Avons-nous encore les moyens de vieillir ? Et si le débat récurrent sur l'euthanasie révélait aussi une angoisse sur le coût de l'allongement de la vie...<!-- --> | Atlantico.fr
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Le niveau de vie des seniors semble s'affaiblir un peu plus chaque année.
Le niveau de vie des seniors semble s'affaiblir un peu plus chaque année.
©Reuters

Peur moderne

Financer les pensions de retraités toujours plus nombreux, plus vieux et plus exposés à la perte d'autonomie est un des défis majeurs de la France pour les cinquante prochaines années, d'autant plus que la part de l'existence passée en mauvaise santé a augmenté. De quoi inquiéter fortement les personnes concernées et nourrir en sous-main le débat sur l'euthanasie.

Atlantico : Conséquence de la crise économique, le niveau de vie des seniors semble s'affaiblir un peu plus chaque année. Alors que notre système de retraites vient de subir une cure d'austérité, peut-on se demander légitimement si les Français auront encore les moyens de vieillir d'ici quelques années ?

Philippe Crevel : Paradoxe d’une société moderne où l’espérance de vie à la retraite atteint des sommets, plus d’un quart de siècle en France, record absolu de la planète, où les dépenses de retraite absorbent 14 % du PIB mais où l’angoisse d’une paupérisation d’une part croissante de la population peuple notre quotidien. Le niveau des pensions est, au regard de celui de nos principaux partenaires de l’OCDE, correct, sans plus. La vulnérabilité des retraités français provient du fait qu’ils tirent 85 % de leurs ressources des systèmes publics obligatoires quand la moyenne, toujours au sein de l’OCDE est de 70 %.

Cette dépendance est évidemment dangereuse quand les cotisations sont affectées par la dégradation de la situation de l’emploi au moment même où les charges explosent avec le vieillissement de la population. Nous entrons dans une zone de tous les dangers si la France ne réussit pas rapidement à renouer avec la croissance. Les réformes des retraites, que ce soit celle de 2010 ou celle de 2013, reposent sur un retour à bonne fortune avec un taux de croissance supérieur à 1,5 % et d’un quasi plein emploi d’ici 2020. Or, nous allons devoir gérer 20 millions de retraités d’ici 2030 contre 15 aujourd’hui avec une montée en puissance du nombre de personnes de plus de 80 ans. Certes, nous avons tendance à vivre de plus en plus longtemps en meilleure santé mais cela n’empêchera pas les dépenses d’assurance-maladie et surtout les dépenses liées à la dépendance de croître rapidement.

Le débat sur les conditions de vie des seniors s'oppose entre ceux qui les dépeignent comme des privilégiés et ceux qui estiment qu'ils sont les nouveaux précaires de notre époque. Que nous disent les chiffres en la matière ?

Le montant moyen de la retraite des Français reste modeste, autour de 1256 euros par mois ; elle est inférieure au montant moyen des salaires qui est de 2130 euros nets du secteur privé ou des entreprises publiques. Elle est également inférieure au traitement moyen des fonctionnaires d'Etat qui se situe à 2434 euros toujours par mois. Si ce montant moyen a tendance à augmenter, c'est uniquement lié à un phénomène d'optique. En effet, le renouvellement des générations entraîne automatiquement une élévation du niveau des pensions, les retraités décédant ayant de plus petites pensions qui ceux qui les ont liquidées au cours de l’année.

En revanche, en prenant en compte l'évolution des pensions depuis 2006 de ceux qui les ont déjà liquidées, les statistiques du Ministère des Affaires sociales (les retraités et les retraites Drees 2013) démontrent que nettes de prélèvements sociaux, elles ont baissé. Il n'en demeure pas moins que le taux de pauvreté des retraités est inférieur de deux points à celui de l'ensemble de la population. En prenant en compte le patrimoine et la possession de la résidence principale, il ne fait pas de doute que le niveau de vie moyen des retraités est supérieur à la moyenne des Français. 77 % des retraités sont propriétaires de leur résidence principale. Grâce à la mise en place de dispositif en faveur des petites pensions, le nombre de bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, également appelée minimum vieillesse, s'est fortement contracté ces quarante dernières années en passant de 2 millions à 600 000 en 2012.

