Alerte au mal de dos dû au télétravail<!-- --> | Atlantico.fr
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télétravail salariés mal de dos santé rythme
télétravail salariés mal de dos santé rythme
©Valery HACHE / AFP

Impact à long terme

La généralisation du télétravail face à la crise sanitaire semble séduire de nombreux Français. Travailler chez soi peut néanmoins avoir des répercussions sur votre corps et en particulier sur l’état de santé de votre dos.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : La massification du télétravail a-t-elle entraîné une hausse des problèmes de dos ? Comment cela s'explique-il ?

Stéphane Gayet : On a en effet constaté une augmentation des rachialgies (douleurs sur tout ou partie de la colonne vertébrale) en rapport avec l’augmentation du télétravail. Les personnes concernées n’ont pas systématiquement consulté un médecin généraliste pour cela. Les sources d’information sont les demandes médicamenteuses ou d’orthèses exprimées en pharmacie, les recours à la kinésithérapie, la chiropraxie, l’ostéopathie, les achats d’équipements destinés à renforcer la musculature rachidienne ou soulager les rachialgies, ainsi que les enquêtes.

Alors qu’en entreprise, le travail sur écran en position assise est encadré et accompagné par la médecine du travail et (plus ou moins) optimisé grâce à la mise à disposition d’équipements ergonomiques - consistant en une adaptation des outils et des postes de travail aux utilisateurs -, la personne qui travaille sur écran à son domicile se trouve dans des conditions matérielles improvisées et n’ayant souvent que peu de caractéristiques ergonomiques. Le choix du fauteuil ou de la chaise pour la maison, celui du bureau ou de la table, reposent souvent sur des critères esthétiques et économiques. S’agissant de l’ordinateur qui sert au télétravail, il s’agit très souvent d’un modèle portable – mis ou non à disposition par l’entreprise – qui est toujours nettement moins ergonomique qu’un modèle dit de bureau.

Qui plus est, ce télétravail s’effectue pour certains sur une table de cuisine, sur un canapé ou même dans la chambre à coucher, autant d’installations qui peuvent difficilement s’accompagner d’une position adéquate du corps ; sans parler des horaires de télétravail qui sont volontiers décalés par rapport aux horaires d’entreprise, avec insuffisamment de pauses et des empiètements sur le temps physiologique de sommeil nocturne (lorsque l’on est fatigué, on a encore moins tendance à prendre une bonne position que lorsque l’on est reposé).

À cela s’ajoutent encore l’inquiétude au sujet de la rémunération et de l’avenir, les difficultés liées au fait de devoir être à longueur de temps confiné avec les siens et celles qui ont éventuellement trait aux relations de voisinage.

Or, le rachis de l’Homme est vulnérable. Les anatomistes nous apprennent que l’être humain n’a pas achevé l’évolution de son rachis qui reste imparfaitement adapté à son mode de vie actuel. Indépendamment du télétravail, la hernie discale lombaire est fréquente dans la population et l’on rencontre de plus en plus de cas de pathologie discale cervicale. Qu’il y ait ou non une hernie discale ou une simple protrusion discale (forme mineure), les lombalgies (rachialgies lombaires : « mal de reins »), les dorsalgies (rachialgies dorsales : « mal de dos ») et surtout les cervicalgies (rachialgies cervicales basses et rachialgies cervicales hautes ou nucales) sont fortement prévalentes (fréquence à un moment donné) dans la population française. Spontanément, en dehors de tout confinement, le rachis est malmené, durement éprouvé par nos habitudes de travail, mais aussi de vie ; chez le personnel paramédical et hôtelier en milieu hospitalier, la pathologie rachidienne arrive en première position : il n’est pas du tout rare qu’une infirmière ou une aide-soignante doive changer de poste de travail pour raison de détérioration rachidienne (par parenthèse).

Ce que l’on peut affirmer, c’est que le télétravail imposé par le confinement subi et subit (mardi 17 mars) n’a été ni préparé ni bien souvent accompagné, d’où ces troubles rachidiens logiquement survenus.

Comment protéger son dos lorsque l'on est en télétravail ? Corriger sa position suffit-il ? Si oui, comment le faire ?

