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Charlie Hebdo : de l'unanimité à l'unanimisme dangereux — pointé du doigt par Luz, lui-même
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Revue de presse des hebdos

Mais aussi l'interview "hors promo" de Michel Houellebecq, la pétition des laïcs musulmans, l'unité de "désembrigadement" la Maison de la prévention et de la famille, le "problème Cazeneuve", la "solution Squarcini" pour une loi dérogatoire "en dehors de toute procédure", la "préconisation Filiu" pour une intervention en Irak et en Syrie, la drôle d'histoire du kiosquier de Cabu et Wolinski et, et, et... le mot de Régis Debray sur notre propre responsabilité !

Barbara Lambert

Barbara Lambert

Barbara Lambert a goûté à l'édition et enseigné la littérature anglaise et américaine avant de devenir journaliste à "Livres Hebdo". Elle est aujourd'hui responsable des rubriques société/idées d'Atlantico.fr.

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En ouvrant le "numéro hommage" de "Paris-Match" à "Charlie Hebdo", on s'est interrogé : l'hebdo allait-il oser la "photo choc" ? Pages 42-43, "Match" publie bel et bien une vue du couloir "vide" conduisant à la salle de rédaction du journal, avec ce sous-titre : "Image insoutenable : le sang des journalistes sur le sol" et précise, ce faisant, dans une légende : "Au fond du couloir, à droite, gisent encore les corps des neuf personnes tuées là". Nécessaire, utile, tout ça ? Que dire du titre de l'article qui suit un peu plus loin : "Les urgentistes pénètrent sur une scène de guerre : les armes utilisées ont provoqué de très grosses plaies" ? A l'heure où on entame cette revue de presse, tandis que Christophe Barbier déroule dans "L'Express", ce qui, selon lui, doit permettre de construire "La France d'après" — plus de protection, plus de contrôle des prisons, le changement de la vie politique, notamment... —, on aimerait dire ici que la construction de "La France d'après" passe aussi, et impérativement, par une réforme de la vie médiatique, de son fonctionnement, de ses "habitus". Dans tout ce que nous avons lu ce mercredi, une semaine tout juste après le drame et ceux qui s'en sont suivis, nous n'avons, nulle part, malheureusement, trouvé de réflexion sur le comportement de la presse depuis sept jours ni sur ce qu'il devrait être, au moins à partir de maintenant. Parce que, faut-il le préciser ?, on a été, plus que déçu, choqué, par les pratiques de certains de nos "confrères" de la presse audiovisuelle - et on aurait, accessoirement, façon de parler, aimé que la presse hebdo, écrite, relève le niveau...

Quand Luz "a du mal" avec "l'unanimisme" autour de "Charlie Hebdo"

D'un numéro hommage, l'autre... Composé de témoignages — et de nombreux dessins —, celui que proposent "Les Inrocks" est assez émouvant. Quand on dit "assez émouvant", c'est par comparaison avec le numéro spécial que "Charlie Hebdo" a publié ce mercredi qui, lui, l'est définitivement. Parmi les interviews que "Les Inrocks" a recueillies, celle du dessinateur Luz qui, comme le rappelle le journal, "doit la vie au fait (...) d'être arrivé à la bourre pour la conférence de rédaction", est particulièrement frappante, et même un tantinet discordante avec la belle harmonie que l'on entend depuis une semaine... "On fait porter sur nos épaules une charge symbolique qui n'existe pas dans nos dessins et qui nous dépasse un peu, dit-il en effet. Je fais partie des gens qui ont du mal avec ça. (...) Cet unanimisme est utile à Hollande pour ressouder la nation. Il est utile à Marine Le Pen pour demander la peine de mort. Le symbolisme au sens large, tout le monde peut en faire n'importe quoi". Bien vu, non ? Et passablement dérangeant... C'est pas fini ! Le dessinateur le dit aussi, en effet : "Répondre à la symbolique par la symbolique, ce n'est pas "Charlie"". Sous "l'unanimisme" - qui n'a rien à voir avec l'unanimité - y aurait-il détournement de l'esprit "Charlie" ? La question est posée. Elle mérite d'être sérieusement étudiée.

La liberté d'expression selon Michel Houellebecq

Que penser de la réaction de Michel Houellebecq, que publient également "Les Inrocks" ? "La liberté d'expression (...) a le droit de jeter de l'huile sur le feu, dit notamment l'écrivain. Elle n'a pas vocation à maintenir la cohésion sociale, ni l'unité nationale ; le "vivre ensemble" ne la concerne nullement". Une belle et exigeante définition, s'il en est, qui n'est pas, pourtant, sans poser des questions...

