"Estampillés - Essai sur le néo-racisme de la Gauche au XXIe siècle" : les ravages du progracisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de l'université de Berkeley.
Une vue de l'université de Berkeley.
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

Bonnes feuilles

Drieu Godefridi publie « Estampillés: Essai sur le néo-racisme de la Gauche au XXIe siècle » aux éditions Texquis. Dans cet essai qui couvre une fraction significative de la littérature néo-raciste américaine et, désormais, européenne, Drieu Godefridi analyse les concepts de cette résurgence académique, politique et médiatique de la race (le racisme systémique, le privilège blanc et autre « white fragility »). Extrait 1/2.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est docteur en philosophie (Sorbonne), juriste, et dirigeant d'entreprise. Il est notamment l'auteur de Le GIEC est mort, vive la science ! (Texquis, 2010), La réalité augmentée (Texquis, 2011) et De la violence de genre à la négation du droit (Texquis, 2013).

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J'avais le fantasme de décharger un revolver dans la tête de n'importe quel Blanc qui se mettait en travers de mon chemin, d'enterrer son corps et d'essuyer mes mains ensanglantées tout en m'éloignant sans culpabilité excessive, le pas léger. Comme si j'avais fait une putain de faveur au monde. Dr. Aruna Khilanani, université de Yale, avril 2021[1]

Il faut prendre au sérieux le nouveau discours fondé sur la race à la gauche du spectre politique et intellectuel occidental. Quand la race, la couleur de la peau, la « blanchité », Noirs, Blancs et « personnes de couleur » constellent le discours et la pratique de l'université et des médias — ce qui, en Europe, était impensable il n'y a pas quinze ans — le moment paraît opportun d'analyser les ressorts et catégories de ce nouveau discours sur la race.

Les théoriciens du néo-racisme sont limpides : la race dont il s'agit dans leurs écrits désigne la construction sociale, non la réalité raciale. « Le concept de blanchité n'a rien à voir avec la couleur de peau », écrit Rokhaya Diallo. Quand on oppose les « Blancs » aux « personnes de couleur », les termes dénotent certes l'épiderme — mais seulement parce que ce sont les expressions en vigueur et que le théoricien néo-raciste s'intéresse exclusivement à la réalité, la race telle que vécue dans les rapports sociaux et historiques. Comment éviter, dès lors, les mots dont on use et dont on a toujours usé pour désigner les Blancs, les Noirs et les personnes de couleur ? Cette « whiteness » dont il s'agit trône au pinacle des valeurs et de l'esthétique occidentales — selon les intellectuels néo-racistes — et c'est dans son éblouissante majesté sociale qu'elle doit être prise en compte, non dans sa réalité raciale. Motif par lequel les nouveaux racistes usent parfois de guillemets lorsqu'ils désignent la « race » comme prétendue réalité biologique, et qu'ils omettent les guillemets quand il s'agit de la race dans sa seule réalité tangible, qui est sociale. De même parlera-t-on en français de « blanchité » — comme construction sociale — à distinguer scrupuleusement de la couleur de l’épiderme, c'est-à-dire la « blancheur », réalité à laquelle la « blanchité » est parfaitement étrangère. Cette importante précision énoncée, le théoricien nouveau-raciste recommence tout naturellement à parler des Blancs et des Noirs (alors qu'en toute rigueur conceptuelle il devrait parler de « Blanchis » et de « Noircis », pour les scrupuleusement distinguer des Noirs et des Blancs raciaux). 

Ce modèle de préciosité en sociologie est l'archétype du bricolage sémantique pseudo-savant et pseudo-logique destiné à intimider le chaland qui irait stupidement s'inquiéter qu'on remette à l'honneur des critères raciaux qui n'ont pas laissé que des souvenirs enchantés dans l'histoire.  