En dehors du télétravail, les rachialgies (douleurs du rachis) font partie de ce qu'il est convenu d'appeler les « troubles musculosquelettiques » (TMS). Les TMS sont d'une façon générale pratiquement la pathologie la plus fréquente en France et la pathologie professionnelle également la plus fréquente. Ils sont à l'origine du plus grand nombre d'arrêts de travail et leur coût médical, économique et social est considérable : des évaluations sont régulièrement effectuées par l’Assurance maladie.

Notre posture dépend étroitement de notre installation et de notre équipement.

Notre posture en position assise est directement liée à notre équipement. Nous l'avons vu, l'usage d'un ordinateur portable est par lui-même générateur de troubles. Soit l'écran est à hauteur des yeux et le clavier est trop haut ; soit le clavier est à bonne hauteur pour les avant-bras et les poignets, et l'écran est trop bas. L'ordinateur portable est une invention géniale, mais il est délétère. Corriger sa posture nécessiterait donc déjà d'abandonner l'ordinateur portable au profit d'un modèle de bureau, à moins de pouvoir désolidariser l'écran du clavier. De la même façon, l'utilisation d'un pavé tactile de pointage est préférable, sur le plan ergonomique, à celui d'une souris qui sollicite anormalement le membre supérieur et l'épaule.

Par ailleurs, il faut penser à reculer ses fesses – qui ont tendance à glisser vers l'avant – et à redresser son buste et son cou ; mais encore faut-il que l'installation permette ce redressement.

Tout en restant en position assise, on peut faire quelques exercices.

On peut pratiquer des autograndissements du tronc et du cou. Il s'agit, tout en étant assis, les fesses bien calées en arrière, de chercher à pousser sa tête verticalement le plus haut possible et en forçant, sans décoller les fesses. On maintient cette posture pendant cinq à dix secondes, puis on se relâche. L'exercice est à faire cinq fois. S'il est bien réalisé, on sent que le corps travaille de façon inhabituelle. Il est recommandé de répéter cet exercice dans la journée (deux à trois fois).

On peut aussi pratiquer, depuis la position assise, des mouvements amples, circulaires et lents de la tête et du cou, selon une trajectoire circulaire, par exemple dans le sens des aiguilles d'une montre. Là encore, il faut forcer un peu et effectuer la rotation lentement, sans jamais brusquer. On peut effectuer cinq tours par exercice, en changeant de sens de rotation.

Un autre exercice praticable depuis la position assise est l'étirement des membres supérieurs, par exemple en pratiquant des cercles amples et en forçant un peu vers le haut, vers les côtés, vers l'arrière et le bas. Cet exercice permet de réduire la tension du cou et des épaules. On peut là aussi effectuer cinq cercles complets lors de chaque exercice.

La bonne posture à adopter pour le travail sur écran en position assise

Cette illustration peut faire sourire, bien sûr. Nombre de personnes se diront que ce n’est pas réalisable ou que cela ne les concerne pas. Mais mieux vaut prévenir que guérir : on ne sent pas souvent s’installer les méfaits d’une mauvaise posture répétée pendant des mois et a fortiori des années.

Les sièges ergonomiques.

Il faut commencer par parler des sièges ergonomiques. Cela paraît primordial. Il en existe de nombreux modèles et, pour bien faire, il faudrait pouvoir les essayer. Il faut donc éviter de les acheter à distance. Mais il faut admettre que le siège ne fait pas tout : de toute façon, on doit corriger sa posture en permanence, car les fesses ont tendance à glisser vers l'avant et le corps à s'affaisser ; sauf avec certains sièges comme les « assis à genoux », qui sont d'une conception originale et donnent satisfaction à nombre de personnes.

Les orthèses.

Il est conseillé de se tourner vers des orthèses médicales agréées par les organismes de santé officiels. On peut se les faire prescrire comme les acheter. Ce sont des dispositifs sûrs et efficaces, en général de grande qualité. Les modèles sont variés et sont proposés dans toutes les tailles courantes.

