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Zone euro : apocalypse now ?
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No future

L'hypothèse d'un éclatement de la zone euro gagne du terrain sur les marchés financiers. Les pays membres qui possèdent encore un triple A pourraient voir leur note dégradée. Si la BCE n'intervient pas, la déflation est proche...

Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani a exercé pendant plus de 10 ans les métiers de banquier d'affaires, d'opérateur de marché sur les produits dérivés et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il a aussi participé à plusieurs ouvrages, en tant que spécialiste des opérations de marché.

Il a récemment publié, aux Editions Mélibée, un ouvrage intitulé "Vers de nouvelles bulles spéculatives... Comment les éviter ?", préfacé par Jacques Attali. Il est actuellement  stratégiste et économiste au sein d'un fonds alternatif à Londres spécialisée dans le Global Macro.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel, et ses propos n'engagent en aucune façon son employeur.

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Les spéculations foisonnent sur l’éclatement de la zone euro et la réintroduction des monnaies nationales. Les discussions autour de la création d’un sous-groupe de la zone euro, incluant l’Allemagne et la France, renforcent les craintes d’éclatement. La proposition germano-française n’est pas nouvelle. Elle est connue sous l’appellation de la zone de « l’euro + », en opposition de « l’euro - » qui regrouperait les pays périphériques. Un tel plan risque fort de mener certains membres de la zone vers la sortie de l’euro.

La convergence de l’euro a pris plusieurs années à se mettre en œuvre pour créer une monnaie d’une façon ordonnée. Le scénario d’éclatement risque d’être précipité et désordonné, compte tenu des échecs consécutifs des sommets de l’UE qui n’arrivent pas à freiner la spirale de dégradation du contexte économique de la zone euro. L'agence Moody’s s’apprêterait d'ailleurs à abaisser la notation de tous les membres de la zone, dans un climat déjà fortement perturbé par les mauvaises nouvelles sur le front du marché obligataire (hausse des taux d’intérêts en France, inversion de la courbe italienne, échec d’une adjudication en Allemagne, etc.).

Moody’s justifierait cet abaissement par la faible solvabilité de certains États, et par l’enchevêtrement des économies des États membres qui entraîne la contagion des institutions financières de la zone euro. Une telle action pourrait signer l’arrêt de mort de la zone euro, voir même de l'Union européenne.

Dans le cas où l’abaissement de la notation des États encore AAA de la zone intervenait, nous risquerions fort :

  • De connaitre une accélération de l’envolée des taux d’intérêts [1] de tous les États membres (taux d’intérêts dont la tendance est très négative) ;
  • D’enterrer tous les mécanismes de « solidarité » imaginés à ce jour (comme le FESF) [2]. Cette perspective nécessiterait de nouveaux plans de rigueur et des réductions drastiques dans les dépenses publiques, ainsi qu'un relèvement des taux d’imposition. La situation française est d’autant plus préoccupante, puisque dans le cas où l’accès au marché obligataire était fermé à la France, le pays ne pourrait pas faire face à ses dépenses courantes [3].

La solvabilité des institutions financières pourrait être mise à mal par la sortie de certains États, puisqu'il est fort à parier que ceux-ci dévalueront [4] automatiquement leur « nouvelle monnaie », afin de combattre la spirale déflationniste dans laquelle ils se trouvent. Les États ne pourront pas venir en aide à leur système financier (à l’inverse de ce qui a été réalisé en 2008). Ils pousseront le système à devenir « zombie » (à l’image de certaines institutions financières japonaises), ou à faire défaut d’une façon plus ou moins organisée. L’épargne des ménages risquerait de subir une réduction, au même titre que les dettes vis-à-vis des institutions externes. La crainte des épargnants pourrait elle-même accélérer la dégradation des institutions financières, puisqu’il suffirait d’un mouvement de panique pour que se mette en œuvre un « Run on the Bank »[5].

Le chômage risquerait de s’accroître fortement, compte tenu de la baisse de la consommation consécutive à l’appauvrissement que connait actuellement la grande majorité des ménages européens (à travers la baisse des marchés financiers). Le scénario de déflation pourrait pousser certaines des industries de la zone euro à se délocaliser plus fortement dans d’autres pays, pour bénéficier de conditions d’imposition plus favorables, et de bénéficier d’une meilleure dynamique de croissance (BRICS, Brésil, Russie, Inde et Chine).

