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De plus en plus de compagnie aérienne proposent de compenser le CO2 émis par un vol. La pratique relève-t-elle, en vérité, de la fumisterie ? - Photo AFP
De plus en plus de compagnie aérienne proposent de compenser le CO2 émis par un vol. La pratique relève-t-elle, en vérité, de la fumisterie ? - Photo AFP
©REMY GABALDA / AFP

Atlantico Green

De plus en plus de compagnie aérienne proposent de compenser le CO2 émis par un vol. La pratique relève-t-elle, en vérité, de la fumisterie ?

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : Compenser son empreinte carbone avant ou après un trajet en avion est devenu un réflexe pour de plus en plus de voyageurs qui culpabilisent face à l'urgence climatique. Lors de la réservation d’un billet, le fait de cocher la case garantissant de pallier les émissions de CO² d’un vol est-il réellement bénéfique et efficace pour la planète ? Quelle est la réalité de ce mécanisme et quel est l’impact concret pour l’environnement de ces compensations CO2 pour les vols en avion ?

Alexandre Baumann : Dans l'absolu, il faut avoir en tête l'économie réelle du cochage de cette case : vous vous donnez bonne conscience pour vous permettre un comportement que vous jugez par ailleurs honteux. C'est une mécanique commune en marketing. C'est d'ailleurs ainsi que sont nées les portions « king size » dans la restauration aux Etats-Unis : D. Wallerstein travaillait pour une chaîne de cinémas dans les années 60 et avait infructueusement cherché à inciter ses visiteurs à prendre plus de sodas et de popcorn. Ces derniers se contentaient de leur menu et ne voulaient pas prendre plus d'une portion pour ne pas passer (vis-à-vis d’eux-mêmes ou des autres) comme des gloutons (image « particulièrement négative dans une société assez religieuse »). Il eut alors l’idée d’augmenter les doses, ce qui fonctionna très bien, avec le succès qu’on sait des portions « king size » aux États-Unis. L’entrepreneur a ensuite été embauché par Mc Donald, dont il est l’un des dirigeants aujourd’hui. (Lendrevie, J., Levy, J., Lindon, D., 2006. Mercator - Théorie et pratique du marketing, p.138)) Qu'ils soient effectivement "gloutons" ou non n'avait ainsi aucune importance.

Le cochage de cette case s'inscrit dans cette économie du bullshit, à charge pour la compagnie aérienne de rendre leur compensation carbone suffisamment crédible pour le client. Potentiellement avec la complicité de ce dernier, qui n'a pas particulièrement envie de se sentir mal vis-à-vis de ce qu'il fait. Il paye déjà un frais en plus, il n'a pas envie qu'en plus que ce soit pour rien.

Il y a donc, pour la compensation carbone, ce risque fondamental lié à l'alignement des intérêts. Et c'est un risque particulièrement problématique, car il y a une infinité de façons de mal faire de la compensation carbone.

Néanmoins, c'est un problème qui concerne aussi l'industrie et la compensation réglementaire de carbone, notamment celle du Clean Development Mechanism (CDM) issu du Protocole de Kyoto et les Emissions Trading Systems (ETS). Pour ces dernières, il y a une réglementation drastique. Elles ne concernent néanmoins pas le cas des compensations volontaires. On voit ainsi encore de nombreuses marques qui prétendent compenser le carbone qu'elles émettent juste en plantant des arbres ...

En réalité, il y a de nombreuses manières de compenser du carbone, l'achat ou la plantation de forêts n'est que l'une d'elles. Il y a aussi de la production d'énergie, l'efficacité énergétique ou encore la diminution des émissions de gaz industriels. D'ailleurs, les projets de diminution d'émission de N20 et de HFCs représentaient 74% des crédits accordés  sous le CDM en 2009, le reste concernant surtout des projets de production énergétique. L'afforestation et la reforestation représentaient 1% des projets et ... 0% des crédits.

Pour les compensations volontaires donc, la principale garantie sont des labels privés, comme Verra, utilisant des méthodologies, comme le Verified Carbon Standard. Cette entreprise a récemment été critiquée par un article du Guardian alléguant deux études montrant que ses projets de compensation carbone par préservation de la forêt tropicale n'atteignaient que 10% de leurs objectifs allégués. En même temps, ces projets ne sont qu'une partie des mesures de l'entreprise.

En somme, pour connaître l'efficacité des programmes volontaires de compensation carbone, il faudrait analyser chacun de ces fournisseurs et voir avec lesquels contractent les transporteurs aériens. C'est d'autant plus difficile que le secteur représente un marché important (plusieurs milliards de dollars) et est exposé au dénigrement pseudo-écologiste.

Référence :

  • Heather Lovell & Diana Liverman (2010) Understanding Carbon Offset Technologies, New Political Economy, 15:2, 255-273, DOI: 10.1080/13563460903548699

Les compagnies aériennes sont-elles de plus en plus actives et efficaces dans ce domaine ou est-ce un moyen pour les voyageurs de se donner bonne conscience ?

Des chercheurs ont étudié en 2022 les communications de 37 compagnies d'aviation et constaté que 44% des argumentaires autour de la compensation carbone sur leurs sites internet induisaient en erreur. Plusieurs autres études prétendent montrer un manque d'information, de crédibilité et de transparence, mais "aucun cadre n'a été développé pour analyser les prétentions environnementales des compensations volontaires comme fiables ou induisant en erreur". (Guix et al. 2022) Par ailleurs, l'étude ne parle pas de la réalité concrète des mesures alléguées.

