Violences faites aux femmes : celles qu'on voit, celles qu'on ne voit pas <!-- --> | Atlantico.fr
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Un tiers des femmes ont déjà subi des attouchements au travail.
Un tiers des femmes ont déjà subi des attouchements au travail.
©Reuters

Dis maman, pourquoi j'suis pas un garçon

La journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes a lieu ce lundi. En France, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint. Mais d'autres types de violences, plus symboliques, sont tout aussi dévastateurs sur le long terme.

Marie Pezé, Sylvie Ohayon et Yves Raibaud

Marie Pezé, Sylvie Ohayon et Yves Raibaud

Marie Pezé est docteur en psychologie, psychanalyste, expert auprès de la Cour d’Appel de Versailles. Elle a créé la première consultation "Souffrance et travail" en 1997 au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre.

Sylvie Ohayon a passé toute son enfance dans la Cité des 4000 à La Courneuve. Elle a travaillé dans le milieu de la publicité et a publié Papa was not a Rolling Stone en 2011 et Les Bourgeoises en 2012 aux éditions Robert Laffont. .

Yves Raibaud est géographe, maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3. Il s'est particulièrement penché sur la thématique des rapports sociaux entre les sexes dans le champ de l'animation professionnelle.

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Cet article a été initialement publié le 25 novembre 2012 à l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.

Atlantico : Lorsque l’on parle de violences faites aux femmes, de quoi parle-t-on plus exactement, de violences physiques ? N’existe-t-il pas des violences symboliques ?

Marie Pezé : Je suis expert judiciaire donc pour moi les violences faites aux femmes correspondent à des délits et des infractions bien spécifiques qui vont du crime comme le viol, jusqu’aux coups et blessures en passant par les violences plus symboliques que l’on va classer dans les discriminations directes et indirectes.

Les violences faites aux femmes correspondent à des comportements physiques, psychologiques ou bien symboliques qui offrent une grille de lecture de la place de la femme dans une société donnée à une époque donnée.

La violence faite aux femmes est une violence particulière parce qu’elle est genrée, mais le droit étant un droit masculin, il ne fait pas la différence. Le droit et la justice se veulent aveugles à la différence alors que la société s’organise autour de ces mêmes différences. Au travail on le remarque encore plus, c’est ce que nous appelons les discriminations de système que personne ne voit et donc auxquelles tout le monde consent et collabore.

Pour parler des discriminations de système, le travail a d’abord été fait par les hommes parce que depuis la nuit des temps "le dehors" est la sphère des hommes et "le dedans" celle des femmes. On a assigné la sphère de la reproduction aux femmes et la sphère de la production aux hommes. Cela ne fait pas si longtemps que les femmes sont entrées sur le marché du travail et il faut bien garder la notion de division sexuelle du travail à l’esprit. Hormis le métier d’infirmière, la plupart des métiers ont été édifiés par des hommes sur la base du corps des hommes, de l’organisation du temps des hommes, des besoins physiques et psychiques des hommes. Les femmes sont entrées sur ce marché du travail une fois qu’elles ont obtenu l’autorisation de la part des hommes de travailler.

Les femmes ont d’abord occupé des métiers dont l’organisation était au masculin neutre, avec une organisation d’hommes et des horaires d’hommes. Les femmes doivent travailler assumer la sphère domestique, cette double peine n’est pas prise en compte par l’organisation du travail. En France, on ne fait pas grand-chose pour que les femmes puissent assumer cette double vie facilement. Et paradoxalement les femmes françaises sont celles qui travaillent le plus et qui font le plus d’enfants dans toute l’Europe. Par ailleurs, il est de bon ton de dire qu’une femme qui fait des enfants et qui travaille n’a pas à se plaindre : il faut qu’elle assume avec le sourire les contradictions de ses deux journées. Le monde du travail français est très sexiste. C’est là, ce qu’on appelle la discrimination de système.

Ajouter à cela une répartition des métiers selon les sexes : les postes de conception, de direction sont encore majoritairement attribués aux hommes. En revanche, tous les métiers qui ont trait à ce que l’on appelle des "compétences naturalisées", c’est-à-dire des qualités que l’on attribue aux femmes de par leur nature féminine, des capacités à s’occuper des vieillards, des personnes malades, de la saleté, de la souffrance, de la mort, sont majoritairement occupés par des femmes (institutrice, infirmière, etc.).

Ces métiers sont mal rétribués puisque l’on estime que les compétences qu’ils requièrent sont naturelles chez les femmes. Je caricature à peine.

