Avant il croyait au pouvoir des cycles, maintenant à celui de la croissance américaine : le gouvernement toujours incapable de voir les causes structurelles de la stagnation française<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement est toujours incapable de voir les causes structurelles de la stagnation française.
Le gouvernement est toujours incapable de voir les causes structurelles de la stagnation française.
©Pixabay

L'optimisme de volonté

Selon Le JDD, des proches du président estimeraient que "tout est en place pour la reprise". Sans le dire, ces derniers tableraient sur une reprise économique à la mi-2015, entraînée par le rebond aux États-Unis et les premiers effets des ­réformes. Mais le chaînon manquant à la reprise de croissance est toujours là, et le tournant vers une politique de compétitivité a été pris sans actionner tous les leviers en même temps.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Denis Ferrand

Denis Ferrand

Docteur en économie internationale de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Denis FERRAND est Directeur Général de Rexecode où il est notamment en charge de l’analyse de la conjoncture de la France et des prévisions macroéconomiques globales. Il est également vice-Président de la Société d’Economie Politique. Il est membre du Conseil National de l’Industrie et du Conseil d’Orientation pour l’Emploi au titre de personnalité qualifiée. Chroniqueur pour Les Echos, il est chargé du cours d’analyse de la conjoncture à l’Institut Gestion de Patrimoine de l’Université Paris-Dauphine et pour le Master APE de l’université Paris-Panthéon Assas.

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Atlantico : Le gouvernement croyait auparavant au retour de la croissance via les cycles économiques et mise aujourd'hui sur des effets d'aubaine de la croissance américaine (3,5%). Qu'en est-il dans les faits ? Dans le contexte actuel, la France peut-elle profiter du rebond outre-atlantique ? 

Denis Ferrand : Plus qu’une impulsion directe de la croissance via la demande en provenance des Etats-Unis, c’est le décalage dans le timing de la politique monétaire qui peut créer des conditions propices à un petit surcroît de croissance en Europe en général et en France en particulier. Les hausses de taux seront plus précoces aux Etats-Unis qu’en zone euro, créant les conditions favorables à une nouvelle dépréciation de l’euro versus dollar.

Le modèle macroéconomique Mésange, calibré toutefois sur des référentiels antérieurs à la période de crise ouverte en 2008, retient par exemple que, dans le cas de la France, une dépréciation permanente de 10 % de l’euro occasionne un surcroît de PIB de l’ordre de 0,5 point au terme d’un an et de 0,8 point à deux ans.

Ce sont des estimations probablement maximales des effets positifs à attendre à court terme d’une dépréciation du taux de change. Toutefois, attendre de l’extérieur la réponse à notre absence de croissance supposerait que notre capacité à prendre les vents porteurs soit rétablie. Or s’il y a un point qui a fait défaut à la croissance depuis plus de quinze ans, c’est bien celui de notre compétitivité, notamment à l’exportation, avec en illustration un fléchissement durable de nos parts de marché, fléchissement qui s’est encore prolongé dans les premiers mois de 2014. Il n’y a pas de ce point de vue d’ores et déjà des signes tangibles d’amélioration de notre compétitivité.

Lire lesperspectives économiques mondiales 2014-2015 de Coe-Rexecode

Philippe Waechter : Les gouvernements successifs depuis le début de la crise ont sous-estimée celle ci. Il y avait toujours l’idée que la dynamique macroéconomique habituelle allait reprendre ses marques. Cette analyse a été déjouée puisque 7 ans après le début de la crise le PIB par tête en France n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2007.

Mon sentiment est que la zone Euro a eu le même raisonnement sinon comment comprendre les politiques d’austérité mises en place en 2011 et 2012, comment appréhender de façon rationnelle la double hausse de taux d’intérêt d’avril et juillet 2011 si ce n’est qu’en considérant que la crise était passée. L’analyse qui consiste à faire de la période une crise cyclique permet d’ imaginer que rapidement les choses reprendront leur place et qu’il ne sera pas nécessaire de bouleverser l’ordre établi.

Pourtant, le monde bouge à toute allure et la crise n’est en fait que la manifestation de ce désajustement de l’économie européenne par rapport à cet environnement changeant.

Quant à attendre aujourd’hui l’avènement d’une croissance forte et durable en provenance des Etats-Unis, il faut faire l’hypothèse que le commerce mondial sera à nouveau la courroie de transmission et qu’il repartira rapidement à la hausse. Ce n’est pas le cas puisqu’il progresse très lentement depuis l’été 2011 et même aujourd’hui avec une croissance robuste outre-Atlantique on ne perçoit pas de dynamique haussière sur les échanges.

Cette hypothèse fait resurgir l’idée aussi que la zone euro n’a pas les capacités de créer une croissance plus autonome. Or c’est une situation à laquelle on doit forcement réfléchir. En effet même si l’économie est globale il faut trouver les moyens pour disposer d’une croissance plus autonome. Les américains font cela très bien avec un marché intérieur puissant.     