Car, posons-nous la question : quel est le contenu historique et social du concept de « race » au sens historique et social que lui insufflent les néo-racistes ? Qu'ont en vue ceux qui, au travers des siècles, désignent les « Blancs » et les « Noirs », dans l'Amérique du dix-septième siècle ou l'Europe du vingt-et-unième siècle, à Venise ou dans le Kentucky, sinon leur apparence, c'est-à-dire la couleur de leur épiderme ? Qu'ont en vue les esclavagistes arabes qui exigent, en Europe et sur les rives de la mer Noire, qu'on leur livre de pleines cargaisons d'esclaves blancs ? Leur blanchité ? Ou la couleur de leur peau ? Quand les membres du Ku-Klux-Klan exaltent au dix-neuvième siècle la race blanche, est-ce la « blanchité » qu'ils lorgnent ? Ou la race ? Quand les responsables des admissions au sein des universités américaines pondèrent lourdement les points du test SAT en fonction de critères raciaux — Asiatiques : -140 points - Blancs : 0 point - Noirs : +310 points — est-ce la couleur « sociale » qu'ils ont en vue ? Donc un Blanc blond aux yeux verts qui se présenterait à Yale ou Princeton comme Noir « ressenti » bénéficierait de 310 points de plus que son frère qui persisterait dans sa maléfique essence raciale de « caucasien » ? Quand l'Américain ou l'Européen du XXIe siècle parle de Blanc ou de Noir, que dénote-t-il, sinon l'apparence ? Quand les programmes américains d' « action affirmative » privilégient en droit des catégories de citoyens en fonction de la couleur de leur peau, cette « couleur » s'entend-elle dans un sens figuré, poétique et social — ou épidermique ? Quand ces programmes sont appliqués par des agences administratives, sont-ce les personnes atteintes de « blanchité » qui sont écartées, ou les Blancs ? 

Les catégories « Blancs », « Noirs » et « personnes de couleur », qui sont les seules lettres du modeste alphabet néo-raciste, ont toujours désigné et désignent exclusivement la couleur de la peau, l'anatomie, la biologie donc la race — précisément quand on les prend dans leur usage social, historique, juridique et culturel. 

Envisageons un instant, pour les besoins de la cause néo-raciste, que les concepts de Blancs et Noirs soient séparés de la couleur de l'épiderme, pour désigner désormais des réalités non plus raciales, mais purement « potestatives », ne dépendant que de la volonté de celui qui les porte. Ce serait dans l'air du temps, quand on admet qu'on soit sexuellement homme ou femme par simple déclaration, sans égard à la réalité biologique sous-jacente.   

On pourrait dorénavant, dans cette hypothèse, se définir comme Noir en étant biologiquement blanc, et Blanc en étant biologiquement sub-saharien. 

Supposons, dès lors, que le « racisme systémique » bénéficie non plus aux épidermes blancs, mais aux personnes qui ont fait le choix de la « blanchité ». Selon cette hypothèse, le racisme systémique favoriserait les « Blanchis » et non plus les « Blancs ». Mais alors, pourquoi parler de racisme systémique, si le système bénéficie identiquement à toutes les races — du moment que l'on se considère comme Blanc ? Un système qui serait, par hypothèse, souverainement indifférent à la race biologique mérite-t-il d'être qualifié de « raciste » ? N'y a-t-il pas un contresens à qualifier de raciste le système qui serait, par définition, le plus indifférent à la race biologique dans l'histoire des hommes ? Quel serait le sens résiduel de ce « racisme » auquel on pourrait échapper par une simple décision ? 

Il y a plus grave. Si la race échappe en effet à la biologie pour devenir une pure « construction sociale », alors l'individu peut se libérer de sa race. Comment ce qui est possible individuellement ne le serait pas collectivement ? Comment soutenir, dans cette perspective « culturaliste », qu'un texte de droit qui privilégie les Blancs et un texte de droit qui privilégie les « personnes de couleur » sont mêmement porteurs de « white supremacism » ? Comment prétendre qu'un individu dispose de sa race, mais qu'un système de droit restera immanquablement hanté par le racisme du passé, quel que soit le contenu de ses dispositions ? L'individu serait le souverain de sa race, quand la somme des individus ne le serait pas ? 

Une version plus audacieuse de ce qui précède soutient que, si les Blancs peuvent en effet disposer de leur race — en choisissant, par exemple, de s’identifier comme « Black » —, les « personnes de couleur » ne le pourraient pas. De ce point de vue, la blanchité est disposable mais la négritude ne le serait pas — précisément parce que c’est le Blanc qui décide qui est blanc ou ne l’est pas; qui est admis au grand festin de la blanchité, quand les personnes de couleur sont en cuisine.  

