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Arno Klarsfeld "Quand Manuel Valls m'expliquait - en me virant - qu'il n'y a pas de différence de fond entre la gauche et la droite en matière d'immigration"
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La porte

Arno Klarsfeld revient sur son éviction en janvier dernier de la présidence de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Arno Klarsfeld

Arno Klarsfeld

Arno Klarsfeld est avocat. 

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Le feu crépite dans la cheminée du bureau du ministre de l’intérieur place Bauveau. Ce feu crépitait sous Sarkozy, sous Guéant et il crépite encore sous Valls. Il devait crépiter aussi quand ce lieu était le ministère de l’Algérie et des Colonies. L’hôte des lieux qu’il soit de centre droit de centre gauche, ministre du II Empire ou d’un président du conseil voit sans doute dans ce feu comme un symbole du pouvoir qu’il montre avec un peu de vanité aux personnes invités ou convoqués.. L’homme de cro-magnon devait trouver un égal plaisir à faire contempler son feu dans la caverne.

-Le Ministre va vous recevoir, me dit l’huissier.

Valls  se tient droit, son menton attiré vers le plafond comme par un fil invisible. Je l’ai déjà vu il y a quelques mois lorsqu’il est venu visiter l’Ofii rue de la Roquette. Il serait sympathique si ce n’était son air pompeux. Sa biographie indique ancien élève de Paris 1 (comprenne celui qui peut), un parcours d’apparatchik, son esprit opportuniste comprend cependant que la société française n’a guère changé depuis Balzac : morgue et sérieux suscitent aussitôt dans les milieux parisiens « autorisés » sympathie et empathie.

Il m’a « convoqué » pour me virer c’est certain. Il aurait pu s’épargner la peine de le faire personnellement. C’est une forme de courtoisie administrative française bien ridicule à mon goût. Douze heure trente : l’heure est cependant décente. Moins pénible que pour le préfet de Paris convoqué à 7 heures du matin. Un préfet proche de Sarkozy c’est vrai mais intègre, compétent, efficace et méritant. Un préfet qui faisait l’unanimité et à qui il ne restait qu’un an avant la retraite. Un soufflet  inutile.

-Vous avez raison, me dit Valls après quelques minutes de conversation, ll n’y a pas de différence de fond entre la gauche et la droite en matière d’immigration. Et d’ailleurs je n’ai pas l’intention d’opérer une rupture en matière d’immigration. Tout est dans le ton. Ce n’est pas un sujet qui doit être central pour les français. ils ne doivent pas y penser, surtout ne pas y penser...

Suit un moment de silence.

Il prend un peu de respiration

-Mais voila nous opérons des changements nous avons change le secrétaire général de l’immigration, nous avons nomme un nouveau directeur de l'ofii donc il serait normal...

-C’est quand même paradoxal puisque vous faites aujourd'hui ce que je disais hier et contre lequel vous vous indigniez alors avec tant de grandeur d’âme.

Je lui rappelle que lui et ses amis accusaient Sarkozy de contribuer à écrire une page de honte dans le livre de l’histoire de France en démantelant les campements illégaux roms et qu’aujourd’hui c’est lui qui donne les ordres d’évacuation aux préfets.Je lui rappelle cependant que j’ai été à l’origine de l’abrogation de la double peine alors qu’il travaillait pour un gouvernement socialiste qui était contre, que j’ai été a l’origine de la circulaire permettant aux parents d’enfants scolarisés ayant toutes leurs attaches en France d’être régularises, que mon engagement contre l’extrême droite n’a pas été seulement en paroles comme lui mais en actes Je lui rappelle aussi qu’en 1993, mes parents, un groupe de fils et filles des déportés juifs de France, quelques jeunes juifs et moi-même avions manifesté à Rostock, où des foyers Roms avaient été brûlés par l’extrême droite. Le gouvernement allemand voulait  alors expulser vers l’ex-Yougoslavie, alors en guerre, plusieurs milliers de Roms et Cintis où ils couraient le risque d’être massacrés par les milices armées locales. Cela m’avait valu quelques jours de prison.

Il écoute sans entendre véritablement, il est habitué. Difficile de titiller un homme politique, il est comme un crocodile, il a le cuir épais. D’ailleurs ce qui est important ce n’est pas ce que j’ai fait ou pas fait, ce qui est important c’est ce que je symbolise : proche de Sarkozy, pro-américian, volontaire dans la police des frontières en Israël… c’est un chiffon rouge vif pour toutes les associations d’extrême gauche et qui ne pardonneraient pas à Valls de ne pas changer les hommes les plus haïssables pour eux si déjà il ne change pas de politique. De son point de vue  je dois tout de même admettre qu’il est dans le vrai.

L‘entretien est clos. Il me raccompagne à la porte et me dit

-Vous remarquez je ne vous demande pas de démissionner. Mais il y a des choses qui ne doivent pas être dites… Notamment sur les Roms…Trop de franchise en politique, ce n’est pas une qualité…Au revoir M. le Président de l’Ofii

-Au revoir M. le Ministre

On est toujours très poli en France, surtout dans la haute administration. C’est loin d’être une preuve de gentillesse. L’ important en France est d’accéder au pouvoir. Personne ne se soucie des promesses et des déclarations précédentes.

Valls ne veut pas,  dit-il, dormir dans le même lit que Guéant mais cela ne le dérange pas d’appliquer la même politique assis au même bureau. Il est tout de même paradoxal de donner Le Cid comme modèle aux écoliers pour placer Tartuffe au ministère de l’intérieur.

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