Sur ce point, la réflexion doit porter sur une croissance autonome dont l’échelle est européenne où à celle de la zone Euro. Le faire chacun dans son coin comme cela est parfois évoqué serait la pire des choses puisque cela mettrait en place des stratégies d’opposition entre les pays de la zone. Rien de tel pour défaire très vite ce qui a été mis en place avec en plus l’apparition de tensions. Ce serait déstabilisant.

De la théorie des cycles à l'espoir d'une croissance "importée"... Souffrons-nous d'une mauvaise appréciation des facteurs pro croissance en France ?

Denis Ferrand : La difficulté vient précisément du retard que l’on a mis à percevoir l’enjeu décisif du problème de compétitivité notamment à l’exportation. Notre chaînon manquant est vraiment là et le tournant vers une véritable politique de compétitivité n’a été pris que de manière progressive sans actionner tous les leviers (coût du travail, de l’énergie, stimulation de l’innovation, encouragement au capital risque…) en même temps.

Entretemps, c’est un potentiel d’investissement relatif qui s’est érodé avec le recul des marges dans les secteurs confrontés à la concurrence internationale et qui ne sont pas que dans l’industrie. Il a manqué d’une lecture et surtout d’une réponse en profondeur et faisant système à ce handicap de compétitivité.

Philippe Waechter : L’évolution de l’activité est perçue comme une succession de cycles sans rupture. Or là probablement il y a eu une rupture et de ce fait le cadre de réflexion doit être d’une autre nature.

On a pu avoir un aperçu d’une prise en compte de cette possible rupture avec le CICE et le pacte de responsabilité. L’idée était à la fois de prendre acte des déséquilibres en place durant et avec la crise mais aussi d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises. Cependant, la construction de ces mesure  est devenue  tellement complexe que le message claire de changement d’orientation n’est plus lisible

Quels freins nationaux structurels nous faut-il encore lever ?

Denis Ferrand : Aujourd’hui, outre le défaut de compétitivité, le frein majeur qui est à desserrer est celui du caractère aberrant de notre fiscalité du capital. L’architecture de celle-ci aboutit, dans un environnement de taux très bas comme pour la rémunération des placements sur une obligation d’Etat par exemple, à une imposition marginale du revenu du capital supérieure à 100 %. Il s’agit là d’un véritable non-sens économique, véritablement désincitatif à la prise de risque et à l’investissement.

C’est ce frein qui est à desserrer en priorité au moyen d’une convergence progressive de la fiscalité du capital vers les standards européens, ainsi que les allemands l’ont fait dans les années 2000 quand ils ont pris comme référence dans l’évolution de leur fiscalité sur le capital les taux moyens pratiqués en Europe.

Philippe Waechter : Je crois qu’il y a plusieurs niveaux à examiner. Le premier est de se rendre compte que l’équilibre du monde a changé et que l’économie française même si elle reste puissante dans certains domaines est concurrencée dans d’autres par des pays qui étaient perçus comme émergents. La concurrence a changé

L’autre point est de rendre l’économie beaucoup plus flexible afin d’amortir les chocs négatifs mais aussi d’amplifier les chocs positifs. La Suède a très bien réussi à faire cela. Il faut une économie en alerte capable de saisir les opportunités.

Une crise c’est un changement radical de support de la croissance. Les secteurs qui marchent bien avant sont rarement ceux qui tirent la croissance après. La flexibilité que j’évoque est de permettre d’avoir cette capacité à transférer des ressources des secteurs qui vont moins bien vers ceux qui vont bien car ce sont ces derniers qui vont engendrer de la valeur ajoutée, des emplois et des revenus. Cela passe par une capacité à se mobiliser et pas simplement sur le marché du travail. C’est une dynamique collective.

Il y a aussi des améliorations à faire sur la concurrence et pas simplement dans les professions protégées comme cela a été évoqué récemment.

La France a bénéficié pendant très longtemps d’une sorte de dynamique autonome sur laquelle elle se greffait et  qui se traduisait spontanément par une croissance élevée dans les années 60 et d’environ 2% pendant une trentaine d’année jusqu’à la crise. Cette dynamique n’est plus spontanée, il faut la mettre en oeuvre, la créer désormais.

Quels freins conjoncturels nous faut-il encore vaincre ?

Denis Ferrand : Le principal frein conjoncturel est à rechercher dans la situation du secteur de la construction. Le secteur est doublement pénalisé. Il pâtit d’une part de la chute de l’investissement en logements qui à lui seul  a déjà coûté 0,4 point de PIB sur un an, c’est-à-dire quasiment autant de ce que l’on pourrait attendre au maximum d’une dépréciation du taux de change sur un an.

Il est désormais handicapé, d’autre part, par la chute qui s’est amorcé de l’investissement public, notamment en provenance des administrations publiques locales. L’emploi dans le secteur de la construction avait résisté jusqu’à présent au retournement d’activité. En 2014, le niveau d’activité dans le secteur est inférieur de 17 % à son niveau maximal atteint en 2008. L’emploi du secteur (salarié et non salarié) n’a pour sa part reculé « que » de 5 % environ. Si une nouvelle chute d’activité devait se manifester, il est peu probable que l’emploi dans le secteur en resterait immunisé.

