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"Titres électroniques sécurisés" : 60 millions de Français mis en fiche dans l'indifférence générale
©Reuters

Tous fichés !

La totalité de vos données personnelles sera désormais intégrée à un fichier nominatif centralisé. Mais c'est pour la bonne cause et toute inquiétude relève évidemment de la paranoïa.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Un épisode de Black Mirror , une remarquable série télé britannique que je me procurais illégalement auprès de mon dealer électronique préféré avant de réaliser qu'elle était diffusée gratuitement sur France 4, imagine une société dans laquelle c'est votre popularité sur les réseaux sociaux qui détermine votre situation dans le monde réel.

Que votre indice d'approbation glisse en deçà des cinq étoiles, et c'est le niveau du job que vous occupez, le confort de l'endroit où vous habitez, et même la nature des services marchands auxquels vous avez droit qui sont remis en question. Sous la barre des trois étoiles, c'est carrément la descente aux enfers et l'emménagement probable dans un vieux carton d'emballage déniché dans une poubelle...

Dystopie technophobe tirée par les cheveux ? Peut-être pas tant que ça. Déjà, si vous utilisez Uber ou Airbnb, c'est le nombre d'avis positifs que remporte votre profil client qui vous permet de continuer à commander des Vtc sur votre smartphone parce qu'il n'y a jamais de taxis et à passer trois jours chez l'habitant à Strasbourg parce que c'est moins cher que l'hôtel.

D'autant plus que la Chine, ce modèle d’ingénierie capitalisto-communiste, est en train d'introduire un système global de notation de sa population intégrant l'ensemble des données personnelles collectées sur Internet pour faciliter l'émergence de citoyens modèles qui consomment correctement et pensent convenablement (j'ai d'abord pris cette information pour une nouvelle dose de China bashing xénophobe mais, vérification faite, ça n'est pas le cas).

Mais bon, la Chine, c'est loin, c'est bizarre, et ce n'est certainement pas sous nos latitudes éclairées qu'un État attaché au respect des libertés individuelles se lancerait dans ce genre de manœuvres cyber-totalitaires sans provoquer de sacrées levées de boucliers tous azimuts. Enfin, c'est du moins ce qu'on pouvait se dire jusqu'au 30 octobre dernier, date de la parution d'un discret décret au Journal Officielautorisant la création d'un fichier de la quasi-totalité des Français (60 millions sur 67) au motif que le renouvellement de leurs papiers d'identité en serait facilité.

Pour autant, une base de données de 60 millions de dossiers informatiques complets (nom, âge, sexe, couleur des yeux, taille, domicile, éléments de filiation, photo d’identité et empreintes digitales), même compilée pour la bonne cause et dont l'accès est strictement réservé à nos bienveillantes autorités, est-ce que ça ne doit pas faire flipper un tout petit peu ? Et dans un monde où des Trump ou des Le Pen peuvent raisonnablement envisager d'arriver au pouvoir, est-ce que même les braves gens honnêtes et sans histoire que nous sommes vous et moi ne peuvent pas s'interroger sur l'usage qui pourrait être fait d'un tel fichier? Ou s'inquiéter de leur cession à des tiers, voire de leur piratage?

"Pfff, bien sur que non, espèces de paranos inconséquents qui fournissent déjà tous les détails de leur vie privée à Facebook et à Twitter !", s'agace en substance Jean-Vincent Placé, le secrétaire d’État chargé de la "simplification" en concédant d'ailleurs que tous les fichiers sont susceptibles d'être "hackés" par de petits malins aux intentions ambiguës et qu'on n'y peut rien.

Bah, il a sans doute raison, le Jean-Vincent. Black Mirror, c'est de la fiction dystopique, la Chine, c'est à 8 000 kilomètres, et un fichier centralisé qui connaît tout de moi dont n'importe qui pourrait faire n'importe quoi au gré des circonstances, c'est juste un outil administratif anodin dont seuls les complotistes s'offusquent puisque même la Cnil semble l'avoir validé...

Mais tout de même, je me demande si j'ai bien fait d'avoir démarré cette chronique en avouant que je téléchargeais des séries illégalement. Si ça fait baisser ma note et que je me retrouve dans un carton d'emballage, je l'aurais sans doute bien mérité.

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