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Bahreïn : cette révolte réprimée dans le sang que ni les Occidentaux ni Al Jazeera ne veulent voir
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Circulez, y'a rien à voir

Une photo fait polémique dans les médias français : elle montre François Hollande et Hamed ben Issa Al Khalifa sur le perron de l’Élysée. Ce Roi est à la tête d'une monarchie autoritaire qui multiplie les actes de répression à l'encontre de la population majoritaire chiite de l'île de Bahreïn.

Karim Sader

Karim Sader

Karim Sader est politologue et consultant, spécialiste du Moyen-Orient et du Golfe arabo-persique. Son champ d’expertise couvre plus particulièrement l’Irak et les pays du Golfe où il intervient auprès des entreprises françaises dans leurs stratégies d’implantation et de consolidation.

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Lire aussi sur ce sujet : Roi du Bahreïn reçu à l'Elysée : l'hypocrisie de la diplomatie "normale" en action

Atlantico : Une photo fait actuellement polémique dans les médias français, elle montre François Hollande avec le roi de Bahreïn. Mais ce Hamad Ben Issa est-il vraiment un dictateur ? Et le Bahreïn doit-il vraiment être présenté comme une dictature ? 

Karim Sader : Bien évidemment, le royaume du Bahreïn est une monarchie autoritaire à l’instar de l’ensemble des pays de la région. Le régime se caractérise par l’absence d’un pouvoir législatif compte tenu des très faibles prérogatives accordées au « Majlis al-Shoura » – soit l’équivalent du parlement élu dans nos démocraties occidentales – et qui, comme son nom l’indique, constitue un pouvoir consultatif.

Certes on peut reprocher à François Hollande de s’être engagé – pour des considérations semble-t-il, purement électoralistes – « à ne pas recevoir de dictateurs à l'Élysée ». Mais entre les promesses électoralistes et les réalités géopolitiques d’une zone aussi sensible que le Golfe arabo-persique, il existe un fossé dans lequel seuls des âmes naïves pourraient tomber ! Il faut tout de même avoir à l’esprit que la quasi-totalité des régimes de la région sont constitués de pouvoirs autoritaires…

Il faut donc tenter de sortir de la polémique et apporter certains éclairages sur ce pays dont on ne connait que très peu de chose. En premier lieu, au sein de la dynastie Al-Khalifa régnant sur Bahreïn depuis le XVIIème siècle, l’actuel roi Hamad est un personnage assez effacé, dont le rôle consiste à arbitrer les clivages qui existent au sein même de la famille. Son rôle dans la vague de répression contre le soulèvement de la majorité chiite demeure très limité, le monarque ayant semblé davantage dépassé par les événements.

En réalité, le véritable homme fort du régime n’est autre que le Premier ministre Khalifa ben Salmane à la tête de l’exécutif depuis 1971 – soit l’indépendance de l’archipel après le retrait des Britanniques de la zone – et qui est également l’oncle du roi. Khalifa incarne l’aile radicale de la dynastie, proche de l’Arabie Wahhabite et totalement hostile à des concessions envers les chiites. Les forces de sécurité qui lui sont directement inféodées sont à l’origine de la vague de répression de 2011 contre les manifestants chiites.

A l’opposé, on retrouve le prince héritier Salmane (42 ans) qui incarne la branche plus modérée du régime. Il est l’archétype de cette génération de princes du Golfe diplômés des universités américaines et britanniques, ce qui en fait un acteur plus ouvert aux compromis. Salmane fut d’ailleurs hostile aux méthodes dures du Premier ministre et se trouve à l’origine du dialogue national entamé au cours de l’été 2011 entre l’opposition chiite et la monarchie sunnite. Ses efforts furent d’ailleurs salués par les chancelleries occidentales, ce qui lui a valu d’être reçu l’an dernier par Nicolas Sarkozy et Barack Obama.

Compte tenu de cette configuration, le roi Hamad, hôte visiblement embarrassant pour l’actuel locataire de l’Elysée, n’apparaît pas comme un acteur déterminant ni sur le plan de la répression, et encore moins pour parvenir à une solution de sortie de crise dans le pays.                                                                                                                        

Quelle est la réalité de l'oppression qui règne actuellement sur l’île de Bahreïn ?

Les troubles qui persistent sur cet archipel ne datent pas d’hier. Depuis l’avènement de la dynastie sunnite, les Khalifa ont réduit au stade de quasi-servage une majorité chiite dont les libertés fondamentales (religieuses, politiques ou bien économiques) sont totalement bafouées. La dynamique des « printemps arabes » et l’attention portée par la communauté internationale aux revendications de la rue arabe ont renforcé la détermination de l’opposition chiite à faire valoir ses revendications.

