de charge, confronté à des marchés financiers très méfiants, une dette publique proche de 100% du PIB et l’arrivée massive des "papy-boomers" dans le régime général des retraites - soit plusieurs centaines de milliers d’ici cinq ans alors que le pays compte environ 10,5 millions d’habitants.

La Belgique s'attaque aux régimes spéciaux

Rompant avec une tradition bien ancrée de dialogue social permanent avec les syndicats - tradition qui place la Belgique bien plus près du modèle scandinave que du modèle français avec un taux de syndicalisation de plus de 85% et un dialogue permanent entre patronat et syndicats au sein d’instances paritaires ayant pignon sur rue-, le gouvernement a décidé de réformer le système public des retraites avec détermination. Un projet de loi a été déposé au Parlement et voté cette semaine par les partis de la majorité. Il est mené tambour battant par le libéral flamand Vincent Van Quickenborne, ministre des Pensions et adoubé par le Premier ministre socialiste wallon Elio Di Rupo.

Pour résumer, il s’agit de rompre avec un certain nombre de régimes spéciaux de retraite (marins, fonctionnaires, magistrats, personnel roulant de la SNCB - Société nationale des chemins de fer belges- et même journalistes), d’équilibrer le régime général (la pension des fonctionnaires sera calculée sur les dix dernières années de carrière et non les cinq dernières) et, surtout, de relever l’âge de la retraite anticipée de 60 à 62 ans. L’âge légal de la retraite est certes de 65 ans en Belgique mais les retraites anticipées parfois dès… 52 ans sont utilisées à plus soif avec la bénédiction du patronat et des syndicats pour éviter les licenciements "secs". Des préretraites qui mettent à mal l’équilibre du régime des retraites. 

Le sang des syndicats des services publics, reçus par le ministre des Pensions pour la forme alors que tout a déjà été décidé, n’a fait qu’un tour. Écartés de la négociation et surpris par la rapidité du gouvernement, les principaux syndicats belges ont décrété une grève générale dans la fonction publique ce jeudi, dix jours à peine après des manifestations massives contre l’austérité. La grève est plutôt bien suivie : le rail est paralysé ainsi que les transports en commun tant flamands que wallons (mais pas l’aéroport national de Bruxelles), l’enseignement primaire fonctionne au ralenti, de même que les prisons et les services des Immondices (l'enlèvement des ordures, NDLR). Des barrages filtrants à l’entrée de Bruxelles ont rendu la circulation difficile.

Mais le plus intéressant est de faire le parallèle avec les grèves à répétition en France dans les ports (Marseille notamment) et aujourd’hui à Roissy. Malgré deux systèmes radicalement différents (un système français basé plus sur la confrontation avec des syndicats très peu représentatifs, un système belge basé d’habitude sur un large consensus), l’urgence des réformes pousse les gouvernements à faire le forcing.

Quelle limite à la grève ?

Dans les deux pays, la paralysie du trafic aérien, du rail et des transports en commun par des grèves à répétition parfois sauvages pose la question des limites du droit de grève. L’été dernier, une grève sauvage (dite "émotive") dans les transports publics wallons a empêché certains étudiants de se rendre à leurs examens, provoquant jusque la critique du secrétaire général du Syndicat chrétien (modéré, proche des positions d’un François Chérèque).

Le service minimum, bien que difficile à réaliser, est brandi, dans les transports publics, les prisons, les hôpitaux pour garantir d’autres droits : celui d’assurer la continuité de l’Etat, celui de se rendre au travail, celui pour une entreprise, d’être livré à temps, etc. Les piquets de grève paralysant des zonings industriels (et donc des entreprises non liées au conflit) provoquent de plus en plus de grincements de dents. Les barrages routiers ou les manifestations de masse agacent une population laborieuse pour laquelle l’automobile n’est pas un luxe mais le moyen unique de se rendre au travail. Et, en Belgique, les séquestrations de patrons ont repris, notamment à Liège ou les métallurgistes voulaient ainsi protester contre la fermeture brutale de la phase à chaud du four d’Arcelor-Mittal qui a provoqué le licenciement de 500 ouvriers.

Partout, l’urgence des réformes face à la crise des dettes publiques, la nécessité d’emprunter sans cesse sur les marchés financiers pour assurer l’équilibre de la sécurité sociale (notamment le pilier des retraites) ou tout simplement payer les fonctionnaires, remet en question l’ancien système de concertation sociale qui paraît de moins en moins adapté. Les syndicats, à la capacité de blocage considérable dans certains secteurs, sont aussi, paradoxalement, de plus en plus impuissants à affronter la nouvelle donne économique. Les centres de décision sont de plus en plus délocalisés dans les pays émergents et les PDG locaux, l’instrument de décisions prises non par eux mais par des dirigeants lointains, agacés par la très généreuse protection sociale dont jouissent les Européens continentaux – notamment en Belgique le système unique d’indexation automatique des salaires.

Ah si les syndicats belges et français étaient aussi souples que le syndicat suédois...

On se prend à rêver du syndicat unique suédois qui a négocié avec le gouvernement la diminution de moitié du nombre de fonctionnaires pour assurer la pérennité de l’Etat-providence. On ne peut oublier non plus les réformes impopulaires du social-démocrate Gerard Schroeder qui lui ont coûté sa réélection, reformes dont Angela Merckel recueille aujourd’hui les fruits.

Car c’est cela l’enjeu et les syndicats devront petit à petit le comprendre : la soutenablilité de notre sécurité sociale passe par une profonde remise en question de certains acquis sociaux et de régimes spéciaux qui sont devenus impayables. Le retour à l’équilibre budgétaire est une nécessité pour retrouver le chemin de la prospérité et donc de la solidarité.

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