Appel des 800 sur la jungle de Calais : quand les revendications purement morales empoisonnent la situation tout en n'aidant pas les migrants <!-- --> | Atlantico.fr
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Un camps de migrant à Calais.
Un camps de migrant à Calais.
©Reuters

Désengagement

A travers l'appel des 800, publié mardi 20 octobre sur le site de Libération, des personnalités issues du monde artistique, universitaire ou militant demandent au gouvernement "un large plan d’urgence pour sortir la 'jungle' de Calais de l’indignité dans laquelle elle se trouve".

Atlantico : Dénonciation de l'inaction du gouvernement pour les uns, surenchère morale pour les autres, doit-on voir dans "l'appel des 800" (voir ici) une forme de culpabilisation et une injonction à la responsabilité prenant racine dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ? Dans quelle mesure ce texte est-il utile ou non pour traiter la question des migrants à Calais ?

Laurent Chalard : "L’appel des 800" s’inscrit dans une vieille tradition française de mobilisation des intellectuels et du milieu culturel pour des causes humanistes depuis l’affaire Dreyfus. Sa publication n’a donc rien de surprenante et aurait même pu être saluée si son propos s’était contenté de dénoncer les conditions sanitaires de la jungle de Calais, effectivement honteuses pour notre pays, sans dévier sur le plan idéologique par une mise en accusation du "climat ambiant", en dénonçant le fascisme et les intellectuels (on aura compris qui sont les personnes visées) qui feraient son lit, ce qui est ridicule. En effet, la crise des migrants est le produit d’une situation géopolitique internationale, qui dépasse largement le cadre national, et présenter les migrants uniquement comme des victimes est aller un peu vite en besogne quand on ne connaît pas leur profil. En effet, rappelons que les violences et les viols concernent aussi les populations européennes vivant près des camps de migrants, dont certains sont parfois d’anciens tortionnaires dans leur pays d’origine, donc il ne faut pas raconter n’importe quoi et sortir d’une logique binaire : "gentils migrants"/ "méchants autochtones", d’autant que la population du Calaisis n’a pas vraiment les mêmes moyens financiers que les signataires de l’appel !

Plus qu’une forme de culpabilisation et une injonction à la responsabilité prenant racine dans l’histoire de la seconde guerre mondiale, cet appel témoigne surtout de l’existence d’un micromilieu culturel et intellectuel parisien d’extrême-gauche complètement déconnecté des réalités du monde et obsédé par l’idée d’être du côté du bien et de défendre les miséreux, qui ne peuvent être qu’ethniquement autre, puisque qu’ils méprisent les français pauvres (les "beaufs"), dont ils veulent se différencier, suivant la logique de distinction typique des milieux sociaux favorisés. En conséquence, "l’appel des 800" apparaît surtout comme le révélateur d’une pathologie de personnes qui n’assument pas leur richesse et qui ont besoin de faire parler d’elles en bien. Même si cela ne concerne pas tous les artistes, il ne faut pas oublier aussi que la défense de causes diverses et variées est devenue un véritable business dans le show-biz, qui peut rapporter gros ! Par ailleurs, si ces artistes étaient cohérents avec eux même, ils devraient avant tout demander la démission de François Hollande, puisque la crise des migrants est une conséquence de sa politique étrangère sans queue ni tête… Il est malheureusement pour beaucoup d’entre eux plus facile de s’émouvoir que de réfléchir aux causes profondes des problèmes du monde contemporain.

Ce texte, fortement critiquable sur le fond étant donné son caractère stalinien, apparaît néanmoins utile au débat dans le sens qu’il insiste sur l’indignité de la jungle de Calais, qui ne devrait pas exister dans un pays aussi riche que le nôtre. Il devrait pousser le gouvernement à prendre ses responsabilités, ce qu’il n’a pas fait depuis une quinzaine d’années, les politiques du Calaisis étant laissés seuls face au problème des migrants clandestins souhaitant passer au Royaume-Uni. En effet, comme les migrants calaisiens sont seulement en transit sur notre territoire, nos dirigeants n’ont jamais voulu s’occuper sérieusement du problème, puisque de toute façon, ces migrants finissent tous, un jour ou l’autre, par rejoindre l’autre côté de la Manche. Or, quelle que soit l’opinion de chacun sur l’immigration, laisser se constituer des bidonvilles de la sorte pose aussi un risque sanitaire et sécuritaire pour les populations environnantes, ce qui sous-entend qu’il vaut mieux un camp de migrants propre et sécurisé que "dégueulasse" et chaotique. 

