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Gilets jaunes : le douloureux combat au quotidien des citoyens éborgnés
©LUCAS BARIOULET / AFP

Témoignages bouleversants

L'AFP a recueilli le témoignage de nombreux Gilets jaunes et de citoyens grièvement blessés à l'œil lors de manifestations ces derniers mois. Leurs récits montrent leurs difficultés au quotidien pour surmonter un tel traumatisme.

Les manifestations des Gilets jaunes ont été émaillées par de nombreux drames ces derniers mois. Des citoyens venus manifester pacifiquement ont perdu un œil. L'utilisation des lanceurs de balles de défense par les forces de l'ordre est très critiquée et a généré une vive polémique depuis le début du mouvement. 

Selon des informations du journaliste indépendant David Dufresne et son projet "Allô place Beauveau ?" ou bien du collectif "Désarmons-les", 23 personnes ont affirmé avoir perdu un œil depuis le mois de novembre 2018. 

Ce fut le cas notamment de l'une des figures du mouvement, Jérôme Rodrigues

L'AFP a obtenu le témoignage de 14 de ces personnes grièvement blessées. Neuf ont refusé de s'exprimer. Au total, 21 hommes et 2 femmes ont perdu l'usage d'un œil.  

Certaines personnes mutilées étaient des "lycéens" ou des simples "passants" et réfutent leur appartenance au mouvement des Gilets jaunes. 

Le lanceur de balles de défense (LBD) et les grenades de désencerclement (GLI-F4) seraient responsables de ces blessures. 

14 des personnes blessées gravement ont perdu la vue ou leur œil. Pour l'une des personnes, la blessure serait moins visible mais seules quelques formes apparaissent. Certains de ces blessés graves tentent de donner un sens à cet événement. Patrice, âgé de 49 ans, considère cette blessure comme un "passeport pour un combat contre les armes dites non létales". 

La très grande majorité d'entre eux est terriblement affectée par cette mutilation. Certains blessés ne sortent plus de chez eux, vivent prostrés comme des "taupes", dans le noir. 

Alexandre s'est confié à l'AFP : "J'ai 37 ans, ma vie est gâchée. J'aurais préféré prendre dix ans de prison. On peut me donner toutes les indemnités du monde, on m'a pris une partie de moi, ce qui m'est arrivé est marqué sur mon visage. J'espère que je pourrai retravailler".

Un d'entre eux a indiqué avoir fait une tentative de suicide. 

David, 40 ans, blessé à Paris le 16 mars, décrit la violence du choc et s'est confié sur son état : 

"J'étais en train de marcher, j'ai tourné la tête et j'ai pris le tir. On a l’impression de recevoir un gros parpaing dans la tête, tellement la force elle est monumentale. C’est énorme, ça m’a couché, ça m’a foutu par terre. J’avais juste mon gilet jaune, mon sac à dos, ma clope et c’est tout. J’étais une cible, je marchais tranquillement, je courais pas, j’étais fatigué (…) Là je suis chez moi, je suis enfermé avec les volets fermés tellement ça fatigue l’autre œil. Dès qu’il y a un peu de soleil, ou le reflet de la télé, ça me fait mal aux yeux, ça me fatigue".  

Franck, 20, blessé à Paris le 1er décembre, souhaiterait connaître les motivations du CRS qui lui a tiré dessus avec un LBD : 

"Depuis que j'ai été blessé je me demande pourquoi il m'a tiré dessus ce CRS. Où était l'acte de violence ? J'aimerais bien que ce CRS se manifeste, qu'il vienne devant moi, et que droit dans les yeux il me dise pourquoi il m'a tiré dessus. Parce que là il a gâché ma vie. Le plus compliqué, c'est d'apprécier les distances, quand tu te sers un verre d'eau. Il faut tout réapprendre. Moi j'étais paysagiste, depuis trois ans dans une entreprise. J'intervenais principalement chez des personnes âgées, mais depuis j'ai beaucoup de mal à retrouver du boulot…. Je ne pense pas qu'un patron va reprendre un ouvrier comme moi avec un œil en moins".

Vanessa, 33 ans, blessée à Paris le 15 décembre, raconte les circonstances de sa grave blessure et son douloureux combat au quotidien : 

"On tombe sur une barre de CRS. On fait demi-tour, on marche. Des policiers en civil arrivent, ils tirent. Je me fais impacter. Ma meilleure amie entend 'pouh ! pouh!' Elle tourne la tête, un truc noir tombe par terre. 'C'est pas de la lacrymo' se dit-elle...Pour moi, plein de choses se sont effacées. Mais des images que j'ai vues, je suis à terre, le crâne éclaté, on voit l'os. Mon amie est traumatisée, elle m'a cru morte (…) J'ai eu 2 interventions à l'hôpital : pour l'hémorragie crânienne, puis pour me poser trois plaques de métal. C'est en sortant que ça a été beaucoup plus compliqué. Mon œil ne peut pas être opéré, il ne se réparera jamais. C'est touché à l'intérieur: j'ai des trous au niveau du nerf optique. L'handicap de mon handicap c'est qu'il ne se voit pas. J'ai des maux de tête, de la fatigue, les gens ne vont pas comprendre que je sois KO parce que j'ai une apparence normale. J'ai l'impression de ne plus être moi-même. Je prenais soin de moi-même, j'adorais me maquiller, m'apprêter, maintenant je ne peux plus. Ma vie désormais c'est un combat au quotidien. J'ai un an de rééducation devant moi. Mon visage et surtout le cerveau. Je ne retiens plus du tout. Les connexions ne se font plus".

Jean-Marc, 41 ans, a été blessé à Bordeaux le 8 décembre : 

"Pour l'instant il n'y a pas de futur, il n'y a que le présent. Et je pense que toutes les victimes sont comme ça. Physiquement je me sens bien, je suis combatif. Par contre, moralement j'ai des faiblesses. La perte d'un oeil, c'est quelque chose de très dur. J'étais très sportif, je faisais du kayak en mer, j'allais pêcher... Il y a beaucoup de choses que je ne peux plus faire. J'étais horticulteur".

Jérôme Rodrigues, l'une des figures des Gilets jaunes, blessé lors d'une manifestation Place de la Bastille le 26 janvier, s'est également confié à l'AFP

"Je vois une équipe de jaunes qui sont amis avec moi qui venaient justement de se faire gazer. Je leur disais 'partez d’ici les gars, allez pas vous blesser, allez pas perdre un œil'. Je vois une escouade de policiers qui commence à se mettre un petit peu en action. Je sais que je ne les gêne pas à l’instant T, mais j’ai ce mouvement de recul. Je me dis 'recule-toi, les mecs ils vont se mettre au boulot on va pas les déranger'. Et là, patatras, je me prends une grenade au niveau des pieds qui m’abrutit l’espace d’une seconde, et une à deux secondes après un énorme impact au niveau de l’œil suite au tir de LBD que j’ai subi. Aujourd'hui, qu'est-ce qui se passe ? Deux vies déglinguées. La mienne. Et le policier qui m'a tiré dessus, il va lui arriver quoi à lui ? Il a peut-être une femme et des enfants. Alors il a respecté un ordre, il est dans son bon droit, certes, mais peut-être qu'il a aussi une vie détruite derrière. Ça me dérange d'être un symbole. Je me battais pour remplir le frigo, le RIC et la fin des privilèges et je m'aperçois qu'aujourd'hui je vais devoir mener un nouveau combat".

La plupart des hommes et des femmes grièvement blessés en marge des manifestations des Gilets jaunes ont décidé de porter plainte. 

AFP

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