Evidemment, les chiffres actuels sur les pensions et le niveau de vie des retraités ne préjugent en rien de ceux de demain. Les réformes engagées depuis 20 ans, en matière de retraite, affecteront le montant des pensions. En passant des 10 meilleures au 25 meilleures années et en désindexant les pensions des salaires, les pouvoirs publics ont directement touché à la valeur des pensions des prochaines générations. De même, l'allongement de la durée de cotisation a un effet pervers bien connu, celui d'accroitre le nombre de personnes n'ayant pas la totalité de leurs trimestres pour justifier d'une retraite à taux plein. La baisse du rendement des complémentaires, une chute de 50 % en vingt ans pour l’Agirc, aura également un impact majeur pour les futurs retraités. Il faut, à ce titre, souligner qu’au début de l’année 2013, les partenaires sociaux ont acté pour l’Agirc et l’Arrco, pour plusieurs années, une désindexation partielle par rapport à l’inflation ce qui signifie une perte de pouvoir d’achat pour les anciens salariés.

En parallèle, le chantier de la réforme de la dépendance devrait s'accompagner d'une meilleure formation du personnel d'accompagnement des seniors. Si l'on part du principe que cette mesure se répercutera logiquement sur le prix des services, ne doit-on pas s'inquiéter d'un risque de surcoût préjudiciable pour les retraités d'aujourd'hui et de demain ?

Le défi de la dépendance est devant nous du fait de l’évolution de la démographie. En effet, le vieillissement concerne l’ensemble de la population mais aussi et surtout les retraités. Le nombre des plus de 75 ans passera de 5,2 à 11,9 millions de 2010 à 2060. Les plus de 85 ans passeront sur la même période de 1,3 à 5,4 millions. Cette dernière catégorie sera la plus concernée par le problème de la dépendance. D’ici quelques années, nous ne fêterons plus les centenaires car ils seront trop nombreux. Aujourd’hui 10 000 en France, ils seront plus de 200 000 en 2060.

La dépendance est tout à la fois un problème de finances publiques et un problème de société. Il s’agit de financer des dépenses d’assistance et de trouver les solutions les plus humaines possibles pour traiter la fin de vie.

La France comptait en 2012, un peu plus d’un million de personnes dépendantes. Elles seront 1,2 million d’ici 2030 et 1,5 million autour de 2040. Le coût de la dépendance devrait passer progressivement de 22 à plus de 30 milliards d’euros de 2012 à 2040. Aujourd’hui, une grande partie du coût de la dépendance est invisible car les personnes âgées sont fréquemment épaulées par des membres de leur famille. Les aidants familiaux occupent l’équivalent de 500 000 emplois représentant l’équivalent de 8 milliards d’euros de salaires. Il est fort à parier avec la décomposition des familles et la mobilité accrue de la population que le nombre des aidants familiaux se réduira. Il faudra de plus en plus recourir aux services à la personne. Du fait d’une demande croissante, leurs coûts auront tendance à augmenter. Or, les pensions des retraités sont au mieux indexées sur l’inflation hors tabac avec donc à la clef une difficulté croissante d’accéder à des services indexés aux salaires.

Sachant qu'il serait illusoire d'imaginer une revalorisation des retraites d'ici quelques années, quelles pistes mériteraient d'être étudiées pour endiguer une éventuelle précarisation des personnes les plus âgées ?

Depuis 2002, l’allocation personnalisée d’autonomie constitue un filet de sécurité qui est attribuée à plus de 1,1 million de personnes. Elle est financée à partir de la contribution de solidarité pour l’autonomie et par les départements. Elle ne permet pas de garantir un niveau convenable de prise en charges pour des personnes très dépendantes et laissent un reste à charge important en particulier pour les classes moyennes. Depuis des années, les pouvoirs publics cherchent à réformer cette allocation sans y aboutir. La question est de savoir s’il faut mobiliser et comment, le patrimoine des personnes concernées. Il est très difficile de financer une dépendance à partir d’un bien immobilier.

