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Au PS, les intellos ne sont plus à la page
©Reuters

Bonnes feuilles

Le costume cintré et le verbe ciselé, ils se ressemblent presque tous. À mille lieues de la vraie vie, ils n’ont, pour la plupart, jamais posé un orteil dans une entreprise ou une administration. Contrairement à leurs aînés, ils n’ont pas fait leurs classes à l’ENA, mais auprès d’un chef de parti ou d’un député-maire. Des «apparatchiks» comme on dit, qui excellent dans les coups de billard à trois bandes et l’art du placement. De François de Rugy (En Marche !) à David Rachline (FN) en passant par Razzy Hammadi (PS) et Guillaume Peltier (LR), les professionnels de la profession squattent tous les bancs. Or certains d’entre eux multiplient les dérapages incontrôlés et précipitent la mort des partis traditionnels : salaires en or, emplois fictifs, business trouble... Extrait de "La République des Apparatchiks" de Jean-Baptiste Forray aux Editions Fayard (1/2).

Jean-Baptiste  Forray

Jean-Baptiste Forray

Jean-Baptiste Forray est rédacteur en chef délégué de La Gazette des Communes. Il a déjà publié Les Barons et La République des apparatchiks.

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Désert intellectuel

Le PS n’échappe pas à cette dévitalisation. « La génération des Jospin, Rocard, Fabius, tout énarques furent-ils, s’intéressait au monde des idées. Aujourd’hui, les grands élus socialistes lisent, au mieux, la revue de presse de leurs collaborateurs épurées des tribunes de fond », s’alarme le politologue Rémi Lefebvre1.

Bien sûr, le PS attire encore quelques intellos : Matthias Fekl, Emmanuel Maurel et Guillaume Bachelay chez les quadras. « Mais beaucoup de dirigeants singent le capital culturel pour donner le change. L’appauvrissement est terrible », déplore Rémi Lefebvre. La phrase de Jaurès : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel », reste un tube de congrès. Mais qui, chez les solfériniens, lit encore le père de la pensée socialiste ? Qui maîtrise la complexité de son œuvre ? Qui ose se plonger dans les sinuosités de Marx ? Le parti de Jaurès, Blum et Mitterrand traverse une éclipse intellectuelle.

Dans l’appareil, les intellos ne sont plus à la page. Pierre Moscovici l’a bien saisi, qui, en 2008, soigne avant tout son profil d’apparatchik. «On essaie de me présenter comme un intellectuel aristocratique, ce n’est pas mon cas, assure sans rire l’énarque diplômé de philosophie, fils du père fondateur de la psychologie sociale, Serge Moscovici2. Je suis le plus ancien membre du secrétariat national du PS. J’ai été trésorier du parti, ce qui, en termes d’appareil, représente quelque chose. »

« L’Ours, l’Office universitaire de recherche socialiste, abat un travail de titan, mais il est totalement méprisé », se désespère Rémi Lefebvre. Dans les couloirs de la rue de Solférino, on ne trouve plus guère de Michel Rocard apte à résumer la controverse idéologique entre Lénine et le pape de la social-démocratie, Karl Kautsky. Dans son dernier entretien accordé au Point, le père de la deuxième garde se montrait particulièrement incisif avec ses jeunes camarades.

« Ils n’ont pas eu la chance de connaître le socialisme des origines, qui avait une dimension internationale et portait un modèle de société. Jeune socialiste, je suis allé chez les partis suédois, néerlandais et allemand, pour voir comment ça marchait. Le pauvre Macron est ignorant de tout cela. La conscience de porter une histoire collective a disparu, or elle était notre ciment. Macron comme Valls ont été formés dans un parti amputé. Ils sont loin de l’histoire, pestait Michel Rocard. »

Nombrilisme au PS

« Les cadres du PS n’ont plus besoin de lire, ils savent. C’est une bulle. Cela va leur péter à la tronche. Ils ne vont plus pouvoir expliquer longtemps que les bac + 8 sont des salauds et les bac - 2 des minables », fulmine le politologue Gaël Brustier. Ce spécialiste des mouvements à la marge des partis était encarté au PS. Il n’aurait pas dédaigné quelque responsabilité. De guerre lasse, il s’en est allé.

« Le PS a toujours eu l’impression d’être le nombril du monde et que la Terre tourne autour de lui, mais là, cela prend des proportions pathologiques », convient le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis3. « La Rochelle, c’était ça : un parti où les élus et les collaborateurs d’élus prennent des proportions écrasantes. Le festival de Cannes de la social-médiocratie », raille Gaël Brustier.

Qu’elle est loin, la gauche joyeuse des années 1970 ! La rue de Solférino ressemble alors à une ruche bourdonnante, à des lieues de la politique professionnelle. Les commissions d’études et de réflexion carburent à plein régime. « Au sein du “groupe des experts”, il y avait des profs de droit, des économistes, des profs de sciences, des intellectuels, des avocats, détaille Pierre Joxe. Ils étaient précieux et honorés d’être là. Aujourd’hui, c’est le désert… La commission internationale, l’appel aux spécialistes des sciences sociales, tout cela a été abandonné. L’expertise majeure aujourd’hui, c’est la “com’”, comme disent… comiquement les “communicants”. »

Durant les dix glorieuses qui mènent au 10 mai 1981, le PS infuse dans la société. Plus de 200 sections d’entreprise et 800 groupes socialistes d’entreprise sont recensés. La moyenne d’âge, au secrétariat national, ne dépasse pas les 40 ans.

Pour reconstruire la gauche, François Mitterrand s’entoure de ses « sabras ». Un quatuor de technocrates ultra-politisés, composé de Laurent Fabius, du Conseil d’État et de Normale Sup ; Lionel Jospin, du Quai d’Orsay ; Paul Quilès, de Polytechnique ; et Pierre Joxe, de la Cour des comptes. Uniquement de gros calibres. Rien de tel durant les années Hollande.

Extrait de "La République des Apparatchiks" de Jean-Baptiste Forray aux Editions Fayard

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