Houellebecq : l'interview "hors promo"

Et puisqu'on en est à se poser des questions — on n'a pas fini —, en voilà une autre... Alors que Michel Houellebecq annonçait au soir de la mort de son ami Bernard Maris et de ses onze compagnons qu'il suspendait la promotion de son livre, "Les Inrocks" ont-ils bien fait de publier l'interview que l'auteur de "Soumission" leur avait donnée avant les drames ? Le fait est qu'elle est là, et qu'on doit bien en parler... parce qu'il s'en dit, des choses, dedans !

"Si l'islam se comporte bien, il peut apparaître comme une force consensuelle"

A Nelly Kaprièlian, qui l'a interviewé, Houellebecq le dit haut et fort, d'entrée : ""Soumission" est tout sauf islamophobe, et raciste encore bien moins, j'espère qu'on va réussir à sortir de ça". L'écrivain l'affirme encore, plus loin dans l'interview : "(...) Ce que je pense n'est pas le sujet de mes livres. Je ne suis pas un idéologue". —"Tu trouves ça vraisemblable, l'islam au pouvoir ?", lui demande la journaliste. —"Oui, répond l'écrivain, parce qu'il y a un retour du religieux très net, et si l'islam se comporte bien, il peut apparaître comme une force consensuelle. Il y a aussi que les musulmans ne sont à l'heure actuelle pas représentés. Entre la gauche qui marie les gays et la droite qui chie sur les Arabes, ils sont bien démunis pour voter. Ils auraient tout intérêt à former un parti, du reste je le leur conseille".

"Soumission", livre sur la collaboration ?

—"Mais pourquoi François (le héros du roman, ndlr) se convertit-il ?", demandent "Les Inrocks". —"Il choisit une solution acceptable, explique Houellebecq. Michel Onfray dit que c'est un livre sur la collaboration. Pas faux, pas bête. La grande différence, c'est que les musulmans modérés ne sont pas des nazis. Je le ferai remarquer à Onfray quand je le verrai".

Ce que Houellebecq pense de Zemmour

S'interrogeant sur la raison pour laquelle "il cristallise les inquiétudes", Michel Houellebecq avance l'idée que c'est "peut-être parce que je suis la figure idéale de l'inquiet. Bien plus qu'un Zemmour, par exemple. (...) Zemmour, j'ai lu un de ses livres, et je l'ai trouvé très mauvais. On peut se demander pourquoi il est opposé à la burqa, tellement cela semble être son idéal. Au fond, son idéal, c'est une société patriarcale, ce qui n'est pas loin de l'idéal de l'islam. Et les cathos, c'est pareil". Ah, il y va, Michel... !

La pétition des laïcs musulmans

Et pendant ce temps-là, dans "L'Obs", "des laïcs musulmans se mobilisent à travers une pétition internationale". Ce qu'ils disent n'est pas rien. "Le monde est en train de vivre une guerre déclenchée par des individus et des groupes qui se réclament de l'islam, commencent-ils. (...) Ces combattants sont nourris par des textes islamiques qui appellent à la violence, qui existent dans d'autres religions et qui relèvent d'un autre contexte, d'un autre âge, aujourd'hui dépassés. Ce corpus est le référentiel des groupes djihadistes. Tous les acteurs concernés, à commencer par les religieux et les autorités de chaque pays, doivent le déclarer comme inadapté, dépassé et inapplicable". En voilà un pavé dans la mare !

L'unité de "désembrigadement", la Maison de la prévention et de la famille

Mais puisque le chapitre religieux est entamé, voilà une autre question faisant matière à débat. A côté des cellules spéciales de "surveillance" mises en place dans les prisons, dont "L'Express" fournit les détails, une "unité de "désembrigadement", la Maison de la prévention et de la famille", a été mise en place, nous informe l'hebdo. "Dans un appartement de Seine-Saint-Denis dont l'adresse est tenue secrète, explique le journal, ce groupe composé de deux juristes, trois psychologues, un éducateur-médiateur et un victimologue-criminologue reçoit les jeunes et leurs proches. Objectif : arracher les apprentis djihadistes aux griffes des gourous salafistes". Une belle et nécessaire initiative, me direz-vous. Sauf qu'elle est loin de faire l'unanimité...

Quand "la cure de désintoxication passe aussi par la religion"

Pourquoi ? Parce que, comme le rapporte "L'Express", "la cure de désintoxication passe aussi par la religion. Des éducateurs musulmans sont mobilisés pour offrir à ces jeunes une autre lecture de l'islam, pacifique celle-ci. (...) "Ce n'est pas une approche opérante", tranche ainsi l'anthropologue Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, qui accueille, elle aussi, des garçons et des filles endoctrinés". Que faut-il faire, alors ? Mystère. L'hebdomadaire ne fournit aucun détail quant à la méthode préconisée par l'anthropologue...