Les plus simples sont les ceintures et colliers : les ceintures lombaires et colliers cervicaux soulagent les douleurs tout en évitant qu'elles ne reviennent. Leur mise en place est facile, le juste serrage est une question d'expérience.

Ensuite viennent les orthèses de maintien postural. Ces orthèses sont complexes et s'adressent essentiellement au rachis dorsal, mais pas exclusivement. Leur mise en place est déjà plus difficile et surtout délicate à réaliser seul.

Les orthèses les plus élaborées sont les corsets semi-rigides qui s'adressent au rachis dorsal ou au rachis dorso-lombaire.

Toutes ces orthèses soulagent les douleurs, plus ou moins complètement ; en revanche, elles peuvent en générer d'autres si elles ne sont pas adaptées ou mal utilisées.

Aucune de ces orthèses ne doit être portée en continu. Il s'agit de les porter en anticipation d'un mouvement ou bien d'une posture source de souffrance, et toujours pendant une durée limitée. Car la réduction de la douleur s'effectue aux dépens de la musculature qui a tendance à s'affaiblir du fait du port prolongé de l'orthèse.

En pratique, il faut commencer par les orthèses les plus simples et les plus légères. Si malgré une taille adaptée et un usage correct, il n'y a pas d'amélioration, il faut envisager une orthèse plus « lourde ». Car ces dispositifs ne sont qu'une aide qui, plus elle est conséquente, et plus il est difficile de s'en passer ; or, il faut toujours chercher tôt ou tard à s'en dispenser ; ce ne sera possible que lorsque le corps sera parvenu à compenser les troubles posturaux et les déficiences qui en résultent, c'est-à-dire grâce à un travail de correction.

Constate-t-on d'autres maux liés au télétravail depuis que cette pratique s'est largement répandue ?

Lors du travail en entreprise, il y a d’un côté le temps de travail qui s’effectue hors du domicile, et de l’autre le temps personnel qui s’effectue à domicile ou dans des lieux de nécessités ou de loisirs.

Avec le télétravail, cette disparition de la coupure entre le travail et la vie personnelle comporte des effets délétères (mauvais pour la santé) : pour être efficace et si possible performant, on doit se mettre dans l’état d’esprit du travail ; il faut changer d’attitude, se concentrer et se fermer un minimum à son environnement susceptible d’être perturbant ; c’est à la fois un peu difficile à vivre et pénible pour son entourage qui se trouve subitement face à la posture professionnelle d’une personne dont il ne connaissait que la posture personnelle. Car les personnes qui se métamorphosent sur leur lieu de travail ne sont pas rares. Ce phénomène peut générer des troubles psychologiques, perturber le caractère.

On a déjà eu l’occasion d’en parler, le télétravail bouscule les habitudes alimentaires et physiques. Sur le plan alimentaire, il existe une tendance au grignotage à longueur de journée ainsi qu’au déséquilibre nutritionnel ; une prise de poids est fréquente, en rapport avec une augmentation de la ration calorique – pas souvent consciente – et avec une diminution de l’activité physique. À propos de l’activité physique, de plus en plus de personnes – avant la pandémie – ont pris l’habitude d’aller sur leur lieu de travail en bicyclette, en marchant ou en utilisant un autre moyen obligeant à faire de l’exercice ; le télétravail pousse à la sédentarité et la réduction nette de l’activité physique ; il s’ensuit une diminution de la forme physique, une tendance à la prise de poids et à l’hypertension artérielle, ainsi que de fréquents troubles du sommeil.

Par ailleurs, le télétravail induit souvent une augmentation du temps de travail, pour plusieurs raisons ; sans parler de surmenage, cet accroissement du temps passé à travailler est source de déséquilibre psychique et somatique.

Ce que l’on peut dire, c’est qu’il est possible que, pour diverses raisons, notre société évolue vers plus de travail à domicile, donc plus de télétravail ; si cela devait être le cas, il faudrait étudier soigneusement cette évolution sociétale sur les plans ergonomique, physique, alimentaire, psychologique et sociologique, afin de prévenir les conséquences néfastes que l’on découvre en 2020. Il faudrait aussi parler les difficultés de la vie en couple générées par le télétravail.

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