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Etats-Unis : falaise fiscale, épisode 2
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Trans-Amérique Express

Le mot "sequester" est sur toutes les bouches aux Etats-Unis. Il fait référence aux coupes budgétaires automatiques inclues dans la "falaise fiscale". Elles doivent prendre effet début mars sauf si un accord est trouvé pour que le gouvernement américain continue de dépenser sans compter.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Il fut un temps où les Américains avaient l’habitude d’enrichir leur patrimoine, aujourd’hui ils enrichissent leur… vocabulaire.  Le mot « sequester » vient d’y faire une entrée fracassante.  Du latin « sequestrare », qui a donné « séquestrer » en français, il signifie « garder, retenir, mettre à l’abri ». Inconnu du yankee moyen voici encore six mois, le terme est aujourd’hui à la une des journaux et dans la bouche de tous les politiques et journalistes. Il fait référence au deuxième volet de la « falaise fiscale », celui qui concerne les coupes budgétaires. Le premier ayant été les hausses d’impôts.

A ceci près que si les hausses d’impôts ont bien été approuvées par le Congrès, un nombre suffisant de Républicains se rangeant avec les Démocrates,  il est  peu probable que les coupes budgétaires se matérialisent. En effet le « sequester » est le second épisode d’une saga budgétaire spectaculaire, mais prévisible. Partisans de la responsabilité, voire de la rigueur fiscale, les Républicains ont le mauvais rôle et ils céderont à l’arrivée.   

Rappel des épisodes précédents: incapables de s’entendre sur un plan de réduction de leur déficit budgétaire (révisé à 845 milliards de dollars en 2012, après trois années à plus de mille milliards) les élus du Congrès avaient convenu que s’ils ne parvenaient pas à un accord avant le 31 décembre 2012, une combinaison de hausses d’impôts et de coupes franches, notamment dans le budget de la Défense, interviendraient automatiquement.

La date limite est venue, et a même été dépassée. Mais in-extremis, ces élus et le président Obama sont parvenus à s’entendre pour augmenter certains impôts, (relèvement de 36% à 39,6% du barème pour les revenus supérieurs à 400 000 dollars par an), et pour repousser au 1er mars 2013 la date à laquelle le « sequester », c’est-à-dire les coupes automatiques, prendrait effet. A charge pour eux de trouver d’ici-là un autre accord sur des réductions à la fois moins violentes et mieux ciblées.

Le 1er mars, c’est presque déjà demain, et voilà soudain qu’à droite et à gauche, mais surtout à gauche, on s’inquiète bruyamment de la perspective des coupes à venir.  Pourquoi ?  Parce qu’elles vont  nuire à une économie déjà bien en peine. Car qui dit « coupes budgétaires » dit « jobs en moins». Le « sequester » consiste tout simplement à supprimer des programmes publics et donc les emplois des personnes y étant attachées.

Ce mardi 5 février, le président Obama y est allé de sa complainte : « Il n’y a aucune raison que les emplois de milliers d’Américains travaillant dans les secteurs de la défense, de l’éducation ou des énergies propres soient menacés parce qu’à Washington les gens sont incapables de s’entendre pour éliminer quelques niches fiscales et réformer quelques programmes qui en ont besoin. »

Présentée ainsi, l’affaire est claire.

Sauf que les « quelques niches fiscales » en question doivent, à terme, permettre de combler une dette cumulée de seize « trillions » de dollars, soit seize mille milliards de dollars, l’équivalent du PIB américain, soit toute la richesse nationale produite en un an. Ça fait beaucoup de niches à trouver.  

Sauf que les Américains pourraient aussi se demander au nom de quoi leur gouvernement finance des emplois avec de l’argent qu’il n’a pas ? Et au nom de quoi il a accumulé déficit après déficit, année après année,  depuis trente ans, une dette équivalente à 50 000 dollars par habitant.

Mais pour l’heure la priorité est à l’emploi. La dette viendra après. Comme toujours.

Dans un éditorial cinglant, le New York Times estime ainsi que le « sequester » risque de coûter au pays « un million d’emplois », dans des secteurs allant « des forces armées au FBI » (le choix de mettre en avant ces deux outils de la sécurité extérieure et intérieure américaine n’étant pas fortuit). Sachant qu’en 2012 l’économie américaine a péniblement généré deux millions d’emplois nouveaux, c’est carrément la moitié de l’effort de reprise qui serait ainsi mis à bas. La faute en revenant exclusivement, selon ce journal, « aux républicains en révolte contre le gouvernement » !

Déjà, note le New York Times « les effets des coupes à venir se reflètent dans les mauvais chiffres de l’économie indiquant une contraction au dernier trimestre 2012 ». Contraction due à « la baisse des dépenses du Pentagone et des industries d’armement en anticipation des effets du « sequester » ».

« Notre économie, poursuit le quotidien new-yorkais, est en équilibre instable sur le fil du rasoir, et c’est le pire moment pour imposer des coupes budgétaires… (et) une austérité irréfléchie ».  Et d’accuser les Républicains de précipiter la ruine des Etats-Unis alors que « le Congrès devrait réfléchir à des moyens de soutenir l’économie, pas de combler des déficits à courts termes ».

Sachant qu’il reste un mois de négociations avant les coupes du « sequester », la charge est lourde. Les Républicains, majoritaires à la Chambre des Représentants, vont être pressés de tous bords de trouver une échappatoire pour éviter ces coupes.

Et gageons qu’ils le trouveront !

Le problème du déficit budgétaire aux Etats-Unis n’est pas nouveau. Ce n’est pas d’ailleurs un problème exclusivement américain. C’est un problème commun à la plupart des pays industrialisés. La dette publique moyenne des pays de l’OCDE dépasse 100% du PIB. Elle est de 210% du PIB au Japon, 165% en Grèce, 120% en Italie, 110% en Irlande, 100% en Belgique, 90% en France, etc.  Ces pays ont tous en commun d’allier une croissance économique faible avec un secteur public et une protection sociale très étendus. Aucun gouvernement n’a pris le risque politique de remettre en cause ce système, bien que la réduction des dépenses publiques soit la condition incontournable qui permette de redynamiser   l’économie et de retrouver un niveau de croissance de nature à générer à la fois des emplois et les revenus pour rembourser la dette.

Les Etats-Unis qui ont longtemps mis en avant leur « exceptionnalisme », avec une économie réputée plus libre et plus flexible qu’ailleurs, sont rentrés dans le rang.  Ils ne vont plus en sortir.

L’enjeu majeur de l’élection présidentielle de 2012 était la poursuite ou la réforme de ce système. Mitt Romney partisan de sa réforme a été battu. J’ai détaillé cet enjeu et raconté cette bataille dans mon livre « Mitt Romney pour le renouveau du mythe américain ». Aujourd’hui l’affaire est entendue.

Les Etats-Unis vont maintenir leur niveau de dépenses publiques, même au prix d’un endettement pénalisant et d’une croissance anémique. Le débat autour du « sequester » n’est qu’une pantomime dont le dénouement est connu d’avance. 

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