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Audition de Michael Cohen : attaqué par son ancien avocat, Donald Trump pourrait s'en trouver renforcé
©Nicholas Kamm

Impeachment ?

L'ancien avocat de Donald Trump l'a violemment chargé lors de son audition par la commission d’enquête de la Chambre des représentants. Mais l'absence de preuves pourrait au final bénéficier au président américain.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico: Qu’est-ce que qu’un tel témoignage va changer dans la politique américaine et dans les enquêtes contre Donald Trump?

Jean-Eric Branaa : En réalité, pas grand chose. L’avocat de Donald Trump, Michael Cohen a -bien malgré lui- exonéré son ancien client des charges qui pesaient contre lui avec deux phrases en particulier. Il a dit : « Trump ne m’a pas directement demandé de mentir au Congrès ; c’était sous-entendu » (le sous-entendu n’étant pas admissible en Droit) et la seconde phrase étant « je n’ai pas de preuve de la collusion entre la campagne de Donald Trump et la Russie, mais j’ai des doutes », les doutes n’étant pas davantage admissibles pour incriminer quelqu’un, particulièrement lorsque ce sont les doutes de quelqu’un qui a été condamné pour enrichissement illicites et surtout pour avoir… menti au Congrès !  Car l’homme qui témoigne ainsi rentrera en prison dans deux mois, et pour trois ans.

Les républicains estiment donc qu’il s’agit là d’une affaire politique et n’instruisent pas le volet juridique, comme le font leurs collègues démocrates.

Chaque camp semble arc-bouté sur ses idées et sur une posture qui se répète sans cesse : le témoignage de Cohen a d’ailleurs un fort parfum de déjà-vu : le 8 juin 2017, James Comey témoignait devant le Congrès et les médias avaient là-aussi déployé des moyens colossaux pour couvrir cette séance et cela avait atteint des records d’audience sur un grand nombre de chaines. Le mot le plus prononcé durant cette période était le mot d’Impeachment, et beaucoup d’observateurs avaient été catégoriques pour dire que Donald Trump ne pourrait pas y échapper.

Peut-il y avoir un Impeachment à partir d’un tel témoignage ?

L’Impeachment, lui, est véritablement un acte politique et il repose sur une décision de la Chambre des représentants qui a la responsabilité de sa mise en marche de la procédure. Cela correspond à une mise en examen, si on compare avec notre droit pénal. Mais c’est une procédure qui existe pour pouvoir juger tous les haut-cadres, ministres, juges ou élus divers à l’échelon fédéral, et donc –bien sûr–, y compris le président des Etats-Unis. Il s’agit de définir si une telle personne a commis un acte grave qui mériterait qu’il ne poursuive pas son mandat ou ne reste pas en fonction. L’Impeachment peut être lancé à n’importe quel moment et on se rend compte que beaucoup de démocrates souhaitent réellement cet Impeachment actuellement : c’était même une demande majeure pendant la dernière campagne de mi-mandat, qui s’est déroulée en novembre 2018, et une raison supérieure de faire campagne d’après ce que disaient et répétaient beaucoup de ces candidats, particulièrement les nouveaux. Beaucoup des jeunes députés qui ont atteint le Congrès pour la première fois l’avaient donc promis à leurs électeurs, à l’image de Rachida Tlaib, qui a confirmé « qu’elle était là pour destituer cet e****é » , d’après ses propres mots, prononcés immédiatement après son élection.

La nervosité est telle aujourd’hui à Washington qu’on peut penser que l’Impeachment aura certainement lieu avant la fin du mandat ; mais certainement pas sur cette affaire et avec ce témoignage. Il n’y a vraiment pas assez de fond pour que cela aboutisse cette fois-ci et cela ne passerait certainement même pas la Chambre des représentants. Mais, après le Shutdown et l’état d’urgence, ce témoignage rajoute à la crispation ambiante et s’inscrit dans la longue liste de griefs que les démocrates ont contre leur président pour des questions d’éthiques. Cette question d’éthique a fait l’objet d’un profond débat au sein du Parti démocrate et a été le sujet de la première loi de la Chambre des représentants cette année ; son importance est aussi rappelée à chaque nouvelle candidature démocrates qui est annoncée, come celle en particulier de Bernie Sanders, d’Elizabeth Warren ou d’Amy Klobuchar, et sera un thème fort pendant la prochaine campagne électorale. Ce mouvement est censé contre-balancer toutes les mauvaises actions et la mauvaise tenue de ce président hors-norme, dont les démocrates ne veulent plus. On comprend donc que les mots prononcés en préambule par Michael Cohen étaient justement destinés à ce public démocrate, lorsqu’il affirmait que Trump est un raciste, un escroc et un tricheur.

Il faut toutefois insister sur le fait que s’il devait y avoir une procédure d’Impeachment, ce ne sera pas forcément pour déplaire à Donald Trump, puisque cette procédure comporte une deuxième partie qui pourrait tout changer : après le vote par la Chambre, le dossier est instruit par le Sénat, qui se transforme en véritable Cour de Justice et juge l’accusé. Or, le Sénat est sous le contrôle des républicains et il serait quasiment impossible de trouver une Super-majorité contre le président (la majorité des deux-tiers est requise), sauf à avoir un acte très grave à lui reprocher, avec les preuves qui vont avec.

On en est loin et ce témoignage n’a rien apporté de sérieux. Donald Trump serait donc au final très certainement innocenté et pourrait alors crier à l’obstruction. Ce pourrait être un piège mortel pour le Parti démocrate, à qui le peuple américain pourrait reprocher d’avoir monté une opération politicienne contraire à l’intérêt du pays, et réélire Donald Trump très facilement, sans même qu’il ait à mener une campagne politique, basée sur son bilan et un nouveau projet. C’est ce qui s’était produit avec Bill Clinton en 1998.

Les démocrates vont donc faire beaucoup de bruit avec ce témoignage, en espérant qu’il affaiblira un peu Donald Trump ou atténuera dans l’immédiat le bon impact éventuel d’un sommet réussi avec Kim Jong Un. Car personne n’est à l’abri de rien.

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