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"Quand un enfant est avec eux, il est perdu" : un déserteur de Daesh évoque les jeunes recrues du groupe djihadiste, marqués à jamais par l’idéologie qu’on leur a inculquée
©ABD DOUMANY / AFP

Bonnes feuilles

"Daesh, paroles de déserteurs" est une plongée au cœur de la machine État islamique. Elle dévoile les différentes facettes de l'organisation à travers les mots de ceux qui, après avoir servi et combattu pour elle à un moment de leur vie, s'en sont échappés. Extrait de "Daesh, paroles de déserteurs" de Thomas Dandois et François-Xavier Trégan, aux éditions Gallimard (2/2).

François-Xavier Trégan

François-Xavier Trégan

François-Xavier Trégan est grand reporter et réalisateur. Historien de formation, il a vécu plusieurs années en Syrie et au Yémen.

 

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Thomas Dandois

Thomas Dandois

Thomas Dandois est un réalisateur et grand reporter. Sa filmographie se compose d'une trentaine d'œuvres. 

 

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Les exécutions et les décapitations que j’ai vues lorsque j’étais avec Daesh m’ont beaucoup surpris. Tous les adultes qui égorgent le font parce qu’ils ont reçu l’ordre de le faire. Alors que les enfants… En général, ce sont eux qui réclament d’être désignés pour égorger. Ils veulent égorger. Les adultes n’ont pas le choix. La décision émane du commandement militaire. Si un adulte refuse de procéder à une exécution, il va être jugé. En fait, si tu reçois l’ordre d’égorger quelqu’un, tu peux refuser, mais tu vas subir une punition. Prenons un exemple. Un homme reçoit l’ordre de décapiter un prisonnier au couteau. Il ne se sent pas capable d’aller au bout. Il demande à pouvoir tuer sa victime par balle, parce qu’il est incapable de le faire au couteau. Il va obligatoirement recevoir des coups de fouet, ou être jeté en prison, ou au minimum être écarté du champ de bataille. C’est un peu difficile à encaisser, mais cela ne va jamais plus loin.

Jamais je n’ai vu un enfant être forcé d’égorger quelqu’un. Au contraire, beaucoup d’entre eux se portaient volontaires. Les enfants ont un esprit… immature. La plupart d’entre eux sont stimulés par la propagande. Ils veulent suivre l’exemple des autres. Ça les encourage. Ça les motive. Ils veulent faire comme les grands. Ils cherchent à se prouver à eux-mêmes qu’ils sont capables de le faire. Ils veulent aussi montrer aux autres qu’ils sont des hommes et qu’ils ont du cran. C’est une manière de gagner le respect de leurs camarades.

Cette génération-ci, qui a vécu la même vie que nous, les mêmes situations, nous l’avons perdue. On a perdu tous ceux qui sont morts au combat bien sûr, mais aussi tous ceux qui survivent. On les a perdus idéologiquement. Ils sont marqués à jamais par l’idéologie qu’on leur a inculquée. Ils ont été dénaturés par toutes ces mauvaises idées qu’on leur a fait entrer de force dans la tête. Avec un enfant qui a vécu cette vie d’horreurs et qui a appris tout ça, il faut s’attendre à tout. En Syrie comme à l’étranger.

Les années de l’enfance et de l’adolescence, c’est la période de l’éducation, où ce qu’on leur inculque se grave dans leur esprit pour le reste de la vie. 90 % d’entre ces jeunes nourris et formés à cette idéologie resteront à jamais marqués par elle. Au final, les enfants sont une arme efficace. Avec eux, ils sont à peu près sûrs du résultat. Plus Daesh s’établit, et plus il fonde une génération qui sera opérationnelle dans les années futures. Ils seront déjà prêts sur le plan militaire mais aussi sur le plan religieux. Cette génération sera « savante » parce qu’elle aura étudié la shariah.

J’aimerais faire passer un message au monde, aux peuples musulmans mais aussi non musulmans. L’image que Daesh donne de l’islam n’est pas une image juste. Ce n’est pas le message de notre Prophète. Cette image fait de nous des hommes qui nous battons et mourons pour l’islam de façon cruelle et brutale. Aussi, je conseille aux familles, notamment aux pères, de faire bien attention à leurs enfants et d’être tout particulièrement vigilantes au cours de leurs années d’adolescence. C’est à cette période de la vie qu’ils sont le plus susceptibles d’être enrôlés. Il ne faut pas les laisser se retrouver au contact de cette idéologie. Jamais. Sinon, ils vont la suivre. Et vous allez les perdre.

Si vous sentez qu’un adolescent est en train de glisser vers ce monde, il faut tout tenter pour l’en dissuader. Si tu es proche de lui, si tu es son frère, son père, tu dois tout faire pour le retenir. Une fois qu’il a rejoint Daesh, croyez-en mon expérience, c’est trop tard. Quand un enfant est avec eux, il est perdu. Quand il est avec eux, on a peur de lui parler parce qu’il est capable de tout et que ses réactions sont imprévisibles.

Je le redis : je conseille aux pères de tout faire pour que leurs enfants ne soient jamais au contact de Daesh.

Extrait de "Daesh, paroles de déserteurs" de Thomas Dandois et François-Xavier Trégan, aux éditions Gallimard

"Daesh, paroles de déserteurs" de Thomas Dandois et François-Xavier Trégan

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