Mais contrairement aux autres théâtres de révolutions, ces manifestants n’ont pas reçu le moindre soutien des puissances occidentales et durent subir les foudres de la répression du pouvoir suivie de l’intervention de l’Arabie Saoudite aux commandes d’une force d’interposition baptisée « bouclier de la péninsule ». Les insurgés furent délogés de la place de la Perle à Manama – fief de la contestation – avant que celle-ci ne soit entièrement rasée.

Le principal problème du Bahreïn et de ses opposants est qu’ils sont systématiquement taxés par le pouvoir d’être à la solde de l’Iran chiite. Certes, la république islamique voisine qui n’a jamais caché ses velléités hégémoniques sur l’île, apportant un soutien à certains groupuscules chiites locaux, n’est certainement pas étrangère à cette agitation. Mais il s’agit là davantage d’un alibi pour le pouvoir afin de transformer des revendications sociales et économiques locales en une affaire de lutte régionale, justifiant ainsi l’intervention  de la force qui a tout de même fait près de 70 morts en 2011.

Les manifestants sont donc l’otage d’un enjeu régional qui les dépasse et dans lequel on retrouve une fois de plus l’antagonisme sunnite/chiite. Il faut savoir que depuis plusieurs années, le pouvoir mène une politique de naturalisation massive d’arabes sunnites venus s’installer sur l’île, et ce afin de rééquilibrer la donne démographique face à la majorité chiite considérée comme « hérétique » dans l’idéologie wahhabite.  

Comment expliquer le silence des médias occidentaux, mais aussi celui de la très influente chaîne Al Jazeera ? 

Le silence des médias, mais aussi et surtout des chancelleries occidentales, est l’illustration parfaite de l’importance des intérêts géopolitiques au détriment des revendications démocratiques d’un peuple. Car à mon sens, Bahreïn représente sans doute l’un des plus légitimes théâtres de contestation, tant la condition des chiites y est à déplorer.

Mais une analyse géopolitique ne saurait occulter deux facteurs primordiaux :

  • Bahreïn est le siège de la Vème flotte américaine et par conséquent une zone stratégique vitale pour les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN ;
  • Si le Royaume ne dispose plus d’importantes richesses pétrolières, il demeure la chasse gardée du premier producteur mondial d’or noir, à savoir l’Arabie. Le grand frère saoudien ne veut donc pas entendre parler d’un basculement de l’île aux mains de la majorité chiite, ce qui induirait le risque d’une hégémonie iranienne.

En ce qui concerne l’attitude des médias, l’insurrection bahreïnie a été privée d’un soutien précieux, celui d’Al-Jazeera. La chaîne qatarie a pourtant été le premier relais médiatique des mouvements révolutionnaires du printemps arabe. Quand elle a pris fait et cause pour les révoltes, elles ont instantanément abouties au renversement des dictatures, qu’ils s’agissent de Moubarak, de Ben Ali ou bien de Kadhafi. Concernant Bahreïn, silence total ! 

Cette attitude montre bien que les excès de zèle de la chaîne qatarie envers les révoltes arabes sont avant tout basés sur un agenda bien précis. Les cibles à abattre furent les républiques autoritaires dites laïques, prenant le soin d’épargner les systèmes monarchiques islamistes qui ne sont pourtant pas exempts de tous reproches en matière de démocratie.

Youssef Qaradawi, l’influent télécoraniste d’Al-Jazeera, celui-là même qui, aux côtés du Qatar, avait apporté une caution arabe et islamique à l’offensive des forces de l’OTAN pour bombarder un pays musulmans comme la Libye, avait fini par déclarer sur les ondes de la chaîne, que Bahreïn n’est pas un théâtre de révolution « authentique ». L’on voit bien ainsi le double jeu du Qatar qui s’est fait le champion de la démocratie au Maghreb et au Moyen Orient, pourvu que la contestation ne gagne pas son voisinage dans le Golfe.

Y’a-t-il des chances que le conflit au Bahreïn prenne autant d’ampleur que le conflit syrien ?

Il n’y aura pas aujourd’hui de révolution au Bahreïn caractuellement, il y a des intérêts occidentaux trop importants et il y a une fermeté de la part de l’Arabie Saoudite à empêcher toute progression chiite. Le risque est trop grand de voir l’Iran profiter de cette situation. Il faut avoir à l’esprit que l’Archipel fût historiquement une zone disputée par les empires perses et arabes. L’enjeu dépasse donc de loin les considérations d’ordre locales d’une population d’à peine 1,3 million d’âmes…

Propos recueillis par Charles Rassaert

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