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Comment le sommet de l’Otan a révélé l’impuissance auto-infligée des Européens
©Reuters

Géopolitico-Scanner

Retour sur une organisation désuète et sur la guerre géoéconomique entre l’Amérique forte et l’Europe divisée…

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Une fois de plus, les provocations du président américain ont fait couler de l’encre, Donald Trump a encore ravi la place du diable médiatique en chef à Vladimir Poutine et à Kim Jong Un ou même quelques temps à Bachar Al-Assad lui-même.. Et une fois encore, la Russie a été « l’ennemi utile » au centre de la double rivalité géostratégique économique et énergétique qui oppose d’une part les Etats-Unis à la vieille Europe et, de l’autre, ces mêmes Etats-Unis à la Chine. Les deux premières leçons à tirer des menaces trumpiennes adressées aux Européens de l’Ouest - Allemagne de Merkel en tête – accusés de non-loyauté vis-à-vis de l’empire US, puis aux Chinois, eux aussi cibles d’une nouvelle guerre économique et financière, sont double. 

Premièrement, force est de constater que l’OTAN demeure une organisation désuète, fortement divisée, voire déchirée en au moins deux blocs, et anachroniquement tournée contre la Russie. Cette organisation aurait dû être supprimée en 1991 au profit d’un double pôle de défense « pan-occidental » alliant un pilier américain et un pilier paneuropéen, ce dernier devant intégrer peu à peu la Russie. Occidentaux et Russes doivent en effet faire face depuis la fin de la guerre froide aux mêmes menaces majeures (terrorisme/islamisme) et autres « défis » géopolitiques de l’Après-guerre froide : risques migratoires, démographiques et criminels transnationaux. Cette idée est d’ailleurs toute d’actualité et elle a motivé le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, à proposer que l’OTAN s’engage de plus en plus dans lutte contre les migrations illégales, elles-mêmes porteuses de flux de réseaux terroristes. 

Deuxièmement, si le président américain Donald Trump choque peut être par ses méthodes peu diplomatiques, il dit vrai lorsqu’il affirme que les Européens ne paient pas le minimum convenu pour leur défense dans le cadre de l’OTAN. Rappelons que deux semaines avant le sommet, le président américain avait adressé un courrier officiel à neuf membres de l’Otan (dont l’Allemagne, le Canada et la Norvège) en les sommant de réévaluer leurs dépenses militaires à 2 % de leur PIB d’ici en 2024. Trump n’exerçait pas là un quelconque « chantage » mais il confirmait sa requête formulée lors de la campagne présidentielle et il ne faisait qu’emboiter le pas à (certes moins poliment) de ses prédécesseurs de la Maison Blanche, républicains comme démocrates. Ces derniers ont en effet demandé depuis les années 2000 aux « alliés » européens qu’ils consacrent un plus important budget à l’effort de défense, en vain… Pas étonnant donc que cette requête ait été placée par Trump au centre du Sommet de l’Alliance atlantique. Cette réalité du déséquilibre Etats-Unis-Canada-Europe dans le financement de la défense a d’ailleurs été confirmé le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, lui-même norvégien, et il n’est pas nié par les Européens qui ont déjà promis de rehausser leurs budgets de défense depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Ainsi, lorsque l’on analyse de façon dépassionnée les propos du président américain, ils ne sont pas en contradiction totale avec la réalité, certes difficile à entendre pour des Européens. Ceux-ci sont en effet trop habitués à se reposer sur les Américains pour leur défense, d’ailleurs officiellement confiée par eux-mêmes à l’OTAN comme le rappelle le traité de Lisbonne lui-même en toutes lettres. «L’Allemagne est à 1 % (de son PIB), les Etats-Unis sont à 4 %, et l’Otan bénéficie bien davantage à l’Europe qu’aux Etats-Unis », a lancé Trump ». Et Jens Stoltenberg a déclaré pour sa part, dimanche dernier, dans le quotidien Bild, que l’Allemagne devait «en faire davantage»… Le fait de négocier à la dure en menaçant de « laisser tomber les Européens » et de mettre fin au principe de solidarité atlantique, notamment en cas de conflit face à la Russie, a finalement permis à Trump d’obtenir des Européens bien plus que ses prédécesseurs Obama, Bush père et fils et Clinton, puisque les alliés ont d’ores et déjà accepté d'augmenter leurs dépenses militaires, ce qu’ils ont refusé de faire lorsque les Etats-Unis leur demandaient de façon moins menaçante… Le président américain estime de ce fait à juste titre que les Etats-Unis paient trop par rapport aux autres membres de l'Alliance atlantique, et il l'a en l’occurrence réaffirmé dans une très violente pique contre l’Allemagne d’Angela Merkel accusée d'être «contrôlée» par la Russie en raison du fait que l’Allemagne est approvisionnée en gaz naturel russe et est toujours le partenaire stratégique de Moscou et Gasprom pour le projet North Steam 2 qui renforcerait la dépendance des pays  européens membres de l’UE envers le gaz russe. 