Le "problème Cazeneuve"

En matière de "surveillance", le Premier ministre Manuel Valls, lui-même, vous le savez, a dénoncé des "failles". "Cazeneuve, le protégé du président", titre "L'Obs" dans un encadré figurant dans son "numéro spécial". Faut-il comprendre que le ministre de l'Intérieur est un peu trop, et inopportunément, "couvert" par le président ? Un anonyme, qu'on imagine bien renseigné, "avoue ses doutes" à l'hebdomadaire : ""Comment peut-on parler d'opération satisfaisante avec 4 morts supplémentaires le vendredi alors qu'il y avait eu, la veille, la fusillade de Montrouge et la mort d'une policière ?" Et de rappeler que, quelques heures après l'assassinat de cette femme à Montrouge, Bernard Cazeneuve a affirmé qu'"aucun élément ne permet(tait) d'établir un lien" entre les événements de "Charlie Hebdo" et de Montrouge. "Il y a un vrai problème Cazeneuve... qu'on ne posera évidemment pas", résume le même".

La Commission de contrôle des interceptions de sécurité en cause ?

Pour tenter de faire la lumière sur l'origine de ces failles, "L'Obs" est bizarrement allé interviewer Bernard Squarcini, "l'ancien patron des services de renseignement français". "Pourquoi a-t-on arrêté de surveiller (les terroristes) ?", lui demande le journal. —"Demandez donc à la commission de contrôle des interceptions de sécurité (composée de parlementaires, ndlr) ! Dans ce domaine, elle est toute-puissante. Ses avis ne sont que consultatifs mais les services du Premier ministre, seuls habilités à autoriser les écoutes administratives, suivent ses recommandations de façon automatique". A ce compte, on peut se demander si les services du Premier ministre n'auraient pas, eux-mêmes, en l'occurrence, fait preuve de "faillibilité" ? Mais bon, c'est peut-être le message que Squarcini, en responsabilité sous Sarkozy, voulait faire passer... Tout cela, de toute façon, est de peu d'intérêt. Seul compte le résultat, n'est-il pas ?

La solution Squarcini : une loi dérogatoire "en dehors de toute procédure"

Pour cela, Squarcini a la solution : en cas de forte présomption, et dans la mesure où on ne disposerait pas "d'éléments à charges", explique-t-il à "L'Obs", "il faudrait que l'on puisse obtenir ces preuves par la "sonorisation" de son appartement, de son véhicule ou par le piégeage de ses box... et cela en dehors de toute procédure. En "échange" de ces lois dérogatoires, je propose que l'on institue une commission composée peut-être de parlementaires et de magistrats et dotée de grands pouvoirs de contrôle sur l'action des services de renseignement". Ce système, Bernard Squarcini le dit, est celui adopté par la Grande-Bretagne, "qui est un modèle à la fois en matière d'Etat de droit et de renseignement", affirme-t-il.

Les frères Kouachi, membres d'Al-Qaïda ? 

Avant d'obtenir des résultats, il faut encore pouvoir enquêter... "Le Yémen au coeur de l'enquête", titre "L'Express". "Tout indique que les frères Kouachi ont été en relation avec Al-Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa). Un groupe omniprésent dans l'un des pays clefs du djihadisme. Et dont l'idéologue, le cheikh Anouar Al-Aouaki, aujourd'hui décédé, avait déclaré la guerre aux dessins satiriques", indique le journal dans son chapô. Le fait est que les frères Kouachi ont, eux-mêmes, comme nous l'apprend "Paris-Match", déclaré appartenir à l'organisation. Et, cela, dans des circonstances on ne peut plus incroyables — quasi-romanesques. Romanesques, vous dites ? Après la violence à laquelle on a — au propre et au figuré, littéralement et en live —assisté ? Cette "qualification" paraît, pour le moins, déplacée... Les faits sont là, pourtant, qui dépassent la fiction.