Sylvie Ohayon : D’une façon générale, on parle de violences sexuelles, de violences physiques et on en oublie un peu les violences psychologiques. Aujourd’hui, une femme est sur tous les fronts, pour être admise et considérée, il faut qu’elle soit une bonne maman, une bonne épouse, ait qu’elle un métier et qu’elle tienne correctement sa maison. C’est une grande violence. Il y a très peu d’indulgence envers les femmes. On part de l’hypothèse que les hommes sont monotâches et que les femmes, elles, sont multitâches et c’est une façon de se dédouaner de tous les fardeaux que l’on faits porter aux femmes.

Yves Raibaud : Pour moi, lorsque l’on parle de violences faites aux femmes, on parle en premier lieu du viol qui est un scandale étouffé, mais c’est aussi les abus sexuels avec attouchements, caresses, etc. La deuxième partie concerne les coups et blessures et le harcèlement exercé par des hommes sur des femmes que l’on retrouve dans les relations de travail, conjugales, familiales, etc. Les violences faites aux femmes ont à 75% lieu dans les espaces privés, notamment au domicile et à 20% dans les espaces publics fermés comme les gymnases, les écoles, etc. qui peuvent pourtant paraître sécurisés. Les endroits où les femmes ont le moins de risques de se faire violer, ce sont les bois, les parkings souterrains et les rues. C’est surprenant, parce que cela ne correspond aux représentations que l’on s’en fait.

Les femmes se sentent généralement en sécurité dans les espaces dans lesquels elles ont le plus de chances de subir des violences. Les femmes sont incitées à avoir peur de l’espace public notamment le soir et la nuit. Selon nos études, lorsqu’elles se promènent dans la rue, elles sont victimes d’un certain nombre d’incivilités : insultes, mains baladeuses, dans les trams on retrouve ce que l’on appelle les frôleurs frotteurs. Ces actes ne sont pas répertoriés comme des violences faites aux femmes mais il s’agit de harcèlement permanent.

Lors de nos études, les femmes nous également fait part des problèmes qu’elles pouvaient rencontrer sur leur lieu de travail avec un patron insistant qui leur demandait de rester le soir ou qui voulait les emmener en week-end, les blagues cochonnes, les blagues de blonde. De même, lorsque l’on fait un compliment à une femme sur sa tenue vestimentaire sur son lieu de travail, cela va la déstabiliser. Ce qui peut être de la blague, de la courtoisie ou de l’humour, peut être ressenti comme une agression sexuelle. Les femmes l’ont tellement intériorisé.

Dans quels contextes se manifestent ces violences ? Certaines communautés, milieux sociaux ou lieux sont-ils plus exposés ?

Marie Pezé : Toutes les catégories socio-professionnelles sont concernées, même les actrices sont moins bien payées que les acteurs. Cette division sexuelle du travail se retrouve dans toutes les catégories socio-professionnelles, sauf dans la fonction publique parce qu’il y a une égalité de traitement. Quand bien même, quand vous arrivez dans les postes de direction et plus particulièrement dans la fonction publique d’Etat, on ne trouve plus que des hommes. C’est là le socle qui va permettre de reproduire toutes les autres violences.

Dans le monde du travail, les organisations du travail et les méthodes de management sont particulièrement viriles et les valeurs qui y sont prônées sont des valeurs de violence, de management au ton verbal menaçant, etc.. Ces capacités de dureté et d’indifférence à la souffrance sont en droite ligne avec l’identité sociale masculine. Une femme qui voudrait atteindre des niveaux élevés de carrière va devoir s’endurcir, endosser cette panoplie guerrière.

Il règne également un vocabulaire managérial extrêmement juteux avec des comportements qui ont trait à ce que nous appelons le harcèlement de genre. Par exemple, une femme ingénieure au milieu d’hommes va subir les écrans de veille pornographiques, etc… La crise accentue la dureté de l’organisation du travail.

Selon les chiffres, d’une enquête sur les violences faites aux femmes en Seine-et-Marne, on s’aperçoit que 4% des femmes au travail, ont été violées, 4% ! Et un tiers a subi des attouchements !

