Afghanistan : Mais d’où vient l’argent des Talibans ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des combattants talibans montent la garde le long d'une rue près de la place Zanbaq à Kaboul, le 16 août 2021.
Des combattants talibans montent la garde le long d'une rue près de la place Zanbaq à Kaboul, le 16 août 2021.
©ADJOINT KOHSAR / AFP

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Trois questions : Pourquoi les Talibans sont-ils revenus si vite ? Avec quel argent ? Comment les Occidentaux pourraient-ils leur couper les vivres ?

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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C’est une perspective qui effraie les Occidentaux : le risque de voir se reconstruire, en Afghanistan, une fabrique du terrorisme islamiste et exportable est évidemment dans les esprits des Talibans qui reprennent les villes afghanes les unes après les autres. Emmanuel Macron et beaucoup d’autres chefs d’Etat et de gouvernement vont essayer de dégager une réaction commune et solidaire, y compris à l’ONU, mais la solution est plus de la responsabilité des Américains. Les Américains se taisent. Chacun essaie de sauver ses meubles, c’est à dire ses ressortissants et les amis locaux qui nous aidés avant qu’ils ne soient arrêtés et condamnés pour « faits de collaborations » parce que ne rêvons pas, c’est ce qui attend tous ceux qui ne se plieront pas aux injonctions des religieux.

1ère question : pourquoi et comment les Talibans sont-ils revenus aussi vite ?

Quel échec et quelle humiliation pour la diplomatie américaine qui a cru, ou fait semblant de croire, que l’Afghanistan était devenu un pays normal au sens occidental, avec une gouvernance normale issue d’élections plus que libres.

Les Talibans ont donc repris le pouvoir en Afghanistan en un temps record parce que les Américains n’ont pas su, en 20 ans, installer un pouvoir légitime et légal. Un pouvoir respectueux des valeurs fondamentales, des droits de l’Homme et de la démocratie. Au lendemain des attentats du 11 septembre, les Américains ont pu ramener le calme, ils ont certes découvert Ben Laden et ils ont offert sa tête aux Occidentaux, ils se sont donc vengés en pensant tracer un trait final sur le terrorisme international et ils ont engagé la reconstruction, très souvent avec leurs entreprises, et ils ont maintenu une apparence de calme. Apparence seulement.

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La réalité est qu‘ils n’ont pas réussi à unifier le pays, et surtout pas réussi à casser l’organisation très féodale fondée sur des ethnies particulières, avec des cultures religieuses anciennes et très fortes, dont on sait que le seul facteur d’unité, repose finalement sur une pratique très radicale de l‘Islam.

Les Américains ont négocié leur départ avec les chefs des tribus talibans en obtenant l‘assurance, et la promesse qu’à l’avenir, ils ne toucheraient pas aux intérêts américains et  qu‘ils laisseraient les populations locales vivre en paix, et libres de leur mouvement. Sous la tutelle du gouvernement légalement installé.

A peine les Talibans sont-ils entrés dans Kaboul que l’exécutif a quitté le palais de la présidence et l’armée légale s’est pratiquement rendue sans résistance. Peu d’experts ont cru en leur bonne foi et on sait, depuis quelques semaines, que les Talibans ont retrouvé leurs vieilles habitudes faites de contrôles, d’interdits et d’exactions. Premières victimes, les femmes renvoyées à leur destin, c’est à dire à la Charia que beaucoup sont bien décidés à appliquer. D’où la panique des ressortissants étrangers et aussi l‘angoisse d’une partie de la population, des femmes en particuliers, qui aspirent à une vie plus normale et plus confortable que la vie de leurs ancêtres.

La seule inconnue, dans le scénario qui s’écrit en direct, est que les Talibans sont revenus au pouvoir d’un pays qui est très différent de celui dont ils avaient été exclus il y a plus de 20 ans par les Américains. Une génération ou presque est passée. Le pays compte aujourd’hui 50 millions d’habitants. Et Kaboul, qui abritait 600 000 habitants, en loge aujourd’hui 6 millions. C’est une vraie et grande métropole avec ses quartiers, une petite classe moyenne qui travaille dans les banques, les assurances, les commerces, quelques usines, avec une population féminine qui, pour la moitié est allée à l’école, et gagne de quoi vivre en travaillant... C’est-à-dire, des gens qui ont une forme de vie opposée à celle que les Talibans veulent imposer.

