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Y-aurait-il une jouissance malsaine chez ces auteurs prédisant une victoire de Marine Le Pen en 2017 ?
©Reuters

Trouble obsessionnel

Marine Le Pen présidente : plusieurs ouvrages récents l'anticipent. Des récits qui se veulent réalistes mais qui traduisent surtout les fantasmes malsains de leurs auteurs.

Denis  Tillinac

Denis Tillinac

Denis Tillinac est écrivain, éditeur  et journaliste.

Il a dirigé la maison d'édition La Table Ronde de 1992 à 2007. Il est membre de l'Institut Thomas-More. Il fait partie, aux côtés de Claude Michelet, Michel Peyramaure et tant d'autres, de ce qu'il est convenu d'appeler l'École de Brive. Il a publié en 2011 Dictionnaire amoureux du catholicisme.

 

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Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Atlantico : Après la bande-dessinée La présidente de François Durpaire et Farid Boudjellal, la semi-fiction politique Le séisme, de Michel Wieviorka propose à nouveau d'imaginer la France dirigée par Marine Le Pen. Mais il ne s'arrête pas là : à son avis, ce scénario est "loin d'être une fiction farfelue" comme il l'affirme dans Paris Match. En cas de duel François Hollande contre Marine Le Pen au second tour, cette dernière l'emporterait du fait des reports de la droite. En quoi un tel scénario est-il beaucoup plus "une fiction farfelue" que ne le prétend Michel Wieviorka (au regard des sondages et de la comptabilité électorale) ?

Erwan Lestrohan : On peut considérer que Marine Le Pen est dans la meilleure position aujourd'hui pour se qualifier pour le second tour ; mais pour ce qui est d'un succès par la suite, sa donne électorale est trop réduite, dans la mesure où c'est un parti qui n'a pas d'alliance en vue avec une formation politique d'envergure. Sa base est donc insuffisante aujourd'hui. De plus, l'élargissement de la participation, qui se joue autour de 80%, est encore un frein, comme on a pu l'observer pendant les dernières élections régionales. Théoriquement, il y a une possibilité de voir le Front national frôler la victoire, mais la crédibilité d'un tel scénario est desservie par une probable forte mobilisation contre eux. Le scénario décrit est donc très peu envisageable. Le FN n'est toujours pas un parti comme les autres aux yeux de l'opinion, et le vote de rejet est à l'origine de ce "plafond de verre" que le parti de Marine Le Pen ne peut franchir aujourd'hui.

Denis Tillinac : Il est effectivement très improbable que Marine Le Pen accède à l'Elysée, dans un scénario tel qu'il est décrit. Néanmoins, cela n'est pas tout à fait impensable pour autant, eu égard au rejet d'un système perçu comme celui des élites seules ; et à la perte de légitimité du président de la République. Bien que cela ne soit pas invraisemblable, cela ne représente pas plus de 10 à 15% de chances… puisqu'il serait improbable (encore une fois) que nous n'assistions pas à un rejet massif de la part de la gauche. Dans des grands moments, comme celui que serait la présence de Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle face à François Hollande, la gauche (y compris la gauche de la gauche) fait corps. L'élection de Marine Le Pen serait dépeinte comme une catastrophe et tous, de Jean-Luc Mélenchon à Emmanuel Macron, feront corps contre. Pareillement, une partie du centre, ainsi que du centre-droit, pourrait prendre peur sur des questions de politique économique comme de rapports à l'Europe. Ceux-là s'abstiendront ou voteront pour le Président sortant.

Parmi les passages les plus abracadabrants de ce livre, nous avons relevé le ralliement de Guaino, Morano et Wauquiez à Marine Le Pen, la nomination d'Eric Zemmour à l'Education nationale, celle de Finkielkraut comme ambassadeur en Israël, ou encore plus délirant, la destruction d'une mosquée par Marion Maréchal Le Pen, chevauchant un bulldozer comme une valkyrie. Au-delà de leur aspect humoristique évident, que révèlent ces passages des fantasmes de M. Wieviorka ? Quelle jouissance tire-t-il de prédictions aussi extravagantes ?