Sylvie Ohayon : Dans le travail par exemple, une femme qui doit quitter une réunion ou son lieu de travail parce que son enfant est malade, sera culpabilisée des deux côtés. D’abord parce qu’elle aura laissé son enfant malade trop longtemps tout seul, ensuite parce qu’elle devra quitter sa réunion pour le retrouver. Or, on n’en voudra pas à un homme de ne pas s’occuper d’un enfant malade et dans le cas où il quitterait une réunion pour cela, on trouverait ce geste attendrissant. C’est une violence quotidienne et plus larvée, les femmes souffrent davantage du manque de sommeil par exemple. C’est une violence intense. Je pense que c’est une violence que l’on trouve dans tous les milieux.

Yves Raibaud : Ces problèmes se passent de façons différentes mais la position de la femme dans les sphères publique et privée reste la même.

Les femmes se sentent moins en sécurité dans les espaces publics parce qu’elles ont fait l’objet d’un apprentissage. On l’a remarqué sur une étude que l’on a menée sur les pratiques sportives. Les filles décrochent généralement massivement des centres de loisirs, sportifs, et culturels à partir de la classe de sixième. Parce qu’on va lui dire : « tu es sûre que tu veux partir en colonie de vacances ? Que tu veux continuer à aller au sport ? »

Il y a une tradition qui consiste à dire que l’espace public est l’espace des garçons. Là, où l’on aperçoit des femmes dans l’espace public, ce sont dans les parcs et les jardins d’enfants, parce qu’elles sont neutralisées par leur fonction de mère.

On va créer des équipements sportifs pour les garçons mais on va considérer que les filles n’ont pas à s’éclater, il y a une empreinte masculine dans la ville.

Et il y a une construction de l’identité masculine à travers ses lieux non-mixtes comme les stades de football, les gymnases, qui est basée sur la dévalorisation de tout ce qui est féminin. Chez les hommes on va dire : «Tu es une gonzesse, tu es un PD », cette homophobie est plutôt une « efféminophobie » puisque le problème n’est pas celui des relations sexuelles mais de l’apparence du féminin.

C’est typique des lieux masculins où il y a des échanges de conversations et une culture sexiste qui instrumentalisent et déshumanisent la femme et qui classent les hommes dans la hiérarchie du plus viril au moins viril.                                  

La situation va-t-elle en s’améliorant ? Existe-t-il des pistes pour améliorer la situation ?

Marie Pezé : La situation va trop mal pour qu’on en soit à décider que les organisations du travail vont s’adapter au corps des femmes. La biodisponibilité des hommes pour le travail est assurée par les femmes. Qui s’occupe du linge ? Qui s’occupe des enfants ? Qui décharge le corps de l’homme pour qu’il puisse travailler ? Ce sont les femmes. Les femmes prennent la sphère privée et la sphère du travail en charge. Le point positif est que les femmes françaises continuent à travailler et à faire des enfants, c’est qu’elles y trouvent une forme d’émancipation. Ça c’est le point très positif.

Sylvie Ohayon : La meilleure façon de faire changer les choses, c’est d’assumer ce qu’on est et d’assumer ses choix. Il faut aussi faire preuve d’indulgence. Les femmes doivent faire preuve d’indulgence envers elles-mêmes, elles ne doivent pas se voir en super héroïne et elles doivent accepter l’idée qu’on ne peut pas être sur tous les fronts, elles gagneront en sérénité. J’ai pour ma part été employée dans une grosse entreprise pendant 16 ans, j’ai jonglé, j’ai culpabilisé. Et j’ai décidé d’arrêter. On ne peut pas être sur tous les fronts. C’est à la femme de résoudre ce problème et non pas à la société. Je pense qu’il faut se prendre ne main et qu’on est beaucoup plus forte quand on décide pour soi. Elles ne sont pas responsables de leur statut de victime, mais elles s’en imposent beaucoup.

Et la situation est de pire en pire. J’ai pour mon dernier livre beaucoup été en contact avec un chirurgien esthétique. La clientèle va de la femme de banlieue qui économise pour se faire refaire les seins à la grande bourgeoise qui va se refaire le nez parce que son mari lui a fait une réflexion désobligeante à un diner. C’est de plus en plus difficile.  

Yves Raibaud : Je pense qu’il existe des pistes d’amélioration. La première chose à faire est ce que les européens appellent du "gender budgeting", c’est-à-dire de voir dans les mairies quel argent on donne aux loisirs féminins et masculins et d’équilibrer cela de façon à encourager les femmes à prendre confiance en elles et à accéder de façon égale à l’espace public. La deuxième chose, c’est la sécurisation des espaces publics. Et le dernier élément serait de travailler sur l’éducation des petits garçons en ne les éduquant pas comme des petites frappes, de travailler sur les relations garçons-filles à l’école.

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