Dans un rapport publié mardi, la cour des Comptes s'inquiète de la politique d'asile, mal maitrisée en France. Elle déplore aussi que "l'engorgement des hébergements pour les demandeurs d'asile se répercute sur l'hébergement d'urgence de droit commun à destination des sans-abri, mettant l'accent sur la "concurrence" des populations. Est-ce justifié d'après vous ?

Le rapport de la cour des Comptes est pour une fois très réaliste, ce qu’il convient de saluer à une époque où le déni du réel gouverne notre pays, personne ne souhaitant endosser ses responsabilités face aux différents problèmes que nous connaissons. Si la concurrence entre les populations n’est pas généralisée, dans le sens que les sommes accordées aux migrants restent dérisoires par rapport aux besoins d’aides financières des pauvres vivant en France, il n’en demeure pas moins que le gouvernement a été très maladroit d’attribuer des hébergements réservés aux sans-abri à des demandeurs d’asile, alors qu’il en manque. Si l’Etat souhaitait héberger des migrants, il fallait leur construire des bâtiments provisoires spécifiques et non les mélanger avec d’autres populations. 

Quid des Calaisiens ? Pourquoi la population locale semble écartée de la problématique de "la Jungle de Calais" ?

Les calaisiens apparaissent comme les grands oubliés de la problématique de la jungle de Calais, comme s’ils n’étaient pas concernés en premier lieu par son existence et que leur point de vue, globalement très défavorable aux migrants, n’avait aucune valeur. Cette situation s’explique par la simple raison que Calais est une ville de la France Périphérique de Christophe Guilluy, ravagée par le chômage, dont nos dirigeants se moquent éperdument, d’autant qu’il semblerait que François Hollande nie désormais l’existence d’une France Périphérique, si l’on en croît son discours de La Courneuve. Pourtant, si la jungle de Calais se situait dans le bois de Boulogne en limite de Neuilly-sur-Seine, il y aurait longtemps qu’elle aurait été démantelée et que le problème aurait été réglé. Manifestement, l’Etat français se désengage de plus en plus de la gestion du pays, ne s’occupant plus que des quartiers bourgeois et "bobos", refusant d’exercer son autorité sur l’ensemble de l’espace national, en particulier sur les territoires où les classes populaires sont dominantes. Cette véritable déliquescence de l’Etat français explique la montée de la demande d’ordre dans l’électorat, aussi bien de droite que de gauche. Rappelons qu’il est difficilement compréhensible qu’un pays comme la France soit capable d’intervenir militairement au Mali, mais pas de s’occuper de la jungle de Calais !  

Alors que le ministre de l'Intérieur s'est rendu pour la 7e fois à Calais mercredi 21 octobre, les mesures adoptées jusque-là semblent inadaptées. Ces 3 dernières semaines, l'effectif a doublé passant de 3 à 6 000 personnes environ. Bernard Cazeneuve ministre a annoncé que le nombre de places dans le centre d'hébergement des personnes vulnérables passera de 100 à 200 avant la fin 2015. Quelle politique d'urgence efficace peut-on envisager ?

Il n’y a rien de surprenant à ce que les mesures du Ministère de l’Intérieur soient inadaptées, puisque du fait de l’entrée massive de migrants dans le territoire européen ces derniers mois, le nombre de migrants en transit vers le Royaume-Uni ne pouvait qu’augmenter lui aussi considérablement, ce que nos dirigeants n’ont pas su prévoir, vivant en permanence dans le déni du réel. En effet, passer de 100 à 200 places dans le centre d’hébergement des personnes vulnérables est ridicule face à l’afflux exceptionnel auquel nous devons faire face. Monsieur Cazeneuve fait preuve d’un amateurisme assez incroyable devant une situation inédite, qui demanderait une action rapide et ferme.

Concernant la politique d’urgence, il faudrait monter une ville en préfabriqués, ce que l’armée est capable de faire très rapidement, et dont des soldats s’occuperaient de la gestion et de la sécurité pour éviter que l’anarchie règne, comme c’est le cas à l’heure actuelle. En effet, les associations qui remplissent le rôle de l’Etat ne sont pas aptes à gérer une situation d’urgence et à faire régner l’ordre, d’autant qu’elles n’ont aucune légitimité, n’étant pas élues par le peuple français. L’Etat se doit donc de reprendre en main la situation.

Propos recueillis par Rachel Binhas

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