Appels en série dans l’affaire Bettencourt : ce que dit vraiment le jugement sur Patrice de Maistre et l’avocat Pascal Wilhelm <!-- --> | Atlantico.fr
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Affaire Bettencourt : le Tribunal correctionnel de Bordeaux vient de condamner sévèrement François-Marie Banier, Patrice de Maistre et l’avocat Pascal Wilhelm.
Affaire Bettencourt : le Tribunal correctionnel de Bordeaux vient de condamner sévèrement François-Marie Banier, Patrice de Maistre et l’avocat Pascal Wilhelm.
©Reuters

Autopsie

Le Tribunal correctionnel de Bordeaux vient de condamner sévèrement François-Marie Banier, Patrice de Maistre et l’avocat Pascal Wilhelm. Ils ont interjeté appel. La lecture des 282 pages de la décision est édifiante et révèle un monde balzacien où intrigues, jeux de cour et appât forcené du gain ont été monnaie courante.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • L’affaire Bettencourt sera à nouveau  jugée. Mais cette fois sans Eric Woerth, l’ancien ministre du Budget qui a été relaxé. Et sans Stéphane Courbit qui n’a pas interjeté appel
  • L’écrivain-photographe François-Banier devra verser  à Mme Liliane Bettencourt 158 millions d’euros de dommages- et- intérêts
  • Pour Patrice de Maistre, l’ex- gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, la somme à verser est de 12 millions d’euros. Pour l’avocat Pascal Wilhelm, elle sera de 2,9 millions
  • L’appel interjeté par les prévenus est suspensif. Le nouveau procès devant la Cour d’appel de Bordeaux devrait avoir lieu dans quelques mois

Ainsi donc, sept prévenus de l’affaire  Bettencourt –parmi lesquels François-Marie Banier, Patrice de Maistre, l’ex-gestionnaire de fortune de l’actionnaire principale de l’Oréal et l’avocat Pascal Wilhelm- ont décidé d’interjeter appel du jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux rendu le 28 mai. A dire vrai, ce n’est guère surprenant, tant ces trois acteurs de cette histoire à tiroirs ont été sévèrement épinglés.  Ne serait-ce qu’au niveau des dommages et intérêts qu’ils doivent verser à la vieille dame âgée aujourd’hui de 92 ans : 158 millions d’euros pour le photographe-écrivain, 12 millions d’euros pour de Maistre et 2,9  pour Me Pascal Wilhelm.

L’appel permettra-t-il à ce trio d’espérer une peine plus clémente ? C’est possible, les juges d’appel réduisant souvent les sanctions infligées en première instance. Mais rien n’est acquis, tant la plongée où nous emmène la décision sur cette affaire d’abus de faiblesse apparait meurtrière pour ces trois protagonistes. Car c’est ainsi : en lisant les 282 pages du jugement, on mesure combien, et pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec le désintéressement, tout ce petit monde aimait Mme Bettencourt. Passons sur le cas de François-Marie Banier, qui a fait preuve d’une belle gourmandise, et a été sévèrement condamné (trois ans de prison dont six mois avec sursis et 350 000 euros d’amende). Mais pour lui, les choses en dehors de l’appel, ne sont pas irrémédiablement terminées, puisqu’une instruction en cours à Paris a révélé que le photographe –dandy avait été victime de témoignages mensongers de la part de la principale accusatrice de cette histoire, Claire Thibout, la fameuse comptable de Mme Bettencourt.  Cette dernière n’est pas seule à avoir chargé Banier : quatre ou cinq personnes au service de la vieille dame, ont fait de même…Quant à l’analyse, par le Tribunal, de la stratégie de Patrice de Maistre et de Me Pascal Wilhelm, faisant fi de la faiblesse de Liliane Bettencourt pour lui soutirer l’argent, elle laisse pantois. 

C’est ainsi que le premier, gestionnaire de fortune du Family Office de Mme Bettencourt depuis 2003,   a largement profité de ses libéralités.  Le 23 septembre 2008, par exemple, il aura droit à une donation de 5 millions d’euros, au paiement des droits sur cette dernière ( 3 millions) et l’obtention d’espèces non déclarées entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2009, d’un montant total de 4, 5 millions d’euros… Libre à Mme Bettencourt de se montrer généreuse… sauf que, au cours de cette période, selon le Tribunal, Patrice de Maistre "avait bien mesuré l’état de détresse et de fragilité de Liliane Bettencourt." Indice (fort) qui atteste d’un comportement ambigu, il ne souhaitait pas que la riche héritière, en cette année 2009, subisse une expertise médicale. Et le tribunal de constater : "Patrice de Maistre a pris une véritable  ascendance sur la vieille dame qui ne pourra que suivre la voie dessinée par l’homme en qui elle a placé toute sa confiance."

Que dire encore des enregistrements sauvages (2009-2010) effectués  à l’hôtel particulier de Neuilly de la veuve d’André Bettencourt, ancien ministre du général de Gaulle, où l’on découvre, un Monsieur qui ne se gêne pas pour proposer à sa cliente de rapatrier ses comptes de Suisse à Singapour…Ce qui n’est plus ni moins que de la fraude fiscale !  Le Monsieur n’est autre que Patrice de Maistre, qui, le 26 juin 2009, se voit octroyer, par convention signée avec sa patronne, une rémunération annuelle- via sa société Eugenia et associés- de 1 200 000 euros HT… au lieu des 800 000 qu’il avait obtenus trois ans seulement auparavant. Quant à l’indemnité de rupture anticipée, elle passe à 2 400 000 euros,  toujours HT. Soit 2 années de salaire.

Suivent encore les passages consacrés aux remises d’argent par  Maistre à Eric Woerth. Des faits pour lesquels l’ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy a été relaxé. Exit donc le volet politique de cette affaire. A l’issue  de la  lecture des 38 pages de ce jugement qui concerne exclusivement Patrice de Maistre, on reste toujours ébahi par l’atmosphère qui régnait rue Delabordère à Neuilly-sur-Seine, là où se trouvait l’hôtel particulier de Liliane Bettencourt. Une atmosphère où tout le monde, personnel de maison-important et moins important-, politiques, avocats rendait visite à une vieille dame visiblement fatiguée, usée. Et pour tout dire, dans une grande détresse.

Avec l’avocat Pascal Wilhelm, on reste dans ce monde balzacien où intrigues, jeux de cour et jalousies sont le terreau parfait et dont Patrice de Maistre a été l’un des maîtres de cérémonie. D’ailleurs, Wilhelm a été un temps le conseil de Pascal de Maistre avant d’être celui de  Stéphane Courbit, industriel de l’audiovisuel qui a fait investir, à l’actionnaire principale de l’Oréal 143 millions d’euros dans sa société  Lov Group dont elle n’avait aucun idée quant à son activité ! Cela, aux termes d’un protocole d’accord signé le 17 décembre 2010 entériné par un autre protocole en date du 28 mars 2011. Question : Me Wilhelm était-il au courant de la vulnérabilité de la vieille dame ? On pourrait penser que non, puisqu’il  affirme n’avoir connu Mme Bettencourt qu’en juin-juillet 2010 par l’intermédiaire de Patrice de Maistre pour organiser  et coordonner  sa défense…

Seulement voilà : l’avocat livre sa propre vérité qui n’est pas la vérité. En effet, dès 2008, il ne pouvait ignorer l’état de santé de Mme Bettencourt puisque conseil de Patrice de Maistre dans le cadre  de la procédure pénale initiée par la fille de Liliane, Françoise Meyers. De plus, il connaissait Patrice de Maistre  depuis 1996. Comment Me Wilhelm, note en substance le jugement,  peut-il soutenir n’avoir rien su de l’état de santé de Mme Bettencourt, puisque dès le 8 juin 2010, -soit 7 mois avant le protocole d’accord signé avec Courbit dont il sera aussi le conseil, comme il a été celui de sa banque- il aura connaissance des fameux enregistrements sauvages réalisés par le majordome Pascal Bonnefoy ? Or, note le jugement, "certaines conversations  tenues par Liliane Bettencourt entre le 25 mai 2009 et le 11 mai 2010 démontrent [que cette dernière] a des troubles de mémoire, de concentration […] et fait preuve d’incompréhension sur des sujets complexes".  Puis, le tribunal, après avoir rappelé que Me Wilhelm "n’a pu non plus ignorer les témoignages contenus dans la plainte de Françoise Meyers",  écrit cette phrase assassine : "Pascal Wilhelm a également été informé des pièces figurant au dossier du juge des tutelles, puisqu’il s’est opposé à la recevabilité de la demande d’ouverture d’une procédure  de protection des incapables majeurs formée par Françoise Meyers le 6 octobre 2010 devant le juge des tutelles du tribunal d’instance de Courbevoie." Le 28 mai, le tribunal  condamnera Patrice de Maistre, outre à des dommages-et-intérêts et une amende  de 250 000 euros, à 30 mois de prison dont un an avec sursis. Me Wilhelm se verra infliger une peine identique. Quant à Stéphane Courbit qui a remboursé les 143 millions d’euros à Mme Bettencourt la veille du procès fin février 2015, il écope d’une peine relativement clémente : 250 000 euros. Mais pas de prison. Il n’a pas interjeté appel. On comprend pourquoi.

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