2e question : les Talibans vivent et s’organisent avec quel argent ?

Contrairement à une idée reçue, l‘Afghanistan est devenu un pays relativement riche avec une croissance forte depuis le pseudo retour au calme. D’abord parce qu’en 2001, le pays avait été dévasté par la guerre et qu’il fallait tout reconstruire : les infrastructures, les bâtiments sociaux et publics, les logements et les bureaux. Jusqu'à maintenant l’économie de la construction tournait à plein régime avec des entreprises étrangers, notamment le groupe international d’origine américaine Bechtel, la téléphonie mobile (Roshan) et les plus grands groupes agro-alimentaires comme Coca Cola, Nestlé, L’Oréal ou Siemens. Côté français, Thales, Alcatel, Bouygues, Sodexo étaient encore très présents jusqu'à l’arrivée des talibans.

Localement, l’Afghanistan possède une petite industrie qui produit un peu de textile, des tapis, du charbon, des métaux précieux, avec sans doute un potentiel de terres rares mais encore inexploitées. Du coup, l’Afghanistan exporte peu, du moins officiellement, mais importe beaucoup de produits manufacturés d’Europe, d’Asie ou des USA. Enfin, des biens d’équipements et des produits pétroliers.

En fait, l’Afghanistan vit officiellement des dons et subventions venant des Etats-Unis et d’organisations internationales non gouvernementales, et des investisseurs qui avaient commencé à engager des fonds dans la région pour la reconstruction. L’Amérique aurait apporté plus de 50 milliards de dollars pour soutenir ou relancer l’économie locale.

Toute cette partie relève de l’économie réelle, mais ça n’est que la partie visible de l’iceberg.

La partie souterraine est plus importante, et elle est préemptée par des féodaux locaux, des chefs ou des sous-chefs plus ou moins rattachés aux groupes islamiques. Trois sources de financement :

Elle provient d’abord du détournement des dons et des subventions de leurs destinations. Les ONG se font dépouiller ou alors achètent ainsi leur protection. Les études de diverses sources évaluent à 30 % de la manne étrangère qui aurait été rançonnée de cette façon.

Ensuite, les groupes Talibans prennent une taxe à la frontière, pour entrer ou sortir ou pour transporter en « toute sécurité » des marchandises et des hommes, parce que les routes ne sont pas sûres.

Enfin, il y a évidemment et surtout le commerce de l’opium. La culture du pavot est un sport national et occupe sans doute près du tiers des surfaces cultivables, ce qui permet aux agriculteurs de vivre correctement. L’industrie de transformation en opium et héroïne et tout le commerce attaché, l’expédition et la distribution.

L’Afghanistan couvre 90% de la production mondiale d’opium.L’ampleur de l’activité liée à la drogue n’est pas mesurée, mais cette activité a fait de l‘Afghanistan la première narco-économie du monde, qui rapporte entre 3 et 5 milliards de dollars par an. De quoi acheter des armes et payer des mercenaires.

3° Que peuvent faire les Occidentaux et comment caser les flux de financement ?

Il est évident que la quasi totalité des ressources financières de l’Afghanistan, ressources légales ou souterraines, proviennent de l’Occident. Les pays voisins, frontaliers (la Russie, la Chine, le Pakistan et l’Iran) semblent avoir coupé les ponts et considèrent que des foyers de troubles, et même de guerre à leurs frontières, vont présenter des soucis dont ils se seraient bien passés. Maintenant, la solution est aux mains des Occidentaux qui tiennent les flux de dons et prestations, les investissements et même les recettes du commerce de la vente de drogue.

Les Américains savent très bien exercer des sanctions financières sur un pays hostile, l’Iran, et la Russie en ont subi les effets. L’Iran surtout, qui est au bord de l’asphyxie financière, mais dont la bourgeoisie ne s’est pas finalement soulevée contre le régime des Ayatollah comme les dirigeants américains le croyaient.

Le commerce de l’opium, qui est déjà interdit, sera beaucoup plus difficile sauf à offrir aux paysans des productions alternatives aussi lucratives. Depuis plus de 20 ans que l’Amérique en parle et n’a pas ouvert de dossier, c’est que le chantier doit être considérablement dangereux.

Le contrôle des flux financiers fléchés sur l‘Afghanistan n’appartient pas à un seul pays aussi puissant soit-il. Il résulterait d’un accord international qui ne peut être négocié qu’au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies.

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