40 ans après le 1er choc pétrolier : ce qui reste de l'onde de choc de 1973 sur la carte des puissances mondiales<!-- --> | Atlantico.fr
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Le choc pétrolier de 1973 marque dans l'imaginaire collectif le début du déclin de la "vieille Europe".
Le choc pétrolier de 1973 marque dans l'imaginaire collectif le début du déclin de la "vieille Europe".
©Reuters

Série : anniversaire du choc pétrolier

Le 16 octobre 1973, en pleine guerre du Kippour, les pays arabes membres de l'OPEP déclarent un embargo pétrolier en direction de tous les pays qui soutiennent l'état d'Israël. Un événement qui a eu de nombreuses conséquences sur les économies de la vieille Europe mais qui a aussi bouleversé le monde arabe. Deuxième épisode de notre série "anniversaire du choc pétrolier"

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi est conseiller scientique de Futuribles international et géoéconomiste spécialiste des questions énergétiques. Il est aussi docteur en géographie économique, professeur de relations internationales au sein de l’Enseignement militaire supérieur spécialisé et technique, intervenant à Sciences Po et à Polytechnique. Il est l'auteur de Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir, chez Armand Colin (2017) et avec O. Kempf et F-B. Huyghe, Gagner les cyberconflits, Economica, 2015.

 

 

 

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Atlantico : Le choc pétrolier de 1973 et ses multiples conséquences restent fortement ancrés dans l'imaginaire collectif comme le début du déclin de la "vieille Europe" et de l'émergence des contestations anti-occidentales, notamment dans le monde arabe. Comment cet événement a-t-il concrètement changé la donne géopolitique ?

Nicolas Mazzucchi : Selon moi, cela a avant tout été l'élément qui a permis d'acter la grande modification des structures du monde pétrolier qui a émergé dans les années 1960. Cette période phare de la décolonisation a en effet vu naître les premières grandes compagnies d'Etat instaurées par les gouvernements nationaux fraîchement arrivés au pouvoir (notamment au Proche et Moyen-Orient ainsi qu'en Afrique du Nord). Ces entreprises nationales (NOC's, National Oil Companies) sont venues s'ajouter au modèle déjà classique des compagnies transnationales (IOC's, International Oil Companies). Le choc de 1973 a ainsi marqué l'émergence du pouvoir économique, puis politique, des compagnies nationales qui deviennent alors le bras armé et financier de nouveaux Etats post-coloniaux qui tentent de s'affirmer face aux grandes puissances, et en particulier face aux Etats-Unis. 

Peut-on vraiment affirmer, comme le laisse entendre l'idée commune, que ce choc a marqué le début du déclin de la vieille Europe parmi le concert des Nations ?

Je ne suis pas tout à fait d'accord. Le déclin de la vieille Europe est alors déjà entamé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que le continent a souffert des nombreux combats qui y ont pris place. Les puissances européennes sont alors incluses dans un ordre international bien plus vaste, sous domination américaine, ordre qui est plus ou moins toujours le même à ce jour. Quand la vieille Europe accepte de signer les accords de Bretton-Woods, qu'elle accepte le plan Marshall et qu'elle voit par la suite s'émietter ses empires coloniaux dans les années 1960, on peut dire qu'elle est déjà bien amochée, voire même à terre, au moment du choc pétrolier de 1973. S'il faut isoler un événement particulier, on peut dire que l'affaire de Suez en 1956, qui s'achève sur un violent rappel à l'ordre de Washington à l'encontre de Londres et de Paris, est un marqueur autrement plus révélateur du déclin européen, en particulier sur le plan de la domination diplomatique.

Cet événement est aussi le résultat de l'union de plusieurs pays pétroliers au détriment des économies des grandes puissances et tout particulièrement d'Israël. Peut-on pour autant affirmer que cela a marqué l'émergence du Tiers-Monde en tant que puissance politico-économique ?

Le Tiers-Monde en tant que puissance politico-économique n'a jamais réellement existé. Ainsi, la plupart des pays qui se sont déclarés non-alignés à partir de la conférence de Bandung (1955) ont tissé par la suite des liens avec le bloc de l'Est sans jamais le rejoindre ouvertement. L'Inde par exemple, s'est clairement positionné contre le Pakistan durant la Guerre froide, cet antagonisme contre un allié des Etats-Unis l'ayant logiquement poussé vers la diplomatie de Moscou. 

