L'Egypte au second tour va-t-elle oublier la génération Tahrir ?

Lundi 28 mai, les résultats du premier tour de l'élection présidentielle ont été officiellement confirmés. 

Les chiffres-clés : Mohamed Morsi (Frères musulmans) : 5 764 968 voix. Ahmed Shafik (dernier premier ministre de Moubarak) : 5 505 327 voix. Hamdeen Sabbahi (gauche) : 4 823 273 voix. Abu El Fotouh (islamiste, ex leader des Frères Musulmans) : 4 650 239 voix. Participation : 46.42%. Nombre d'électeurs: 23 670 236. 600 000 voix seulement séparent Mohamed Morsi et Ahmed Shafik. 

Sur Twitter, où les réactions peuvent être suivies sur ce hashtag, le choc et la désolation ont débordé tous ce dernier week-end.

Shafik : le "félon"

C'est lui l'humiliation, la gifle terrible, pour toute la génération Tahrir et ses "martyrs", les jeunes morts sous la torture ou durant les affrontements en 2011 : l'homme que la rue avait fait renvoyer peu après la chute de Moubarak, en mars 2011, celui qui a cautionné ou signé la répression, revient par la très grande porte. Le blog francophone de Thérèse Zrihen-Dvir relaye le désarroi de Omar Kamel, un militant connu : "Allons-nous livrer l'Egypte à un représentant de l'ancien régime (...) comme si la révolution n'avait pas eu lieu ? Ou allons-nous satisfaire la soif de pouvoir des Frères musulmans ?".

Zeinobia, une des reines de la blogosphère égyptienne, l'avoue : "J'ai connu un effondrement émotionnel total. [...] Je n'ai pas de mots pour le dire. C'est le choix entre deux enfers : les Frères Musulmans ou Shafiq ! ". Elle compare ses sentiments à ceux qu'ont sans doute éprouvés ses parents ou grand-parents après la défaite durant la guerre des 6 jours. Une catastrophe.

Les coptes ont été montrés du doigt pour avoir voté pour le "serpent". Les persécutions et massacres qu'ils ont subis leur ont donné quelques raisons de voter contre les islamistes, comme on peut l'entendre dans ces entretiensen vidéo avec des électeurs coptes. Les commerçants, la bourgeoisie d'affaires, la classe moyenne, sont fatigués, certes. Ils veulent le retour à un peu d'ordre. Mais Shafiq, quand même....Le hashtag #noshafik est apparu aussitôt sur Twitter et le siège de sa campagne a été incendié lundi soir. Esraa, une jeune Alexandriote,résume l'impasse cornélienne : "Alors, dans ce cas, je voterai Morsy" .

Caricature de Hany Rasmy sur le blog http://moftasa.net/

Mohamed Morsi, le Frère Musulman

 Affiche de campagne de Mohamed Morsi

Que Mohamed Morsi arrive au second tour(@FjpartyOrg) n'est pas une surprise : l'efficace machine des Frères Musulmans a déjà la majorité au parlement depuis les récentes législatives. Cruellement décrit comme "ennuyeux à pleurer'" par le Guardian, c'est l'homme de l'appareil. Une candidature plus charismatique ayant été invalidée, Mohamed Morsi s'est dévoué. Ingénieur formé aux Etats-Unis, il a très clairement dit "Le coran est notre constitution"dans les meetings, pour enchaîner sur "Sauvons la révolution" depuis dimanche. Comme son concurrent, d'ailleurs. Les révolutionnaires ont de quoi être désespérés.

Message électoral de Mohamed Morsi aux Égyptiens à l'étranger

Le troisième homme : Hamdeen Sabbahi

C'est de là qu'est venue une grande bouffée d'espoir vers la fin de la campagne, et la surprise, avec le score de ce candidat de gauche, Hamdeen Sabbahi: un million de voix recueillies dans la seule ville du Caire, et une énorme popularité dans les quartiers populaires (photos). Journaliste, le fondateur du parti Karama (Dignité) se dit nacérien, il a été le plus jeune prisonnier d'opinion, s'est opposé à la construction d'un mur entre l'Egypte et la Palestine et a été le premier à franchir le blocus pour se rendre à Gaza. Le 25 janvier dernier, pour le premier anniversaire de la révolution, Sabbahi a proposé que les Égyptiens en Egypte ou à l'étranger dont le patrimoine dépasse les 8 millions de dollars US payent une taxe "Tahrir" (Libération) de 10% au moins une fois dans leur vie. Pour l'instant, personne n'a encore songé à le surnommer le "Mélenchon égyptien". 

Le complexe du pharaon

Zeinobia, au temps de l'optimisme, durant la campagne, notait le grand changement : "[...]le complexe du Pharaon est enterré. Evidemment, ce complexe ne va pas disparaître si facilement, mais cela montre que nous sommes fiers maintenant. Les cafés au Caire, à Giza et dans tous le pays ont retransmis les débats (des candidats) sur grand écran, comme si c'était un match de foot et que l'Egypte jouait ". Et cela est acquis. Comme de ne plus réélire Moubarak (ou son fils) avec des scores de plus de 90% des suffrages.

Pour l'anthropologue Samuli Schielke c'est la fin dela période révolutionnaire :" La révolution est maintenant terminé,et nous entrons dans l'âge des batailles de pouvoir entre deux blocs puissants mais qui, fondamentalement, ne respectent pas la démocratie ".

Deux stars égyptiennes de Youtube, un duo mère-fille de marionnettistes, Abla Fahita et Caro Caroline, ont mis en ligne un message consolateur : "ça ne durera que 4 ans". 

Vidéo: "ça durera seulement 4 ans", 

Le second tour aura lieu les 16 et 17 juin prochains, en même temps que les législatives en France et en Grèce.