Certaines compagnies, comme Delta Air Lines, se désengagent de la compensation carbone volontaire, préférant le biocarburant. Le directeur de United Airlines est plus direct, expliquant en 2023 pourquoi il est "contre la compensation carbone" : "Il y a deux choses qui ne vont pas avec eux. D'abord, la majorité sont des fraudes. Ils plantent des arbres ou n'en coupent pas, mais ce sont des arbres qui auraient été plantés de toute façon ou qui n'auraient jamais été coupés. Même si ce n'étaient pas des impostures, ce n'est pas scalable. Parce qu'ils consistent surtout à planter des arbres, il n 'y a juste pas assez de place sur la planète. Si on plantait des arbres dans chaque cm² de la planète où peuvent pousser des arbres, cela représenterait moins de 5 mois des émissions de GES de l'humanité. Ah et au fait, mourrait tous de famine, parce qu'on aurait couvert toutes les fermes." (traduit de l'anglais)

Référence :

Les compensations CO2 pour les vols en avion peuvent-elles être contre-productives pour l’environnement comme le prouvent certaines études ?

Pour être efficace, une compensation doit être permanente, ne pas être comptée deux fois, ne pas engendrer de "fuite" (en favorisant une autre émission) et être réellement additionnelle (que le projet n'aurait pas été fait sans ça). La permanence aurait par exemple été un obstacle à l'inclusion de la foresterie dans les ETS européens. (Pan et al. 2022) Une forêt dédiée à la compensation avait d'ailleurs brûlé en Oregon en 2021. Notons par ailleurs la difficulté de monitorer une forêt pendant 100 ans ...

Il est aisé d'imaginer des scénarios où les compensations sont contre-productives. Par exemple, prenons un projet de reforestation de l'Amazonie. Des industriels achètent un énorme ranch et veulent y replanter des arbres. Cela va encourager les voisins à brûler plus de forêt, où ils pourront remettre des ranchs qui pourront être encore payés par les industriels de la compensation carbone.

Une étude de Günther et al. (2020) a également montré que les programmes de compensation carbone volontaires avaient tendance à augmenter l'utilisation de ressources (de 5.4 à 15%), sauf en cas de feedback en temps réel de la consommation de ressource. Ainsi, une compensation inefficace couplée à une mise en œuvre sous optimale entraînera une augmentation des émissions de CO2.

Référence :

  • Pan, C., Shrestha, A., Innes, J.L. et al. Key challenges and approaches to addressing barriers in forest carbon offset projects. J. For. Res. 33, 1109–1122 (2022). https://doi.org/10.1007/s11676-022-01488-z

  • Günther, S. A., Staake, T., Schöb, S., & Tiefenbeck, V. (2020). The behavioral response to a corporate carbon offset program: A field experiment on adverse effects and mitigation strategies. Global Environmental Change, 64, 102123. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2020.102123

Quels sont les mécanismes qui pourraient être améliorés dans le cadre de la compensation CO2 pour les vols en avion afin de préserver l’environnement plus efficacement ? Faudrait-il changer d’approche et plutôt réfléchir à la réduction des émissions ? Y a-t-il des alternatives plus efficaces ?

La compensation carbone est souvent une logique purement moraliste, où il faut simplement s'effacer, être moins coupable que les autres, peu importe l'effet final. L'archétype étant le plantage d'arbres qui est souvent infructueux (l'arbre meurt) ou d'une permanence relative (l'arbre brûle). Un procédé plus intelligent serait l'utilisation des fonds pour financer des innovations.

Je pense qu'on a un meilleur impact environnemental en finançant des centrales nucléaires et des centrales solaires en Pologne par exemple, ou en finançant les nombreux projets de petits réacteurs modulaires. Cela permet de diminuer durablement et de manière fiable et prédictible les émissions de GES sur le long terme.

Malheureusement, même si on envisageait cette solution, on serait face à une difficulté majeure : l'hégémonie de la désinformation sur l'écologie. L'écologie politique n'a rien d'écologique et tout de politique, c'est un obstacle. Aujourd'hui la désinformation ne fait pas que poser problème, elle domine les discours sur l'écologie et tous les organismes les plus connus appartiennent à la pseudo-écologie.

Le pire a été illustré par ChangeNow le 26 mars dernier, une conférence qui rassemblait beaucoup d'acteurs économiques importants et prétendait mettre en avant les innovations possibles : à la cérémonie d'ouverture, ils ont invité Vandana Shiva. 

Si vous n'êtes pas familiers avec elle, il s'agit d'une des principales architectes de la désinformation pseudo-écologiste, qui s'est fait remarquer récemment par la virulence de ses propos anti-vaccins et sa diabolisation de Bill Gates. Elle a donc été invitée à s'exprimer pendant >20 minutes, en étant montée au pinacle par la présentatrice subjuguée, dans une intervention mêlant mensonge, approximations et complotisme évidents et ... être applaudie.

Pour vous informer sur cette personnalité, vous pouvez consulter l'article de Michael Specter, le blog de Seppi ou encore mon commentaire de son film (auto)biographique. C'est édifiant.

Comment peut-on imaginer un progrès quelconque lorsque les pires désinformateurs, les menteurs les moins scrupuleux, les plus odieux, sont applaudis ainsi ? Cela me dépasse.

Au final, dans ce contexte, est-ce que la "compensation carbone" n'est pas simplement "le mieux" qu'on puisse faire à grande échelle, avec le grand public ? A moins qu'il ne faille commencer à lutter contre la désinformation à marche forcée ...

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