La seule manifestation de cette logique "tiers-mondiste", et il faudrait encore prendre des pincettes pour faire un tel constat, serait éventuellement celui du pan-arabisme tel que l'a théorisé Nasser. On peut néanmoins affirmé qu'il était déjà bien présent lors de la guerre du Kippour, lorsque la plupart des pays arabo-musulmans (pays du Golfe exceptés) ont envoyé des bataillons pour combattre l'ennemi commun israélien. Ce pan-arabisme militaire prend quelque part une forme plus "économique" avec le choc pétrolier de 1973. J'ajouterais que si Israël est bien sorti vainqueur de cette guerre, il faut préciser qu'elle a été difficile à obtenir et que le Mossad y a été mis en échec. Autrement dit, le conflit a provoqué un net renforcement du conflit israélo-musulman. Autrement dit, bien que l'événement se soit soldé par une défaite pour les pays arabes, il s'agit d'une certaine revanche pour ces derniers. 

Les analystes de la région affirment que ce choc a eu de nombreuses conséquences au Moyen-Orient, notamment avec l’influence de l'islamisme conservateur, wahhabite d’une part et avec les Frères Musulmans égyptiens d’autre part. Ce constat est-il correct ?

C'est un peu plus compliqué. Il faut rappeler qu'à l'époque le fait religieux était beaucoup moins signifiant qu'il peut l'être aujourd'hui. Ainsi, la fracture politique sunnite/chiite est un fait quasiment inexistant à l'époque, sachant que l'Iran est alors encore sous le régime fondamentalement laïque du Shah et qu'il ne basculera dans le régime des clercs chiites que six ans plus tard. Dans le même temps, les Frères musulmans restent une nébuleuse extrêmement marginale en Egypte et ne représentent presque rien politiquement. Cependant, on peut dire que le choc pétrolier a été un point de départ de l'émergence de la puissance saoudienne qui appuiera son hégémonie - notamment - sur la doctrine du wahhabisme (et plus tard avec le salafisme, NDLR). Il faut toutefois modérer ce constat en affirmant qu'a l'exception des Saoudiens, tout les régimes des pays de l'OPEP s'appuient sur des logiques nationalistes (Nasser en Egypte, le Shah en Iran etc.) et combattent le religieux, ce qui précipitera par ailleurs leurs chutes par la suite. 

Il se dit en France que le gouvernement Messmer a accéléré le programme de nucléarisation du pays au lendemain du premier choc pétrolier. Quelles ont été les conséquences direct de ce choc sur les politiques énergétiques ?

A mon sens, si les pays de l'OPEP ont su remporter une victoire tactique en 1973 en faisant plier ponctuellement les grandes puissances, ils ont fabriqué sur le long terme les éléments de leur défaite stratégique. Cela a amené par la suite une bonne partie des pouvoirs occidentaux à se tourner vers d'autres sources d'approvisionnement énergétique (dont le nucléaire). Si l'on regarde plus spécifiquement le cas américain, on note qu'à partir des années 1970 et surtout des années 1980, les grandes compagnies pétrolières locales forcées par le coût du baril (qui quadruple dans cette même période pour passer de 3 à 12$) se sont projetées sur de nouveaux pays et ont mis en opération de nombreux gisements dans des pays n'appartenant pas à l'OPEP (Canada et Mexique en particulier). Cette organisation, si on l'observe aujourd'hui, n'a plus aucun rôle ou presque sur la scène internationale, ne serait-ce que dans la fixation des prix du baril. On peut donc dire que les pays de l'OPEP, en faisant apparaître leurs pouvoirs de manière subite et très coercitive, ont détruit l'influence géopolitique qu'ils possédaient jusque là à travers leurs monopoles artificiels sur la production pétrolière. 

Subissons-nous encore aujourd'hui les conséquences de ce choc géopolitique ?

Nous sommes aujourd'hui très loin de cet événement. Sans dire que son impact est nul, il reste extrêmement faible. Par ailleurs, le pétrole est de moins en moins la source d'énergie principale des pays développés, des pays gaziers comme le Qatar étant aujourd'hui les mieux positionnés. Les Etats-Unis sont, quant à eux, totalement sortis du système de chantages de l'OPEP puisqu'ils sont pratiquement devenu auto-suffisants sur le plan énergétique si l'on prend en compte l'apport du Mexique et du Canada. On peut dire d'une certaine manière que les conséquences du premier choc pétrolier se sont faites ressentir jusqu'à la première guerre du Golfe, mais nous en sommes bien sortis depuis. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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