62 personnes aussi riches que la moitié la plus pauvre de la planète : l’affirmation choc qui embrouille autant qu’elle nous en apprend sur les inégalités<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
62 personnes aussi riches que la moitié la plus pauvre de la planète : l’affirmation choc qui embrouille autant qu’elle nous en apprend sur les inégalités
©Flickr

Erreur de raisonnement

En tirant des conclusions à partir du patrimoine et non du niveau de revenu, l'Oxfam laisse entendre des informations saugrenues... Ainsi, un étudiant endetté serait plus riche qu'un SDF... Si cette idée n'est pas fausse, elle sert surtout à donner une impression fallacieuse de la réalité des inégalités.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Voir la bio »

Atlantico : Selon un rapport de l'ONG Oxfam, 62 personnes possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Quelles sont les erreurs de lecture à ne pas commettre ?

Alexandre Delaigue : D'une part, il faut avoir à l'esprit que ce sont des statistiques faites au niveau mondial et qui concernent les patrimoines et non les revenus. Le patrimoine net est défini par la somme de tous leurs actifs : biens immobiliers, portefeuille boursier, compte bancaire évalué au prix du marché moins leurs dettes. Mais la lecture du rapport d’Oxfam permet de constater quelques paradoxes puisque des chiffres positifs vont être ajoutés à des chiffres négatifs, ce qui va aboutir à des résultats assez étranges. Prenons un exemple : un clochard qui a trois euros comme seule richesse dans son chapeau à la fin de la journée est, selon la méthode de l'ONG Oxfam, plus riche qu’un étudiant qui commence HEC et qui a pris un crédit d’une trentaine de milliers d’euros pour payer ses études. Ce chiffre d’Oxfam est à la fois vrai au regard du patrimoine mais pas au regard des comparaisons de richesse. Par ailleurs, les statistiques ne sont pas celles d’Oxfam, qui a utilisé les données calculées par la banque Crédit Suisse qui s’intéresse à l’évolution des patrimoines dans le monde dans un contexte de recherche de nouveaux clients. Il est donc de leur intérêt de regarder où les patrimoines augmentent le plus et où il y a des aides. Le document d’Oxfam sur les pauvres dans le monde révèle ainsi que la Chine ne compte aucun pauvre parce que les Chinois pauvres ne possèdent rien alors que de nombreux ménages américains sont considérés comme pauvres parce qu’ils ont un crédit immobilier important, de nombreuses dettes et donc un patrimoine net négatif. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils vivent dans la misère… Une personne qui a 2000 euros de crédit consommation, un loyer à payer et en moyenne sur le mois 1000 euros sur son compte en banque, possède un patrimoine négatif qui ne l’empêche pas de vivre. En terme de patrimoine, cette personne est plus pauvre théoriquement que le plus pauvre des Chinois. Mais on peut tout à fait vivre correctement avec un patrimoine négatif. La donnée est vraie mais les conclusions sont fausses.

Par ailleurs, le rapport d’Oxfam pose un autre problème. Les données de ces comparaisons internationales ne sont pas calculées au même moment ni sur les mêmes bases qui aident à comparer des pouvoirs d’achat qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Il est logique de comparer un étudiant américain de Harvard avec une famille américaine, puisque l’étudiant comme les membres de la famille vivent tous aux Etats-Unis et ont à peu près le même mode de vie et de consommation. En revanche, comparer le patrimoine d’un étudiant de Harvard avec celui d’un paysan éthiopien n’a pas franchement beaucoup de sens surtout lorsqu’il s’agit de soutenir que le paysan éthiopien est plus riche que l’étudiant américain. De plus, Oxfam utilise des données qui datent. Oxfam a prolongé les courbes de l’année dernière pour tirer leur constat qui n’a pas beaucoup de sens. L’étude ne s’est pas fondée sur des nouveaux résultats. Seulement avec la chute des cours de la bourse la valeur des patrimoines a automatiquement baissé. Aujourd’hui, le patron de Twitter qui était milliardaire il y a un an, ne l’est plus. Sa vie n’a pas trop changé mais la valeur de ses actions a baissé. 

Comment qualifieriez-vous l'utilisation faite par ces données ?

Cette donnée est trompeuse, et elle est instrumentalisée. Dire que les 62 personnes les plus riches dans le monde détiennent autant que tous les autres revient à dire qu’un clochard est plus riche que 200 étudiants HEC endettés. Ces conclusions sont utilisées pour prouver que les inégalités sont importantes, mais c'est abusif. Il faut remettre le chiffre des 62 personnes les plus riches du monde dans son contexte sinon c’est de la manipulation : on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut, et parfois aussi ce qu’ils ne disent pas, ce qui revient à donner une impression fallacieuse à l’opinion. Les gens n’ont pas l’impression qu’avec leurs 100 euros sur leur livret A ils sont plus riches que  30% de la planète ! Oxfam a donc utilisé ces données qui se retrouvent médiatisées pour justifier la légitimité de ses combats comme la lutte contre les paradis fiscaux. Ce document sonne le signal d’alarme mais ne contribue pas à l’intelligence collective.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !