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Alexandra Laignel-Lavastine : "Ils meurent pour Allah ! Et nous, pour quoi sommes-nous encore prêts à mourir ?"
©REUTERS/Stringer

Un livre de combat

Dans son nouvel essai, incisif et coup de poing, la philosophe Alexandra Laignel-Lavastine sonne le tocsin. Et nous invite à nous arracher au déni et au somnambulisme où la France s’illustre depuis "Charlie". Parce qu’une guerre se gagne d’abord dans les esprits.

Alexandra Laignel-Lavastine

Alexandra Laignel-Lavastine

Docteur en philosophie, historienne, essayiste, longtemps critique au Monde, Alexandra Laignel-Lavastine a reçu le Prix de l’Essai européen en 2005, le Prix de la Licra en 2015 pour La Pensée égarée. Islamisme, populisme, antisémitisme : essai sur les penchants suicidaires de l’Europe (Grasset) et la Ménorah d’or 2016 pour l’ensemble de son œuvre. Elle est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, la plupart traduits à l’étranger.

Son dernier ouvrage, Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? Pour un réarmement intellectuel et moral face au djihadismevient de paraître aux éditions du Cerf. 

 

 
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Atlantico : Après La Pensée égarée, publiée en 2015, vous n’y allez pas de main morte avec le titre de votre nouveau livre, Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? Pourquoi cette interrogation ?

Alexandra Laignel-Lavastine : Parce qu’elle est aujourd’hui la seule qui vaille, surtout face à un ennemi qui possède, lui, de la transcendance mortifère et hideuse à revendre. En effet, qu’est-ce qu’un homme vivant et debout ? C’est un homme qui se demande pour quoi — pour quels idéaux et au nom de quel héritage — il serait encore prêt à se battre et à mettre son existence en jeu. À moins, nous sommes perdus et le Front national emportera la mise. Cette interrogation n’a rien de martial ni de radical : elle est minimale. Comme le disait magnifiquement le philosophe-dissident de Prague, Jan Patocka, "une vie qui n’est pas disposée à se sacrifier à son sens ne mérite pas d’être vécue".Si nous voulons gagner la guerre qui nous a été déclarée, il serait donc temps de se poser la question de savoir quel "sacré" nous autres, Européens, sommes encore en mesure d’opposer à nos adversaires djihadistes. Nous n’en n’avons plus conscience, mais dans une société laïque qui ne prend plus ses ordres ni du Ciel ni de la Tradition, nos valeurs fondatrices ne peuvent se maintenir, dans l’absolu, qu’en vertu de notre éventuelle disponibilité à leur sacrifier notre vie même. De fait, nous n’avons rien de plus précieux et n’est sacré que ce pour quoi nous serions prêts à sacrifier quelque chose. Il s’agit bien sûr d’un horizon ou d’un principe pour guider l’action, mais là est notre seule transcendance, ce par quoi nous formons encore un "nous", une civilisation.

Vous citez Philippe Muray qui, dans sa Lettre aux chers djihadistes (2002), évoquait notre défaite annoncée. Est-ce aussi votre diagnostic ?

Avec une cruelle ironie que je partage, Philippe Muray invitait les djihadistes à craindre le courroux de l’homme en bermuda descendant de son camping-car… Il annonçait la suite en ces termes : nous serons assurément les plus forts car nous sommes les plus morts, les plus ramollis. Vladimir Jankelevitch ne disait pas autre chose quand il soulignait qu’une vie sans "raisons de vivre" est une vie de fourmi ou de ruminant. Car si nous ne savons plus pour quoi nous serions prêts à mourir, il ne nous reste plus guère de raison de vivre ! Il faut bien comprendre que le contraire de la vie, ce n’est pas la mort. C’est l’insignifiance de la vie. À ce chapitre-là, nous sommes très bons : nous serions certainement disposés à tout, mais pour gagner ne serait-ce qu’une minute de lâcheté et de confort supplémentaires.

Vous partagez donc son pessimisme ?

Oui, en partie, et je dois dire que le "Tous en terrasse !" de l’après-Bataclan m’a consterné. Les islamistes — pardon, ces "fous d’Allah forcément fous" — auraient voulu tuer la vie. Les bobos parisiens ont ainsi cru riposter par la célébration festive du vivre, en leur montrant que, pour nous, la vie est la valeur suprême et qu’à cet égard, nous ne cèderions pas un pouce de trottoir. Tragique contresens, car si la vie est tout, elle n’est plus grand-chose. Et parce que lever le coude ne relève rien de grand en l’homme. Ni la tête ni le moindre défi véritable. Rien qui nous permet de nous hisser au-dessus du vivre cool, ou plutôt du vivre couché prôné par le Parti les sympas, que Jacques Julliard a raison d’appeler "le parti collabo", cette gôche pour qui un tueur djihadiste est un "chômeur discriminé" par la France raciste et forcément coupable. Néanmoins, je crois que beaucoup d’honnêtes gens commencent à être exaspérés par l’insondable indigence de ce type de réflexe. C’est à eux que ce livre s’adresse.

Vous croyez, et vous êtes une des rares, à la vertu du combattant, du soldat… Vous ne craignez pas qu’on vous prenne pour une va-t-en-guerre ?

Mais la guerre, nous y sommes déjà, comme viennent de nous le rappeler l’attentat de Londres et l’attaque d’Orly, où nos jeunes soldats ont fait preuve d’une maîtrise extraordinaire. Du reste, qui a songé à leur rendre hommage ou à les décorer ? Le poète Paul Celan parlait du "souffle combattant". Mon fils est parachutiste, je sais ce que cette expression recouvre. Mais pour notre malheur, ce souffle semble avoir déserté l’homme hyper-consumériste. C’est pourquoi j’invite à renouer d’urgence, en nous-mêmes, avec la haute et noble figure du combattant. À une époque qui idolâtre la victime plutôt que le héros, qui efface la figure de l’ennemi dans celle de l’Autre et où chacun entend faire primer ses droits sur ses devoirs, tout se passe comme si le guerrier et les vertus qu’il incarne — la bravoure, la fidélité, l’abnégation, la verticalité éthique — représentaient une réalité dont notre époque ne veut plus entendre parler. Sans doute est-elle trop attentatoire à notre médiocrité. Baudelaire écrivait pourtant qu’ "il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat, l’homme qui chante, l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est bon pour le fouet".

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