Denis Tillinac : C'est proprement absurde. Aucune des personnalités citées ne rallieront Marine Le Pen. Ni Henri Guaino, ni Nadine Morano, ni Eric Zemmour, pas plus que Laurent Wauquiez ou Alain Finkielkraut. Pas un seul n'entrerait dans son gouvernement. En revanche, il est très probable que les ralliements ponctuels et locaux – notamment aux élections législatives – se multiplient.

Les passages décrits sont bien évidemment des fantasmes, de ceux qui visent avant tout à faire peur et sont utilisés à des fins de propagande. Aucun événement comparable à la destruction d'une mosquée au bulldozer n'arriverait en cas d'élection de Marine Le Pen. Et pour cause : ce genre d'action nécessiterait l'appui des lois, ce qui impliquerait d'avoir une majorité pour les voter. Or, si Marine Le Pen est élue présidente de la République, elle n'aura pas de majorité : il y aura un tiers de voix de gauche, un tiers de droite et un tiers de voix FN.Elle ne pourra mettre en place qu'un gouvernement de coalition et se retrouverait pieds et poings liés. Le vrai risque, ce n'est donc pas qu'elle mène ce genre d'actions qui effrayent ces auteurs, mais un retour à l'impuissance étatique constatée au terme de la IVème République.

Il y a clairement une espèce d'érotisme de la transgression : ces gens-là jouent à se faire peur, en jouissent, cherchent à faire peur aux autres. C'est grotesque, ne serait-ce que parce que la diabolisation du Front national ne marche plus. Sa montée traduit et illustre les défaillances du système, institutionnelles, le problème de légitimité politique auquel nous faisons face. Cela témoigne du besoin de repenser la démocratie politique française du début à la fin. Le score de Marine Le Pen est un symptôme, il ne se traduira pas par une majorité législative. D'autant plus que le FN fait désormais parti de ce système (et sera bientôt perçu comme tel). Dès lors, les voix protestataires se déporteront.

Michel Wieviorka, comme François Durpaire, surfent-ils consciemment sur une sorte de psychose collective à des fins mercantiles ou croient-ils réellement à l'élection de Marine Le Pen, et aux conséquences qu'ils imaginent ? A quel point ont-ils perdu le contact avec la réalité ? C'est grave, docteur ?

Denis Tillinac : Je pense qu'il y a un fond de sincérité. François Hollande est tellement décrédibilisé au sein de la gauche que ces gens commencent – à mon sens – à croire à la possibilité d'une défaite face à Marine Le Pen. Bien sûr, ils se font peur et en jouissent d'une façon comparable au sadomasochisme, mais je les crois néanmoins sincèrse. On ne peut pas dire, du moins pas complètement, qu'ils ont perdu le contact avec la réalité. Pas sur ce niveau, en tout cas. Là où il est possible de les attaquer, en revanche, c'est sur le cataclysme qu'ils dressent en guise de portrait, dans le cadre d'une élection de Marine Le Pen. Il ne se passerait évidemment rien de grave.

A part ces deux auteurs, qui d'autre semble aujourd'hui atteint de ce mal étrange ? Ont-ils des adeptes dans l'opinion ? Ont-ils un pouvoir de conviction comparable à celui de véritables gourous (ce mal est-il contagieux ?), ou sont-ils plus généralement considérés comme de doux illuminés ?

Denis Tillinac : François Durpaire, Michel Wieviroka et Farid Boudjellal sont des auteurs complètement contaminés par l'idéologie et la bien-pensance actuelle – ce qui finalement n'est qu'une contamination très banale, ordinaire. On ne peut pas leur prêter un pouvoir de gourou, dans la mesure où ils ne disposent d'aucun relais dans la population ; quand bien même le système médiatique leur est acquis, ce que l'on sait désormais depuis 20 ans. Ce dernier est également contaminé, mais l'opinion de moins en moins. C'est pourquoi, il existe ce décalage entre les Français et ceux qu'ils estiment être des "parisianistes" très loin de leurs préoccupations.

Propos recueillis par C.D.

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