Y a-t-il un lien entre le cancer du champion cycliste Laurent Fignon et le dopage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Sprint final du Tour de France.
Sprint final du Tour de France.
©Reuters

Bonnes feuilles

La maladie, la peur permanente, les médias en meute, la solitude, rien n'a été épargné au célèbre cycliste Laurent Fignon et à son épouse, Valérie. Dans ce témoignage, elle donne sa version des faits et s'interroge sur l'accompagnement des malades, avec l'aide du médecin Michel Cymes. Extrait de "Laurent" (2/2).

Michel  Cymes,Valérie Fignon et Patrice Romedenne

Michel Cymes,Valérie Fignon et Patrice Romedenne

Michel Cymes est un médecin français connu pour ses activités d'animateur de télévision et de radio, notamment pour l'émission Le Magazine de la santé qu'il présente avec Marina Carrère d'Encausse.

Valérie Fignon est la femme du champion cycliste Laurent Fignon.

Patrice Romedenne est un journaliste français.

 

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Le cancer est un salaud. Il vous prend en traître, ce qui lui donne toujours un coup d’avance. Invisible, il commence par attaquer votre organisme sans que vous en ayez conscience. Une fois que vous avez compris ce qui vous arrive, il vous ronge l’esprit. Le temps de verbaliser les choses et voilà qu’il mine votre entourage, fût-il éminemment costaud. Et quand les médias s’en mêlent, l’affaire prend des proportions exponentielles au point de vous pourrir la vie. Car s’il n’y a pas forcément une vie après le cancer, il y en a une pendant… Et croyez-moi, j’ai vite compris qu’elle allait être pesante.

Retour au boulot. A l’époque, je travaille au siège du groupe Point P, filiale de Saint-Gobain. A peine franchi le hall d’accueil où les 300 personnes qui travaillent ici circulent en permanence, je sens des dizaines de paires d’yeux se poser sur moi. Visiblement, tout le monde a la télé… Qu’ils soient tristes, compatissants, francs ou fuyants, ces regards me confirment, au cas où je serais tentée de l’oublier, que si je suis la femme de Laurent, Fignon, lui, m’a échappé. En tout cas, je dois le partager avec toutes celles et tous ceux auxquels il inspire une émotion, quelque chose d’enfoui dans le souvenir de ses prouesses de champion. Il m’est arrivé de sentir que les gens mettaient une forme de distance entre eux et moi, par timidité ou par respect pour ce que Laurent représentait. La révélation de son cancer a le don d’inverser cette tendance : intouchable hier, accessible aujourd’hui. La maladie le rend familier, l’humanise, et me voilà transformée en réceptacle de toutes les questions, qu’elles soient clairement posées – Comment va Laurent ? – ou maladroitement éludées – C’est à cause du dopage ?

Ah ! Je la sens planer cette question. Je vois bien qu’elle est centrale. Mais je ne dispose à l’époque d’aucun élément de réponse fiable. D’ailleurs, quand bien même en aurais-je, je me vois mal entamer une discussion sur le sujet. Alors, je rase les murs, regarde le bout de mes chaussures et presse le pas, comme en apnée, le temps de retrouver Anne, Carine et Maryline, les bonnes copines.

(...)

— Bonjour Valérie, comment va Laurent ? Je n’existais plus qu’à travers lui, je ne parlais que de lui, de sa maladie, de ses examens. Quoi que je fasse, quoi que je dise, ça tournait autour de Laurent. Son cancer m’obnubilait et, naturellement, je m’étais mise entre parenthèses, je ne m’occupais plus de ma petite personne. Il me paraissait sinon incongru, du moins superflu de me maquiller, de m’épiler. Il pouvait m’arriver, ce qui est contraire à mes habitudes, de porter les mêmes vêtements d’un jour sur l’autre. Tout me paraissait futile à côté de ce cancer. J’avais l’impression de passer mes journées au téléphone pour répéter en boucle les mêmes choses. J’étais devenue la guichetière des gens inquiets et cet exercice, répétitif et vain, m’épuisait. Le soir, je n’avais envie de rien, sinon de me coller contre Laurent devant la télé. Je n’éprouvais même pas de frustration, je n’en avais pas la force et quand bien même je l’aurais eue, qu’auraient représenté mes petits états d’âme à l’aune de ce qui menaçait Laurent ? Les rares moments où je pensais à moi, c’était pendant les séances de massage que, deux fois par mois, je m’offrais. Et encore, j’y allais convaincue que c’était le meilleur moyen de décompresser afin d’être le plus en forme possible une fois revenue auprès de Laurent, au service de Laurent. Voilà, c’est ça, je m’étais mise au service de Laurent et m’empressais de répondre à ses besoins.

Aurais-je dû agir autrement ? Faire défiler les amis à la maison ? Je ne sais. Il m’arrivait de transgresser la règle, de décider sur un coup de tête, à l’heure du déjeuner, de débarquer à l’improviste à la maison avec une paire d’amis, pour une demi-heure. Une petite demi-heure volée au cancer, volée à sa solitude. Un jour, nous le trouvâmes assis dans la pénombre. Il lisait L’Equipe sur un coin de table. Il nous regarda avec de grands yeux tristes et surpris. Je crois qu’au fond de lui, il était content. Une petite demi-heure volée à la fatalité. Une petite demi-heure volée au chagrin parce que Laurent m’avoua un jour qu’il lui arrivait de pleurer. J’en fus secrètement bouleversée car tout au long de notre vie commune, je n’avais vu des larmes perler sur ses joues qu’à trois reprises, et encore, je ne vous parle là que de larmes de bonheur ou d’émotion, de ces larmes que l’on verse avec gêne devant un programme de télé-réalité, de ces larmes qui peuvent monter au son de la Marseillaise lors d’une finale de rugby, et de ces larmes qu’on peine à contenir le jour de son mariage. Oui ! Il avait pleuré lorsque Monsieur de Maire de Bagnèresde- Bigorre, Roland Castel, nous avait mariés. Laurent était un homme, un vrai, un de ces mecs qui peuvent s’autoriser quelques larmes futiles parce qu’ils sont par ailleurs solides, batailleurs, courageux.

Extrait de "Laurent", Cymes Michel , Romedenne Patrice , Fignon Valérie (Editions Grasset), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici


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