Réforme des retraites, le travail est une pollution pour les activistes climat<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants de Youth for Climate, à Paris, lors d'un rassemblement pour le climat.
Des manifestants de Youth for Climate, à Paris, lors d'un rassemblement pour le climat.
©Thomas SAMSON / AFP

Observatoire des radicalités et du wokisme

Les jeunes militants impliqués dans la protection de l'environnement se mobilisent sur le dossier de la réforme des retraites.

Olivier Vial

Olivier Vial

Olivier Vial est Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités.

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Une bouffée d’optimisme semble avoir atteint les activistes de la génération climat. La réforme des retraites aurait-elle des effets anxiolytiques capables de calmer les angoisses de ces écoanxieux ? Sinon comment comprendre que de jeunes militants, qui depuis des mois nous alertent sur l’apocalypse qui mettra fin à notre monde dans exactement 786 jours [1], s’intéressent désormais à l’âge de leur départ à la retraite dans plus de 40 ans. 

Dernière rénovation, Youth for the Climate – France (le mouvement fondé par Greta Thunberg), Extinction Rebellion… tous appellent à participer aux manifestations.

Le rapport au travail et à notre système économique, en réalité, ce sont sur ces points qu’ils vont concentrer leurs attaques. La mobilisation pour la réforme des retraites est, avant tout, pour eux, l’opportunité d’imposer leurs thématiques et leurs méthodes auprès d’une audience déjà engagée et bien plus large que celle qu’ils touchent habituellement. L’appel à la jeunesse de Youth for the climate annonce la couleur : « Contre cette réforme violente et injuste. Il est urgent de repenser l’activité humaine en dehors d’un cadre capitaliste et productiviste ». Les Soulèvements de la terre précisent : « l'équation est simple : dans le royaume capitaliste, travailler plus, c'est produire plus, donc polluer plus, extraire plus de matière, consommer plus d'énergie, produire plus de déchets ». 

Réduire le temps et la place du travail

Pour convaincre et rallier à eux les partis de gauche, une réunion a été organisée dès le 10 janvier, à l’invitation du site Reporterre et du journal Fakir, avec des représentants de l’ensemble des organisations du NPA au Parti socialiste, l’objectif : dénoncer le caractère climaticide de la réforme des retraites. « Il est en effet maintenant reconnu, précise les organisateurs de cette réunion, que plus on travaille à produire des richesses économiques, plus on accroît la pression sur les ressources naturelles, et plus augmentent les pollutions environnementales et les émissions de gaz à effet de serre, en grande partie responsables du réchauffement climatique. » Ainsi présenté, le travail devient une pollution comme les autres qu’il convient de combattre pour la réduire. « Face à la crise écologique, poursuivent les organisateurs, n’est-il pas temps de recentrer le travail sur la production de choses essentielles à la vie ? Et de diminuer le temps de travail global pour favoriser l’autoproduction — cuisine, couture, réparations diverses… — et l’engagement populaire dans des activités bénéfiques, entre autres, à l’environnement — jardinage, soin de la biodiversité, soutien à des projets collectifs, etc. ? ». 

Ce type de discours peut résonner aux oreilles de certains comme une passade, un retour aux douces utopies des années hippies. Il est à craindre que l’affaire soit plus sérieuse. Cette remise en cause du travail s’appuie désormais sur des tendances fortes qui traversent les jeunesses des pays occidentaux. Des appels à « bifurquer » lancés par les élèves de nos grandes écoles (Agro ParisTech, HEC, Polytechniques…) à la montée du quiet quitting chez les salariés qui décident de se désengager de leur travail, de ne pas en faire plus que le minimum nécessaire et de réduire leur productivité, tout cela concourt à un nouveau rapport au travail. Un nouvel imaginaire qui est en train de s’imposer. Déjà, 37 % des salariés français selon une étude parue en novembre, seraient concernés par cette « démission silencieuse » [2]. Quand Sandrine Rousseau revendique le « droit à la paresse », qu’elle va jusqu’à affirmer espérant ainsi la discréditer que « la valeur travail, pardon, c'est quand même une valeur de droite !", elle n’est en réalité que la pointe avancée d’une remise en question beaucoup plus profonde portée par les militants de la génération climat. 

Déjà, dans les premières « AG » lycéennes ou étudiantes, c’est la question de la place du travail qui s’impose. Les activistes ont bien compris que s’ils souhaitent mobiliser la jeunesse cela ne se fera pas sur la base de revendications techniques ou paramétriques. 42 ou 43 annuités ? Peu leur importe. Le but, c’est de profiter de ce moment pour enfoncer un peu plus le clou de la décroissance. « Réduire le temps et la place du travail », cotiser moins longtemps… on comprend bien que si cette direction devait être suivie, elle conduirait nécessairement à une baisse importante du pouvoir d’achat des futurs retraités (baisse des pensions, faillite du système par répartition…). Et alors ? Dans leur logique, moins de pouvoir d’achat, c’est moins de consommation, moins de production… Une sobriété imposée ! Une façon de nous obliger tous à devenir décroissants.

La mobilisation qui s’annonce dans les prochaines semaines chez les jeunes contre la réforme des retraites sera également une opportunité pour ces mouvements de recruter et d’imposer leurs méthodes. Que ce soit au sein des cortèges ou dans les « AG », l’aura des rebelles d’Extinction Rebellion, la réputation des Soulèvements de la terre et de toute cette galaxie activistes risquent d’inciter une partie de la jeunesse mobilisée à les rejoindre ou au moins à s’inspirer de leurs moyens d’action. Le principe de la désobéissance civile est déjà largement accepté parmi une partie de la jeunesse. Une étude réalisée par des chercheurs de Sciences Po Grenoble en 2021 et consacrée aux acteurs et sympathisants des marches sur le climat montre que 70 % d’entre eux considèrent légitime pour « défendre l’environnement » de « désobéir aux lois » [3].

Une marche de plus risque d’être franchie. Un groupe d’activistes anonymes qui se fait appeler « QE » a déjà publié le 20 janvier un appel à unir le front des luttes. Il souhaite voir converger : “écologiste, féministe, antiraciste, anticapitaliste, anarchiste, anti-tech, animaliste” dans ce front commun qui a vocation à rassembler tous les profils de militants les « non-violents et les non-pacifistes » (« non-pacifiste », on admire le sens de la litote). Le 24 janvier, ce même groupe a diffusé un vade-mecum permettant, grâce à 8 types d’actions, de radicaliser le mouvement contre les retraites. Ils invitent notamment à bloquer les lycées, les universités, les ports, les raffineries… à organiser la convergence des luttes et des organisations sociales écologistes et à augmenter le rythme des manifestations pour épuiser les forces de l’ordre…

Les prochaines semaines s’annoncent particulièrement chaudes… indépendamment du réchauffement climatique.

Par Olivier Vial, Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités.


[1] Selon le décompte de Dernière rénovation.

[3] Alexandre C.,Gougou F., Lecoeur E., Perisco S., (2021) Rapport descriptif de l'enquête sur le mouvement climat (Pacte). Rapport de recherche - Sciences Po Grenoble ; Pacte - Université Grenoble Alpes, 2021, 43 p. halshs-03342838.

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