Philippe Waechter : Je crois que l’on doit tous se mobiliser car il n’y a rien d’automatique dans la dynamique de production. Tout doit se construire.

L'Etat doit-il d'un coté cesser d'étouffer les entreprises via un allègement généralisé du coût du travail et une simplification du code du travail ? De l'autre, doit-il soutenir davantage son tissu productif, les TPME, les startupers... ? 

Denis Ferrand : Des mesures dans le sens d’un allègement du coût du travail entrent progressivement en application. On peut regretter le timing toujours très long entre le moment de l’annonce et le moment de la mise en œuvre des mesures. Le Pacte de Responsabilité avec ses mesures très progressives est symptomatique des décalages : le discours sur l’urgence des réformes se réconcilie mal avec le temps effectif de leur mise en œuvre. La direction est la bonne, le mouvement est un peu lent, en somme.

Philippe Waechter : Votre question traduit bien la complexité de la situation française. Il faut tout faire pour alléger le poids de l’Etat mais dans le même temps souhaiter une intervention plus marquée.

Je crois que l’Etat que l’on a est avant tout une construction collective qui a fonctionné tant que la dynamique de croissance était robuste. Aujourd’hui cette dernière ne fonctionne plus et il est nécessaire de penser autrement le modèle social dans lequel on vit. C’est aussi cela la crise, réfléchir collectivement à une façon de faire. En d’autres termes,’ quel est l’Etat que l’on souhaite. Je ne crois pas que l’on ait eu cette discussion en France. L’Etat a un poids élevé aujourd’hui, mais est-ce incohérent avec une sorte d’objectif et de filet de sécurité que personne ne veut remettre en cause.

Quels freins européens pèsent également dans la stagnation économique française ? La BCE est-elle la solution de la dernière chance pour soutenir investissement et croissance ? Et vaincre la menace de déflation ?

Denis Ferrand : On ne peut tout attendre de la BCE qui a déjà fait beaucoup dans un contexte qui s’est révélé extraordinairement complexe. Elle a effectué un véritable aggiornamento dans les pratiques de sa politique monétaire qui s’est confronté à des oppositions farouches qu’elle n’a pu surmonter qu’à pas comptés. Elle a préservé des marges d’interventions qu’elle est désormais en mesure de mobiliser. Les critiques sur la lenteur et l’ampleur des interventions de la BCE sont justifiées au regard des mouvements adoptés par les autres grandes banques centrales. Elles doivent toutefois prendre en compte l’exercice d’équilibriste auquel confine la définition d’une politique monétaire commune dans une zone économique aussi hétérogène tant en matière de dynamique économique que de doctrines économiques.

Ensuite, assurer les conditions d’une bonne transmission de la politique monétaire ne garantit pas forcément de son efficacité. La menace de la déflation ne saurait être jugulée en l’absence de redémarrage du crédit. Il y a quelques indications positives sur ce front. Elles ressortent toutefois plus d’indications de nature qualitative (les enquêtes auprès des établissements de crédit qui soulignent en zone euro qu’un redressement du crédit est en voie de s’opérer) et ne s’observent pas jusqu’à présent dans les données quantitatives (les flux de crédit au secteur privé sont toujours en recul). Toutefois, face au risque de déflation il ne faut toutefois pas perdre de vue que si les tensions baissières sur les prix sont élevées, la dynamique de la demande interne s’installe lentement. Le redressement progressif des ventes au détail dans l’ensemble de la zone euro ne reflète pas d’ores et déjà une mécanique déflationniste à l’œuvre. En outre, la trajectoire des revenus des ménages mais également des sociétés non financières est redevenue haussière par l’intermédiaire, d’une part, de la hausse de l’emploi en zone euro (0,5 % sur un an) qui compense le ralentissement des salaires par tête et, d’autre part, des hausses de prélèvement désormais bien moindres qu’en 2012-2013.

Par ailleurs, les situations des patrimoines financiers des ménages comme des entreprises ont été sensiblement améliorées avec notamment des niveaux de liquidités disponibles comparés aux niveaux de dette qui n’ont jamais été aussi favorables. Les conditions d’un redémarrage de l’investissement se réunissent ainsi progressivement. Il lui manque le catalyseur premier qu’est la confiance et des perspectives moins obscurcies. La légèreté dont nous avons fait preuve en France depuis des années quant au respect de nos engagements européens en matière de finances publiques n’a de ce point de vue pas créé la condition d’une confiance. Restaurer une partie de notre crédibilité perdue est de ce point de vue tout aussi clé que peut l’être l’impératif de renforcement d’un système productif lourdement fragilisé.

Philippe Waechter : La BCE ne peut pas tout faire. Elle l’aimerait probablement mais elle met déjà en place une politique monétaire très accommodante. Peut elle aller au delà ? Aujourd’hui pas forcément si elle met en place l’ensemble de sa stratégie monétaire et notamment les apports de liquidité.

Le reste c’est aussi un dessein collectif à mettre en oeuvre. 

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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