Pourquoi l’habituel chapelet "FN-raciste-antisémite-xénophobe" fait le jeu de Marine Le Pen <!-- --> | Atlantico.fr
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La diabolisation fait le jeu de Marine Le Pen.
La diabolisation fait le jeu de Marine Le Pen.
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Le FN est-il un parti normalisé ?

La mue opérée sous la présidence de Marine Le Pen fait-elle du FN un parti comme les autres ? Quatrième épisode de notre série sur la normalisation du Front national par Thomas Guénolé.

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Marine Le Pen a assuré lundi que son parti était "le centre de gravité" de la vie politique française, en commentant la législative partielle de l'Oise qui a vu sa candidate atteindre 48,59%. Est-ce le cas ?

Thomas Guénolé : Non. L’électorat d’extrême droite est stable depuis bientôt vingt ans, hormis une chute en 2007. En définitive, le FN ne progresse pas par lui-même : il se renforce parce que l’abstention est forte et parce que les partis républicains sont désavoués. Bref, pour répondre à la métaphore de Marine Le Pen, plutôt que son centre de gravité, le FN est le charognard de la vie politique française.

Le Front national est-il définitivement devenu un parti comme les autres ? En quoi l'idéologie du FN en ferait-il un parti moins fréquentable que les autres ?

Non, ce n’est pas un parti comme les autres. Le FN est pour la peine de mort. Il est pour la sortie de l’euro. Il est pour l’abandon de la construction européenne. Il est contre l’avortement. Si on se décide à appeler la "préférence nationale" par son vrai nom, il préconise l’apartheid pour les immigrés, en particulier maghrébins. Et il perpétue la longue tradition de l’extrême droite en désignant à la vindicte un bouc émissaire : les Juifs et la franc-maçonnerie hier, les Arabes et les musulmans aujourd’hui.
Mais cela n’empêche pas de le fréquenter, c’est-à-dire d’accepter le débat, comme l’on accepterait un duel lorsque le gant est jeté. Par ailleurs, autant les cadres et les idéologues du FN sont des adversaires de notre identité républicaine, autant les électeurs du FN sont des citoyens à part entière : il serait donc temps de répondre concrètement à leurs préoccupations, au lieu de les traiter en parias.

Dans ce cas, quel est le meilleur moyen de s'opposer au FN ? La stratégie de diabolisation n'a-t-elle pas finalement été contre-productive ? Depuis son élection à la tête du parti, Marine Le Pen s’est lancée dans une entreprise de « normalisation » du parti : peut-on tenir exactement le même discours à l'égard du FN de Marine Le Pen qu'à l'égard du FN de Jean Marie Le Pen ?

La diabolisation a toujours été contre-productive. Elle a fait du FN le diable de la vie politique française : de fait, tout électeur voulant sanctionner les partis républicains est incité à voter FN. L’analyse de Pierre Péan et de Philippe Cohen dans leur livre "Le Pen, une histoire française" est à cet égard très éclairante.
Maintenir la diabolisation, c’est-à-dire le refus de tout débat, c’est donc renouveler ce monopole du FN sur le vote de rejet.
À une époque, cette diabolisation était justifiée moralement. Parce qu’en 1987, il a qualifié les chambres à gaz de "détail", refuser tout débat avec le FN était inévitable tant que Jean-Marie Le Pen le dirigeait et l’incarnait. Mais depuis qu’elle lui a succédé, Marine Le Pen refuse le révisionnisme avec intransigeance : elle mérite d’ailleurs d’être saluée sur ce point.
Il est donc grand temps d’arrêter toute diabolisation du FN. Il faut accepter totalement le débat sur le fond, pour porter la contradiction à l’extrême droite idée par idée, thèse par thèse. Il faut donc respecter les électeurs du FN. Au lieu de les insulter, au lieu de les considérer comme des abrutis, il faut respecter leur intelligence. Leur présenter honnêtement des arguments pour les convaincre que les idées du FN, au pouvoir, cela enverrait le pays dans le mur. Bien sûr, ils ne seront pas tous convaincus. Mais si ainsi leur intelligence est respectée, je suis profondément convaincu qu’au moins, ils écouteront.
Cela suppose évidemment de présenter de véritables arguments, clairs, sérieux, qui déconstruisent brique par brique les thèses du FN. À cet égard, lors de son débat sur « Des paroles et des actes » face à Marine Le Pen, la performance piteuse de Manuel Valls a été l’exact exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Incapable de riposter aux mensonges et aux amalgames accumulés par la présidente du FN, il n’a su qu’exprimer mécaniquement l’habituel chapelet "FN-raciste-antisémite-xénophobe". Expliquer que 45% des immigrés de France viennent d’Europe, que la France est juste avant l'avant-dernier pays d'Europe niveau immigration, et que les prisonniers d’origine maghrébine représentent un pourcentage ridiculement faible de notre population maghrébine totale, c’eût été un bon début.

Si l'échec de François Hollande se confirme, la présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017 est-elle inéluctable ?

Pour l’instant, c’est surtout de la crise de l’UMP que vient le risque de qualification de Marine Le Pen en 2017. Ni François Fillon ni Jean-François Copé n’ont la capacité de rassemblement de Nicolas Sarkozy.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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