Apple Watch : la montre dont personne ne comprend l’utilité<!-- --> | Atlantico.fr
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Les ventes de l'Apple Watch se sont effondrées.
Les ventes de l'Apple Watch se sont effondrées.
©Reuters

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Si les ventes de l'Apple Watch ont demarré en fanfare, elles se sont stabilisées beaucoup trop rapidement pour parler de succès commercial. 2.5 millions de montres se sont vendues depuis son lancement, dont la moitié le premier jour, analysent les spécialistes.

Laurence Allard

Laurence Allard

Laurence Allard est sociologue de l’innovation et ethnographe des usages des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle est également maîtresse de conférences en Sciences de la Communication, enseignante à l’Université Lille 3, et chercheuse à l’Université Paris-3, IRCAV (Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel). Elle travaille sur les pratiques expressives digitales (Web 2.0, remix, internet mobile), des thèmes «mobile et société», «politique technique et art/culture» ou la «culture des data». Elle est en particulier l’auteure de «Mythologie du portable» (Éditions Le Cavalier Bleu, 2010). Son dernier livre "Téléphone mobile et Création", publié aux Editions Armand Colin a été co-dirigé avec Laurent Creton et Roger Odin. 

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Atlantico : Les ventes ne sont pas bonnes pour le géant américain. L'explosion des commandes, puis son net ralentissement, sont-ils couramment observés lors de lancement de produits Apple ? Ou d'autres produits informatiques ?

Laurence Allard : Les montres connectées visent un public de niche, et la chute des ventes, après les premiers jours, me semble cohérente car la demande est assez étroite. Le public, susceptible d’acheter ces produits, est sociologiquement caractérisé : il s’agit de fan qui achèteront tous les produits Apple, qu’ils y trouvent une utilité ou non. La fidélité de certains consommateurs, plus que l’utilité du produit, explique davantage ces ventes. D’autres types de montres connectées, sorties par exemple par Samsung, sont beaucoup moins utilisées et se vendent moins bien, car il n’y a pas le même public.

Des études prouvent que les montres connectées sont laissées de côté assez rapidement, et que le monde connecté ne fonctionne pas forcément très bien chez les concurrents. Le succès de l’AppleWatch s’explique par une communauté resserrée de clients Apple. Ces ventes sont un succès dans la mesure où le produit proposé n’est pas un produit de masse.

Apple a mis plus de deux ans à vendre 2 millions d'Ipod, quand ce produit a révolutionné l'écoute de la musique. L'utilité de la montre nous a t-elle échappée ou est-ce un réel gadget ? 

Il est difficile de généraliser l’usage qu’auront ces montres connectées à partir de ce produit Apple. Encore plus que les produits précédents, la montre est consommée par distinction sociale, pour son design, avec un usage de la marque qui dépasse celui du produit. Il est difficile de comparer la sortie de ce produit avec celui d’un autre, car c’est un produit de niche. Avec 7 milliards d’abonnés au mobile, cette montre aura probablement une utilité plus massifiée dans l’avenir.

Actuellement, qu’elle que soit la classe sociale de l’acheteur, tout le monde souhaite se procurer un smartphone, Apple ou non. Mais le produit générique du smartphone est beaucoup plus démocratique que la montre, chacun ayant eu sa propre expérience. La montre connectée représente une avancée très innovante, qui s’inscrit dans une panoplie technologie très complexe.  

Pourquoi la firme à la pomme va t-elle continuer d'inventer des objets dont nous n’avons pas nécessairement l'utilité, et de fabriquer des besoins ? Souhaite-t-elle nous faciliter la vie ou vendre toujours plus ? 

La montre connectée n’est pas sortie des tuyaux de la firme d’Apple. Ce n’est pas une innovation propre à Apple. Beaucoup de modèles sont sortis bien avant, et plusieurs concurrents ont arrêté d’en produire. Apple a repensé l’idée, a renouvelé le design, etc, et va continuer d’aller dans ce sens pour nourrir son public de niche.

La montre connectée vise des interstices, c’est à dire des moments de la journée qui pouvaient être encore déconnectés : un coup d’œil en réunion, un coup d’œil en voiture. L’AppleWatch vise à combler ces moments, et à saturer nos temps de vie par la communication et la connexion. C’est un produit qui vise à développer de nouveaux usagers, même si ces nouveaux usages ont été apprivoisés, pour le moment, que par un petit nombre.

Un autre élément important de la montre est l’usage de captation de données qui peut en être fait : lecture et synchronisation des données, capteurs d’activités, battements de cœur, etc. Cet élément attire autant qu’il repousse.

D’un point de vue anthropologique ou philosophique, quelles sont les conséquences de cette volonté d’Apple de saturer le moindre interstice de temps disponible pour proposer de nouveaux moyens de communication ?

La manière même de communiquer se trouve bouleversée : nous n’échangeons plus de nouvelles par des phrases ou des abréviations, mais par des émoticônes ou un battement de cœur. Les formes d’expression deviennent minimales. Ces objets viennent saturer notre temps de vie, quand nous avons déjà un rapport très organique avec les moyens de communication, de plus en plus près du corps et de plus en plus invasif. C’est un bon sujet de réflexion. 

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