La pauvreté a de forte chance de continuer sa dynamique négative actuelle. Les vols « par nécessité » sont sur la pente ascendante. De plus en plus de personnes s’adressent à des associations (Banque alimentaire, Resto du cœur…) pour assurer leur alimentation. Ces populations « défavorisées » incluent dorénavant aussi bien des étudiants que des retraités ou des actifs pauvres.

Pour faire face au risque insurrectionnel que crée ce scénario, certains pays pourraient être tentés par une réintroduction momentanée des barrières douanières vis-à-vis des autres partenaires européens, et par conséquent de la mise en œuvre d'un protectionnisme pour relocaliser les industries et l’activité économique.

Ce scénario est d’autant plus inquiétant que sur le front des autres économies importantes, les nouvelles ne sont pas bonnes. La performance de S&P500 (indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les bourses américaines) est aussi mauvaise que celle de thanksgiving en 1932 ! Il est vrai que la déflation des actifs ne s’est pas traduite dans les chiffres du Black Friday (équivalent des achats de fin d‘année). Mais cette déconnexion peut s’expliquer par :

  • L’écart de la perception de la crise (les populations les plus défavorisées sont plus touchées) ;
  • L’attrait des promotions et soldes du Black Friday pour accélérer des consommations [6]. La situation économique américaine est aussi très dégradée, et ne pourra pas assurer la dynamique de croissance.

La Chine commence à ressentir les contre-coups de la crise économique, et commence à faire face à des agitations sociales liées à une inflation trop importante (qui risque de créer les conditions d’une stagflation). Les institutions financières chinoises font face à un risque de dégradation de leur solvabilité liée à l’éclatement de la bulle immobilière. Et aucun système financier n’est suffisamment solide pour faire face à ce type de scénario.

Alors que la perspective de l’éclatement de la zone euro s’approche, que l’abaissement de la notation des pays (encore) notés AAA est à l’horizon de quelques semaines ou mois dans un contexte général fortement dégradé, il semble urgent que la BCE (Banque centrale européenne) réagisse pour éviter le scénario de la déflation. Dans ses mémoires, Alan Greenspan évoquait  le spectre de la crise de 1929 pour anticiper le pire, et pour agir d’une manière préemptive. La BCE devrait s’en inspirer.



[1] Pour ne citer que quelques exemples, le taux d’intérêts Français à 10 ans ne cesse d’augmenter, augmentant les perspectives de déficits pour 2012 (d’ores et déjà dégradées par une prévision de croissance plus faible que celle sur laquelle a été construit le budget et le plan de rigueur actuel).

[2] Les conditions actuelles de financement du FESF sont d’ores et déjà très dégradées. L’efficacité du FESF pour réduire la dégradation des conditions de financement des Etats membres de la Zone Euro se réduit fortement. En effet, la hausse importante du spread de financement du FESF se traduit par un moindre effet de levier et conséquemment par une tension sur les moyens financiers à disposition du fonds pour contregarantir les émissions nouvelles des Etats de l’Euro-.

[3] La France dispose d’un déficit primaire ; ces dépenses (hors charges d’intérêts) ne sont pas couvertes par des prélèvements fiscaux.

[4] La dévaluation fonctionne d’une façon similaire à la répudiation de la dette (ou la restructuration), elle offre aux Etats la possibilité de faire face à des échéances financières à court termes tout en conduisant des coupes budgétaires importantes.

[5] Mécanisme de retrait massif des liquidités auprès des institutions financières qui se traduit par une dégradation importante des ratios de liquidités et par l’accélération de la faillite des institutions financières.

[6] La proportion des « cadeaux » dans les ventes du Black Friday est passée de 67%, l’année dernière, à 56% cette année. Cette statistique indique que 44% des ventes sont motivées par les promotions et non par une démarche de surconsommation (liée à la réalisation de cadeaux de fin d’année). Les chiffres de ventes dans le prochain trimestre devraient indiquer dans quelle mesure les ventes du Black Friday constituent un effet calendrier (achats anticipés) ou un effet accroissement de volume.

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