C'est la thèse soutenue par le philosophe « indigéniste » Pierre Tévanian :  « Que veut dire être blanc ? Jusqu’à un passé récent, je ne m’étais jamais posé une telle question, car jamais on ne m’avait interrogé à ce sujet. C’est du reste la première réponse que l’on peut apporter : « Être blanc, c’est ne pas avoir à se poser la question “qu’est-ce qu’être blanc ?”, ne pas avoir, contrairement aux Noirs, Arabes et autres non-Blancs, à s’interroger sur soi-même, son identité et la place qu’on occupe dans la société, parce que cette place va en quelque sorte de soi » Du moins cette place va de soi dans la mesure où, en plus d’être blanc, je suis de sexe masculin, hétérosexuel et d’origine sociale aisée. L’essentiel de mon propos sur la condition blanche peut d’ailleurs s’appliquer à la condition d’hétéro, de mec ou de bourgeois. Être blanc n’est en effet pas une simple affaire de couleur de peau. Jack Lang ou Jacques Séguéla, par exemple, ont le teint plus mat que beaucoup d’Arabes, d’Antillais ou de métis, mais ce sont eux les Blancs. Être blanc ne signifie pas simplement avoir la peau claire, mais plutôt : ne pas être identifié comme un Noir, un Arabe, un Asiatique, un Turc ou un musulman, ne pas porter certains stigmates. D’où une seconde réponse : « Être blanc, c’est avant tout ne pas subir la discrimination comme les non-Blancs la subissent. Ce n’est pas avoir une certaine couleur mais occuper une certaine place – un certain rang social. »

Las ! Cette géométrie variable insinue fâcheusement que le Noir qui pense que son interlocuteur est blanc, en réalité ne pense pas : c’est le Blanc qui souffle à l’oreille du Noir — via le « système » — qui est blanc et qui est noir. Le Noir qui, ce lisant, ira naïvement comparer son épiderme à celui de son vis-à-vis blanc, est simplement victime d’un envoûtement systémique : c'est le Système qui force sur sa rétine une teinte qui n'existe pas dans le monde réel.  

Surtout, cette géométrie conceptuelle variable échoue à rendre compte de ce qui prétendument la fonde, ie l’usage historique et social des concepts raciaux de blanc et noir. Il n’existe aucune société humaine dans laquelle le concept racial de Blanc et de Noir n’ait pas désigné, d’abord et avant tout, la couleur de l’épiderme.  Quand les marchands d’esclaves arabo-musulmans effectuent des razzias sur le continent africain pour capturer ce que eux nomment des « esclaves nègres », ce n’est certes pas la « négritude » qu’ils convoitent. Quand ils organisent, sur la côte d’Afrique, de vastes marchés d’esclaves, et qu’ils séparent les « esclaves blancs » et les « esclaves noirs », ce n’est pas la négritude et la blanchité « culturelle » qu’ils ont en vue. Relatif, le concept de la race, dans l’histoire et dans l’espace ? Certes, comme tout concept. Mais d’abord, toujours et partout rivé à la couleur de la peau. 

Et puis, quelle serait cette théorie qui dirait que le Blanc dispose librement de sa race, mais qu'il ne peut se détacher de son racisme ? « La plupart d'entre nous ne choisiraient pas d'être socialisés dans le racisme et la suprématie blanche, explique DiAngelo. Malheureusement, nous n'avons pas eu ce choix. »  On pourrait changer de race, mais pas renoncer au racisme ? Etrange itinéraire psychique qui mènerait un Blanc à se réinventer comme Noir tout en restant « suprématiste blanc » malgré lui — et s'en défendant. 

La recette de cette formidable bouillabaisse logique et conceptuelle est inscrite dans les postulats d'une théorie dont il faut rappeler qu'elle se revendique de l'anti-raison. Promesse tenue. 

Lorsque l’éminente théoricienne Rokhaya Diallo déplore la couleur rose des sparadraps et blanche des compresses, par comparaison avec le marron de sa peau, faut-il comprendre ces couleurs dans un sens métaphorique et « social » ?

Le vrai est que le critère du néo-racisme est et a toujours résidé exclusivement dans la couleur de la peau, prise dans un sens proprement et purement anatomique, en parfaite conformité avec la sémantique, l'histoire et l'usage.   

Extrait adapté de « Estampillés — Essai sur le néo-racisme de la Gauche au XXIe siècle », vient de paraître


[1] "I had fantasies of unloading a revolver into the head of any white person that got in my way, burying their body and wiping my bloody hands as I walked away relatively guiltless with a bounce in my step. Like I did the world a f***ing favor." Aruna Khilanani est psychiatre légiste et psychanalyste ; ces propos furent tenus lors d'une conférence "The Psychopathic Problem of the White Mind" à l'école de médecine de l'université de Yale, "Child Study Center", https://nypost.com/2021/06/04/nyc-pyscho-fantasizes-about-shooting-white-people-in-yale-talk/

Extrait du livre de Drieu Godefridi, « Estampillés: Essai sur le néo-racisme de la Gauche au XXIe siècle », publié aux éditions Texquis

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