De la géopolitique à la guerre commerciale et énergétique 

Le président Donald Trump, en bon adepte de « l’art du deal », ne s’est donc pas privé de mélanger les genres et de faire monter les enchères, notamment en évoquant la question du gaz russe et les différends commerciaux qui l’opposent aux Européens : « l’Union européenne a un excédent commercial de 151 millions de dollars avec les Etats-Unis, avec d’importantes barrières commerciales sur les produits américains. NON ! », a-t-il lancé en confondant d’ailleurs en passant millions et milliards, car il s’agit bien pour l’année 2017 d’un déficit commercial américain de 151 milliards de dollars vis-à-vis de l’Union européenne. En réalité, ce mélange des genre qui consiste à culpabiliser les Européens pour leur dépendance énergétique envers la Russie (qu’ils « enrichissent » en leur achetant du gaz), puis à exiger tout à coup des membres de l’OTAN non plus seulement 2% mais bientôt 4 % du PIB consacré à la défense, tout en accusant l’UE d’être un concurrent économique déloyal, vise à la fois à satisfaire le noyau-dur de l’électorat américain puis à faire monter au maximum les enchères afin d’obtenir ensuite le plus possible. Personne n’est dupe de la guerre énergétique qui oppose le géant géo-énergétique russe, qui utilise l’Allemagne et le Sud de l’Europe comme points d’accès au marché européen, et le nouvel exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) à partir du gaz de schiste que sont les Etats-Unis. Ces derniers cherchent en fait simplement à prendre la place de Moscou et Gazprom en brandissant la très opportune « menace russe ». Cette menace-utile permet en réalité de justifier la vassalité de l’Europe vis-à-vis de Washington et de « vendre » les énergies concurrentes américaines en s’appuyant notamment sur les pays les plus anti-russes que sont la Pologne et les pays baltes. Ces mêmes pays achètent d’ailleurs des armes américaines plutôt qu’européennes et tentent de bloquer les projets de gazoduc emportant le gaz russe  comme le « South Stream 2 », qui passe à travers la mer baltique et va vers l’Europe de l’Ouest via l’Allemagne). Toutefois, cette désignation permanente du « danger » russe n’empêche pas Donald Trump de rencontrer le 16 juillet Vladimir Poutine, qu’il veut d’ailleurs faire revenir au sein du G8… Pendant ce temps, les Européens, qui n’ont pas osé le demander, demeurent divisés, passifs et spectateurs.  

En guise de conclusion

En réalité, si les Européens ont eu raison de riposter ces dernières semaines à l’offensive protectionniste américaine en listant à leur tour les secteurs de l’industrie et de l’agriculture américaine frappés de droits de douane supplémentaires par Donald Trump mais qui sont liés aux zones électorales favorites du président, leur unité s’arrête là. Car leur volonté d’impuissance est quasiment intacte : pas de politique de défense et de sécurité réellement unifiée et viable, pas de politique commerciale et énergétique cohérente, division entre pays de l’Est très atlantistes et anti-russes (Pologne, Pays Baltes, etc) et pays neutres ou favorables à une autonomie européenne et à des liens forts avec Moscou (Italie, Hongrie, Grèce, Allemagne, etc) ; absence d’armée européenne digne de ce nom et absence de politique d’immigration commune. 

Et à ceux qui accusent les Etats-Unis tantôt de vassaliser l’Europe avec l’OTAN en « empêchant » la défense européenne et tantôt de nuire à la sécurité de l’Europe en menaçant de quitter l’OTAN ou de rompre sa solidarité interne, il convient de répondre que PERSONNE n’oblige les Européens à demeurer une « zone molle » d’un point de vue stratégique. Personne n’a obligé durant des décennies les pays de l’UE à baisser leurs budgets de défense, ce que Washington au contraire dénonce. PERSONNE n’a obligé les Européens à réaliser un élargissement chaotique vers des pays qui ont plus d’allégeance envers les Etats-Unis que vis-à-vis de Bruxelles. Les Etats-Unis n’ont pas « comploté » pour rendre les Européens « impuissants » et pour les empêcher de défendre leurs intérets vitaux. Cette « impuissance volontaire » de l’Europe et l’absence de loyauté de certains pays de l’UE qui préfèrent le gaz, les armes et les avions américains aux équivalents européens ou russes ne sont pas le fait de Washington mais du suicide stratégique de l’Europe qui ne s’est pas remise de sa terrible guerre civile (première et seconde guerres mondiales).

De ce point de vue, la nouvelle inquiétante du Brexit d’un côté, et l’anti-européisme de l’Administration Trump, qui flatte d’ailleurs les régimes eurosceptiques et moque la faiblesse européenne, de l’autre, ne doivent pas être perçus comme des échecs mais au contraire comme de formidables opportunités pour relancer enfin une vraie politique de défense européenne autonome vis-à-vis des Etats-Unis. Ainsi, la menace trumpienne d’un refus américain de défendre un de ses alliés face à la Russie ou à un autre ennemi (article 5 de l’OTAN) devrait au contraire pousser les Européens à accélérer leur marche vers une défense européenne, notamment permise par l’augmentation des budgets de défense que réclame Trump. La France est d’ailleurs dans ce domaine un leader au niveau européen, puisque Paris a enrôlé huit Etats-membres de l'UE au sein d’un « Groupe européen d'intervention » capable de conduire très rapidement des opérations militaires dans des pays en guerre. It’s up to us !

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