Appartement de Thierry Lepaon : les raisons qui pourraient expliquer un règlement de compte<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Canard Enchaîné publiait mercredi 29 octobre le devis des travaux, financés par la CGT, prévus pour l’appartement du secrétaire général Thierry Lepaon.
Le Canard Enchaîné publiait mercredi 29 octobre le devis des travaux, financés par la CGT, prévus pour l’appartement du secrétaire général Thierry Lepaon.
©Reuters

Qui veut sa peau ?

Le Canard Enchaîné publiait mercredi 29 octobre le devis des travaux, financés par la CGT, prévus pour l’appartement du secrétaire général Thierry Lepaon. Ces révélations sont un épisode probablement décisif dans la courte histoire d’un mandat déjà très contesté.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Des sommes importantes pour la CGT

Revenons d’abord sur l’affaire. Thierry Lepaon demande à sa centrale syndicale d’endosser un loyer mensuel de 2.000 euros et des travaux à hauteur de 130.000 euros pour rénover un appartement qu’elle n’achète pas. Outre que c’est bien la première fois qu’un locataire engage autant de travaux pour le compte de son propriétaire, les montants en jeu ne peuvent que choquer les adhérents du syndicat.

En effet, il existe une règle à la CGT: les responsables ne peuvent gagner plus de 2.300 euros mensuels. Au-delà, ils doivent reverser les sommes perçues à leur organisation. On pourrait d’ailleurs épiloguer sur les conséquences parfois négatives de cette règle, qui pousse, comme dans le cas de Thierry Lepaon, à trouver des arrangements avec le siècle pour améliorer son train de vie. Toujours est-il que 120m2 à Vincennes à ce prix ne peut que « défriser » non seulement la base, mais l’appareil lui-même.

Une machination politique ?

Selon mes informations, l’affaire des travaux ne tombe pas complètement du ciel. Certains soutiennent que le devis publié par le Canard a été envoyé à plusieurs responsables la semaine dernière par courrier anonyme. Les mauvaises langues ajoutent même que Thierry Lepaon aurait reçu une mise en garde discrète il y a plus d’un mois sur son train de vie, jugé trop confortable. Ces mises en garde venaient-elles vraiment, comme cela est suggéré, de quelque exécuteur des basses oeuvres de la place Beauvau?

Il est en tout cas certains que le gouvernement n’entretient pas les meilleures relations du monde avec le secrétaire général de la CGT. Dans la pratique, Thierry Lepaon est aussi fiable avec ses partenaires publics que Pierre Gattaz ne peut l’être. Fantasque, ludion, imprévisible, Lepaon ne tient pas sa place institutionnelle de courroie de transmission entre la base et le pouvoir. Ses nombreuses sorties injurieuses pour le président de la République n’ont pas arrangé la situation.

De là à penser que le pouvoir ait orchestré la déstabilisation en règle du secrétaire général de la CGT, il n’y a qu’un pas que les esprits pernicieux n’hésiteront pas à franchir. Pour le gouvernement, une CGT incontrôlable avec un leader contesté en interne constitue un facteur de risque évident en période économiquement sensible. Son prédécesseur, Bernard Thibault, avait le bon goût d’arrêter les grèves quand on le lui demandait.

L’annonce d’une grève nationale dans les transports à l’initiative de la CGT le 4 novembre montre que Thierry Lepaon n’a pas mis la fédération des cheminots sous contrôle, après un épisode douloureux pour le gouvernement sur le statut de la SNCF au début du printemps.

Un secrétaire général affaibli

Cette campagne de déstabilisation intervient à l’issue d’un long cycle d’affaiblissement interne. Thierry Lepaon est en effet très contesté.

La contestation tient d’abord aux conditions même de son arrivée à son poste. Choisi par Bernard Thibault dans une logique du « tout sauf » Eric Aubin qui était préféré par la base, Thierry Lepaon a multiplié les maladresses dès son élection. Il n’a pas cherché à fédérer les oppositions autour de lui et s’est contenté d’afficher une ligne contestataire sans être jamais force de proposition.

De fait, la CGT est devenue une grande absente des négociations interprofessionnelles, où Thierry Lepaon aime nommer des chefs de file totalement ignorants des dossiers et incapables de formuler une proposition articulée face à la CFDT et au MEDEF.

En outre, Thierry Lepaon a commis des erreurs symboliques majeures au sein de sa propre maison. Le 28 janvier 2014, il se rendait par exemple sans mandat de son organisation à une invitation du CRIF, où il a pris des positions favorables à Israël. Il n’en fallait pas plus pour lui attirer les foudres d’une grande partie de sa base, sensible à la cause palestinienne, et ennemie jurée de l' »ethnicisme » du CRIF.

Ce genre d’épisode a fini par contaminer les relations avec les medias. Lors d’une conférence de presse du 5 septembre, Thierry Lepaon faisait par exemple interdire l’entrée des locaux à une journaliste des Echos. Ce genre de bavures n’était évidemment pas fait pour le rendre sympathique à ses interlocuteurs.

Des doutes sur son passé à la CGT

Ces polémiques n’ont fait que conforter les doutes exprimés par plusieurs responsables du syndicat.

Lors de son « choix » par son prédécesseur, certains n’avaient pas hésité à ressortir des archives où le rôle exact de Thierry Lepaon était mis en cause. Délégué CGT de l’entreprise Moulinex, Thierry Lepaon était accusé d’avoir peu soutenu le mouvement social qui y avait éclaté. Certains considéraient même qu’il avait tout fait pour le « casser ».

Du coup, les uns et les autres ont fouillé et commencé à interroger ses relations avec Alfred Sirven, avec les dirigeants de Moulinex, et même ses liens avec la franc-maçonnerie. Thierry Lepaon est en effet initié dans une loge normande, et ses parrains ne semblent pas avoir appartenu à la famille marxiste.

Tous ces épisodes ont été gérés de façon désastreuse en interne, où Thierry Lepaon, comme sur son appartement, n’a jamais semblé prendre la mesure des risques auxquels ils s’exposaient et a toujours préféré une stratégie de déni plutôt qu’une logique de transparence.

Bref… qui veut sa peau ?

Il faut probablement se demander à qui le crime profite. Le déliquescence dans laquelle Thierry Lepaon a fini de plonger la CGT constitue une menace pour l’ensemble des partenaires sociaux, Etat compris, puisque, en France, l’Etat fait partie du jeu de la négociation. Plus qu’un complot, il existe sans doute une volonté tacite de changer les têtes à la CGT, pour mieux garantir la paix sociale à l’horizon d’une phase compliquée de réformes.

*Cet article a éte précédemment publié sur le blog de Éric Verhaeghe

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