En outre, les Français sont très attachés à la transmission des patrimoines. L’option de la couverture du risque dépendance par le biais de l’assurance qu’elle soit publique ou privée pose la question de son financement. Faut-il assujettir les entreprises à une nouvelle taxe pour un risque dont la survenue intervient longtemps après la cessation d’activité ? Faut-il obliger tous les actifs à souscrire à partir de 50 ans à une assurance-dépendance ? Il faut l’avouer les exemples étrangers ne sont pas très encourageants. Les dépenses dépendances augmentent partout et in fine elles sont à la charge de l’Etat et des familles.

Les seniors sont-ils davantage effrayés à l’idée de vieillir "en mauvais état" qu’auparavant ? Pourquoi ?

Christophe de Jaeger : L’espérance de vie à la naissance, dont les chiffres sont publiés par l’Insee chaque année, étaient traditionnellement à la hausse. Depuis quelques années, elle stagne : 78,4 ans pour les hommes, 84,8 pour les femmes en 2012 (chiffres publiés en avril 2013).

Mais si l’on regarde les chiffres de l’espérance de vie en bonne santé, on constate que cette dernière est de 61,1 ans pour les hommes, et de 63,5 ans pour les femmes. Soit des différences respectives de 17 et 21 ans… C’est gigantesque. Dès lors, on comprend que certaines personnes âgées commencent à être angoissées. Cette espérance de vie, en réalité, est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense, car si c’est pour vivre en moins bonne santé, les gens sont tout de suite beaucoup moins intéressés par l’idée de vivre plus longtemps. Passé le cap des 70 ans, la vraie terreur, c’est la perte d’autonomie. Qu’un jeune se rende dans une maison de retraite, il sera déprimé, mais qu’une personne plus âgée y rende visite, et elle sera très inquiétée par ce qu’elle verra. La hantise des gens qui sont conscients du phénomène est donc de vieillir en mauvais état.

Il y a 20 ans, pas un seul de mes patients ne manifestait d’inquiétude sur son avenir en termes de prise en charge. Les inquiétudes aujourd’hui sont réelles ; c’est une tendance forte qui a commencé il y a dix ans, et qui devient toujours plus nette.

Les coûts médicaux engendrés par le vieillissement provoquent-ils d’autant plus d’angoisse chez la population concernée ?

Christophe de Jaeger : Effectivement, "vieillir mal", cela coûte de l’argent. Et comme la population âgée augmente, le coût relatif à la prise en charge augmente également. C’est une problématique centrale du budget de l’Etat. On a constaté que beaucoup de personnes âgées consommaient des médicaments dont le bénéfice thérapeutique était peu reconnu par la Caisse, ce qui les a amenés à être "déremboursés". La liste de ces médicaments est longue. Quand on est jeune et en bonne santé, que l’on ne prend rien jusqu’à 40 ans au moins, on n’est pas conscient de cela. Mais si on est, par exemple, une femme de 60 ans qui a souvent les jambes lourdes, et que l’on est habituée à prendre des médicaments pour tonifier les veines, et que les fins de mois sont compliquées, dès lors on a de nouveau les jambes lourdes... Ce n’est pas mortel, et l’Etat n’a peut-être pas à rembourser ces médicaments-là, cependant on ne peut pas reprocher aux gens de voir midi à leur porte. Cette absence de remboursement contribue donc à créer un climat qui n’est pas des meilleurs.

Aurons-nous les moyens, en tant qu’individus, de rester en bonne santé si l’Etat et les mutuelles remboursent de moins en moins ? Comment ne pas être à la charge de ses enfants ? C’est là que l’inquiétude devient angoisse. Autant sur le plan de la prévention des personnes de 50 ans que sur celui du traitement de personnes de 80 ans, mon activité me permet de me rendre compte qu'elles ont une inquiétude constante : elles ne veulent pas être à charge de leurs enfants. Sauf que face à cette envie de s’assumer eux-mêmes, les responsables de tout poil, eux, ne disposent pas des fonds nécessaires.

Ceci étant, beaucoup de personnes vivent dans l’ignorance totale de ce genre de phénomène. Ils pensent qu’en marchant un peu tous les jours par exemple, ils se porteront toujours bien. Mais il suffit de regarder les chiffres de l’espérance de vie en bonne santé pour comprendre qu’ils sont nombreux à se tromper : 61,1 ans pour les hommes, 63,5 ans pour les femmes. Le quart d’une vie peut ainsi être passé en mauvaise santé.

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