"Nous sommes Al-Qaïda Yemen" : la drôle d'histoire du kiosquier de Cabu et Wolinski

Le "hasard" est décidément troublant. Si on vous dit que c'est le marchand de journaux de Cabu et de Wolinski qui a identifié les frères Kouachi, et cela, à la suite, d'un concours de circonstances tout ce qu'il y a de plus abracadabrantesque ? "En fin de matinée, rapporte "Paris-Match", il rentre chez lui, aux Buttes-Chaumont. Un feu l'oblige à s'arrêter près de la place du Colonel-Fabien". Il raconte : "Une petite voiture noire a percuté une grosse berline blanche. La noire est repartie à toute vitesse. C'est une fois à l'angle de la rue Simon-Bolivar et de l'avenue Mathurin-Moreau que je me suis retrouvé face à elle". Et il y avait qui à son bord ? Les frères Kouachi. Ceux-là même qui venaient d'assassiner ses fidèles clients, à qui il a dû céder sa voiture, après avoir récupéré son chien, et qui, avant de partir, lui ont dit : ""Si les médias te posent une question, nous sommes Al-Qaïda Yémen". Au Quai des Orfèvres, vers 17 heures, poursuit le mag, on lui présentera une douzaine de photos : "J'ai reconnu immédiatement un des deux frères Kouachi"".

"La source du mal n'est pas en France"

Querelle d'experts ? D'après "le spécialiste du djihadisme Jean-Pierre Filiu, Daech est au coeur de ces attentats", annonce "L'Obs" dans un article intitulé "La source du mal n'est pas en France mais au Moyen-Orient". Oh, mais qu'est-ce que ça veut dire, ça ? D'après Jean-Pierre Filiu, "il n'y a plus de profil type des candidats au djihad, et une écrasante majorité d'entre eux n'a pas baigné dans la culture musulmane. On n'est pas non plus dans le narratif de Zemmour : les frères Kouachi ont fini leur cavale en pleine campagne, et non dans une "cité". On doit décentrer le regard vers la source du mal, là-bas, au Moyen-Orient, où se trouve le donneur d'ordres".

La préconisation Filiu : attaquer "la source", en Irak et en Syrie

"La seule stratégie valable serait de combattre les terroristes à la source, en Irak et en Syrie, complète Jean-Pierre Filiu. (...) Les bombardements de la coalition ont tué un millier de djihadistes, mais dans l'intervalle Daech a gagné bien plus de recrues. Trop souvent, l'antiterrorisme raisonne en terme de stock, et non de flux. La seule façon de tarir le flux, c'est à la source. Tant que Daech s'étend, ils gagnent. Nous devons enfin reprendre l'initiative". On dirait qu'on est un peu au coeur du problème — et de la décision à prendre, là...

Et si on avait notre part de responsabilité ? Le mot de Régis Debray

Cela ne doit pas nous empêcher de nous poser des questions sur nous-mêmes et sur notre responsabilité... "Nous, nous avons une classe dirigeante qui a honte de sa langue et de son lieu de naissance : c'est ringard, franchouillard, moisi. Comment voulez-vous que les immigrés se sentent un attrait pour ce qui rebute nos gens du bon ton ?, demande Régis Debray à "L'Obs". Le vrai problème, ce n'est pas la présence musulmane, du reste aussi éclatée et diverse que le monde chrétien de souche. C'est notre incapacité à nous faire aimer des nouveaux venus. C'est plus un problème franco-français qu'un problème franco-musulman". Il est vrai que pour se faire aimer, il faut, au préalable, être en mesure de s'aimer... or là, de toute évidence, malgré les coups de mâchoire très assurés des chroniqueurs officiels de l'actualité et l'élan spontané et sincère de ceux — pas tous — qui ont défilé dimanche 11 février (ah, qu'on aurait aimé lire un papier sur les "mondanités" qui ont eu cours lors de la manifestation !), il reste encore pas mal de travail à accomplir, à prendre en charge et à assumer. Puisse, puisse, cet élan nous porter et nous changer, en vrai ! Parce que nous avons, vraiment, besoin de nous réformer — je le dis pour moi, en premier, en tant qu'individu, mais aussi en tant que journaliste, qui aime plus que tout (à presque égalité avec ma famille et Raoul) mon métier. Un métier dont nous observons ensemble l'exercice, semaine après semaine, depuis bientôt quatre ans, avec force sourires en coin et rires jaunes, et dont j'aimerais — mais vous aussi, j'en suis sûre — qu'il fasse sa révolution : qu'il redevienne enfin cet outil critique, distant, "objectif" qui est sa seule raison d'être. Sur ce, les biquets, bonne semaine ! Tant qu'y a de la vie, y'a de l'espoir ! La force est en nous. Elle est entre nos mains, dans notre esprit. Elle est, surtout, dans notre capacité — qui est aussi un besoin, une nécessité — à nous ouvrir à l'Autre, à ce que l'on ne connaît pas, à ce que l'on ne comprend pas forcément, mais qui est là, et a forcément quelque chose à nous apporter.

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