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Mais pourquoi un réquisitoire 
aussi violent contre le maire 
qui avait giflé un ado ?
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Extrêmisme judiciaire ?

Maurice Boisart, le maire de Cousolre dans le Nord est poursuivi pour avoir giflé un adolescent qui l'avait insulté. Le procureur d'Avesnes sur Helpe a requis une amende de 500 euros "pour violence par personne dépositaire de l'autorité publique" tout en lui reprochant de ne pas avoir accepté de régler cette histoire dans la discrétion et lui faisant "la leçon". Le coup de colère d'un avocat contre la manière d'agir du procureur concerné.

Eric Morain

Eric Morain

Eric Morain est avocat au barreau de Paris.

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Le procureur d'Avesnes sur Helpe a requis une amende de 500 euros contre le maire de la petite commune de Cousolre dans le Nord pour "violence par personne dépositaire de l'autorité publique". Maurice Boisart, 62 ans, avait giflé un adolescent de 15 ans à l'été 2010 qui l'aurait insulté et menacé de mort alors que l'édile lui reprochait d'escalader le grillage d'un terrain communal.

Nous en avons tous entendu parlé, à la radio, dans nos quotidiens ou sur nos sites d'information. Mais c'est une fois de plus Pascale-Robert Diard qui en parle le mieux. Et moi je lui fais confiance pour trois raisons, subjectives, au moins : d'abord parce qu'une personne qui aime Maître Mô ne peut être foncièrement malhonnête...; ensuite parce qu'elle a refusé de se faire manipuler en publiant les enregistrements Bettencourt; enfin et surtout parce qu'elle a rendu compte avec justesse et humanité du procès Clearstream (qui m'est cher) et du procès Bissonnet (qui lui m'est étranger).

Alors quand je lis son compte-rendu du procès qui s'est tenu devant le Tribunal d'Avesnes-sur-Helpe où le Maire d'une petite commune était jugé pour avoir donné une gifle à un mineur de 15 ans (qualification : violences volontaires sans ITT par personne dépositaire de l'autorité publique) une colère, plus ou moins sainte, monte en moi.

Cette colère d'avocat - donc forcement suspecte - n'a rien à voir avec la récupération nauséabonde du fond de l'affaire par certains groupes ou commentateurs ne voyant dans le jeune mineur qu'une racaille méritant une correction; elle ne porte donc pas sur les faits, pas sur la poursuite en elle-même, je ne connais ni le dossier ni le prévenu au travers de ce colloque fascinant et singulier qui permet à l'avocat de s'imprégner, autant que faire se peut, de la personnalité de son client dans le secret de son cabinet; non, cette colère porte sur les propos du Procureur, dont j'ai appris par ailleurs combien, il y a quelque temps déjà, il avait été le dindon de la farce, ou l'artisan c'est selon, de ce qu'on a appelé ensuite l'affaire OM-VA.

Premier reproche : voilà donc un représentant du Parquet qui vient d'abord s'offusquer de la médiatisation de cette affaire dont on peut raisonnablement penser qu'elle vient effectivement du prévenu lui-même. La belle affaire! Les portes de nos palais sont ouvertes et grandes ouvertes et c'est tant mieux! Les journalistes y sont conviés et en rendent compte comme ils veulent et si ils le veulent et c'est heureux! Si la Corée du Nord est le modèle de justice rêvé de notre parquetier, libre à lui mais qu'il le dise et demande sa mutation.

Deuxième reproche faite au Procureur Beffy -puisque c'est son nom- sa référence scandaleuse à l'audience à la procédure dite de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC ou plus prosaïquement "plaider-coupable"). Cette procédure est une alternative, décidée par le Parquet, et lui seul, à un procès contradictoire et public. Innovation plutôt marquante de ces dernières années, cette procédure permet à des affaires simples (grande majorité d'affaire liées à des infractions routières) de voir le Procureur, dans son bureau, proposer une peine au prévenu, à l'avocat de celui-ci de tenter de la négocier, et à un juge de valider cette "petite affaire". Mais voilà, parfois - et à suivre l'application stricte du Code pénal, souvent - il n'y a pas de négociation possible, c'est à prendre ou à laisser; et si la personne poursuivie refuse cette peine - ce qui est son droit le plus absolu heureusement! - il y a un procès, public, forcement public, et PERSONNE ne peut faire référence à cette transaction judiciaire avortée. Dans notre affaire, le Procureur, publiquement à l'audience si l'on en croit le compte-rendu, a parlé de cette procédure en reprochant au prévenu d'avoir refusé la peine proposée, et ce, en contravention des dispositions du Code de procédure pénale. Cela n'est ni digne, ni acceptable.

Reste enfin le dernier reproche : quand on vient requérir 500 euros d'amende devant un Tribunal correctionnel, on a, à tout le moins, la mesure verbale, dans ses réquisitions, de la peine requise, sinon tout se vaut, plus rien ne se compare et donc plus rien n'est grave. Stigmatiser de la sorte et aussi violemment un prévenu, de surcroit premier édile et officier de police judiciaire de sa ville, au casier judiciaire vierge à 62 ans, quand on vient demander une simple peine d'amende - dont on remarquera qu'elle est inférieure à celle réclamée lors de la CRPC où elle n'était que de 600 euros, le comble! - c'est montrer que soi-même on confond accusation et tribune, juste peine et exemple, et qu'on est plus soucieux d'épater la galerie régionale ou nationale que de juger un homme, une personnalité, un dossier et des circonstances. Ça me fait penser à cette triste juge parisienne qui avait délivré un mandat d'arrêt à l'encontre du Directeur de publication de Libération dans une simple affaire de diffamation pour laquelle il n'encourait qu'une simple peine d'amende. In medio stat virtus...

Nos Maires et nos élus valent mieux que cet extrémisme judiciaire qui les renvoie à de simples collecteurs de taxes ménagères. Ils n'ont pas plus de droits qu'un autre justiciable et le devoir de leur charge doit les conduire sans doute - mais la nature humaine est ce qu'elle est - a l'excellence, mais ils ont aussi le droit d'être jugés, comme les autres, au regard de ce qu'ils sont profondément, et non pas comme des êtres réduits à un acte, fût-il pénalement répréhensible. Et avec mesure, toujours avec mesure.

Le délibéré est attendu le 17 février prochain.

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