L’IA peut-elle faire dérailler tous nos efforts en matière de réduction des émissions de CO2 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©LIONEL BONAVENTURE AFP

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Les progrès en matière d'intelligence artificielle et les ressources nécessaires pour cette technologie vont-ils avoir un impact négatif sur l'environnement ?

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Atlantico : L’IA est-elle vraiment si consommatrice d’énergie ? Cela est-il quantifiable ?

Samuel Furfari : Rien, absolument rien, ne peut fonctionner sans énergie. Lorsque vous posez votre ordinateur portable sur vos jambes, vous sentez qu’il dégage de la chaleur, d’où la présence d’un ventilateur qui fait beaucoup de bruit. Vous pouvez donc imaginer la chaleur générée par un centre de serveurs informatiques. C’est pourquoi ces grands centres sont situés dans des régions froides comme le nord de la Finlande ou l’Alaska. La consommation d’internet représente 4 à 5 % de la consommation mondiale d’énergie, soit autant que l’aviation ou le transport maritime. On a dit aux hommes politiques que tout le monde devait réduire ses émissions de CO₂. C’est idiot, car les émissions sont globales. Alors, pourquoi s’attaquer à quelque chose qui est très difficile à réduire?

L’empreinte carbone de l’IA est influencée par trois facteurs principaux : le logiciel (algorithmes), le matériel et l’intensité carbone de la source d’électricité. Bien sûr, avec une méthode ascendante, on pourrait s’amuser à quantifier cette consommation d’énergie. Mais quel est l’intérêt? Les utilisateurs cesseront-ils de lutiliser sils connaissent la donnée?

Si les données exactes sont difficiles à cerner, il est clair que la croissance exponentielle et l’adoption de grands modèles d’IA entraînent une augmentation massive de la consommation d’énergie. Selon les prévisions, la consommation d’électricité dans les centres de données américains, fortement stimulée par les charges de travail de l’IA, pourrait tripler par rapport aux niveaux de 2022, atteignant jusqu’à 390 térawattheures d’ici la fin de la décennie. Cela représenterait environ 7,5 % de la demande d’électricité prévue pour le pays. Il est clair que les opérateurs ont un intérêt économique à limiter la consommation d’énergie. Ils sont beaucoup plus attentifs que les consommateurs domestiques, étant donné l’énormité de leurs factures d’électricité. Ils peuvent facilement verdir leur image en disant qu’ils luttent contre les émissions de CO₂, mais en fait ils veulent réduire leur facture énergétique, et ils ont bien raison de le faire.

L’entreprise Microsoft s’était engagée à éliminer plus de carbone qu’elle n’en émet d’ici la fin de la décennie. Aujourd’hui, la compagnie tente de devenir le leader mondial de l’intelligence artificielle. L’IA risque-t-elle de perturber les plans et les efforts en matière de réduction des émissions de CO₂ à l’échelle mondiale?

Comme souvent, la consommation d’énergie — et donc son impact sur le CO₂ — d’un équipement se trouve principalement dans la phase de fabrication. Ce n’est donc pas l’utilisation de l’IA qui est le premier émetteur, mais la construction des serveurs. Il est donc compréhensible que les entreprises s’inquiètent. Microsoft et tous les autres sont pris à leur propre piège. Ils ont promis de réduire leurs émissions de CO₂, mais comme je le démontre dans mon livre «Énergie, mensonges d’état», il sagit dune vaste supercherie. Ces gens sont habitués à travailler avec des bits et ils pensent qu’il suffit d’un algorithme pour limiter la consommation d’énergie comme on peut le faire dans le numérique. C’est une grande erreur de confondre les bits et les atomes. Le virtuel ne peut exister que s’il y a du matériel.

Je m’étonne que des entreprises aussi avant-gardistes puissent encore ignorer le fait que personne ne réduira sa consommation d’énergie autant qu’il le souhaiterait. Un serveur est construit à partir de nombreux matériaux, à commencer par le cuivre des câbles, l’acier des structures et même le plastique des boîtiers, qui est dérivé du pétrole. Tout cela est conçu à partir de bits, mais il faut des atomes et des molécules pour les fabriquer. Et cela consomme de l’énergie.

Je me réjouis que ces extrémistes du climat aient été piégés dans leurs illusions parce qu’ils ont trompé le public naïf. N’oublions pas qu’il y a quelques années, les GAFA se sont lancés dans la production d’électricité renouvelable à grand renfort de propagande. Ils ont vite déchanté.

Alors que l’IA va connaître un véritable boom dans les années à venir, comment est-il possible de permettre de développer un modèle plus vertueux sur le plan de l’environnement? Comment faire pour que lIA soit plus respectueuse de lenvironnement? Les engagements des sociétés de la Silicon Valley sur cette question sont-ils crédibles?

L’IA n’est pas fondamentalement différente du fonctionnement de l’internet. Elle nécessite des serveurs plus puissants, qui chauffent donc davantage et consomment plus d’électricité. Le problème de l’énergie est le même pour tout le monde, que ce soit pour l’IA, pour chauffer votre maison ou pour faire rouler un train. Le besoin d’énergie est universel.

J’aimerais vous rappeler qu’en 2024, cela fait exactement un siècle que l’on a commencé à chercher à améliorer l’efficacité énergétique. En 1924, le président américain Calvin Coolidge a lancé un programme de «conservation» de l’énergie. Depuis lors, bien quavec des périodes dinactivité, la quête sest poursuivie. Et elle se poursuivra, mais comme je lai dit au début, nous n’échapperons pas à la croissance de la consommation d’énergie. Nous serons toujours plus efficaces, mais ce ne sera pas suffisamment pour freiner l’augmentation de la demande mondiale générée par un nombre croissant d’utilisateurs de l’IA. Il en va de même pour toute la consommation d’énergie. C’est inévitable.

Ainsi, plutôt que de s’efforcer de conquérir l’inaccessible, nous avons besoin de revenir au langage de la vérité. L’IA et l’internet sont des outils d’une immense valeur, qui ont un impact positif sur l’humanité comme jamais auparavant. L’énergie consommée pour les faire fonctionner ne doit pas être considérée comme un élément négatif, mais comme un élément positif. Il ne s’agit pas d’un coût externe — notion si chère aux écologistes — mais d’un bénéfice interne. Lorsque j’enseigne ces concepts à mes étudiants, ils n’arrivent pas à croire qu’ils n’y ont pas pensé eux-mêmes tant c’est évident. L’énergie est positive, pas négative. La preuve en est que tout le monde en consomme et n’accepterait pas d’en être privé.

Certains répondront : mais qu’adviendra-t-il alors des émissions de CO₂. Ma réponse est qu’il faut poser la question aux Indiens, et non à moi. À elle seule, l’Inde émettra en 2050 trois fois la quantité de CO₂ que l’UE prétend éliminer.

La réponse à votre question est donc évidente : les engagements des entreprises de la Silicon Valley ne sont pas crédibles. Les promesses de transition énergétique de l’UE ne le sont pas non plus. L’énergie, c’est la vie, c’est le progrès, c’est la source du bien-être — IA ou pas!

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