Vers un monde over-chargé ? La capacité de production de batteries électriques bien partie pour dépasser les besoins de l’économie mondiale<!-- --> | Atlantico.fr
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Les camions F-150 Lightning de Ford Motor Co. alimentés par batterie sont en cours de production au Rouge Electric Vehicle Center à Dearborn, Michigan, le 20 septembre 2022.
Les camions F-150 Lightning de Ford Motor Co. alimentés par batterie sont en cours de production au Rouge Electric Vehicle Center à Dearborn, Michigan, le 20 septembre 2022.
©JEFF KOWALSKY / AFP

Capacités

Les usines de batteries en construction dans le monde seront capables de produire bien plus que ce dont l’économie mondiale a besoin dans les années à venir, selon BloombergNEF dans un nouveau rapport.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Les usines de batteries en construction dans le monde seront capables de produire bien plus que ce dont l’économie mondiale a besoin dans les années à venir, selon BloombergNEF dans un nouveau rapport. Quelles seront les conséquences pour l’industrie et pour le marché de cette importante capacité de production de batteries électriques ? 

Jean-Pierre Corniou : L’industrie automobile est une industrie technique, complexe, diversifiée et qui produit de gros volumes. Les données illustrent l’échelle de cette industrie sans égale : 76 millions de voitures produites en 2023, dont 25,3 millions en Chine, 12,1 millions en Europes et 7.8 au Japon et aux Etats-Unis. La demande est fluctuante, les échanges entre marchés nombreux. Le monde automobile était parvenu à gérer ces interactions dans un système technique stable et internationale autour du moteur à combustion interne (ICE). L’arrivée de la propulsion électrique révolutionne ce marché déjà complexe pas sa nature. La montée progressive des véhicules électriques introduit un niveau supplémentaire de complexité car il s’agit de lignes de produits pour lesquelles la demande est encore instable et dépend largement de politiques d’incitations publiques fluctuantes, et qui, pour le moment, sont produits à côté des véhicules thermiques conventionnels. Or la voiture électrique a besoin de batteries, et les batteries sont loin d’être des équipements banalisés pour lesquels il suffirait d’additionner les capacités de production ! L’industrie des batteries comprend de nombreux acteurs, des mines jusqu’au recyclage en passant par l’électronique de puissance. Ce n’est pas un composant banal du véhicule. Bloomberg, dans un article du 12 avril 2024, met en évidence que la somme des plans annoncés de lancement de nouvelles usines de batteries dépasse largement la demande mondiale. En 2023, la capacité était de 2,6 TWh pour une demande de 950 gigawatt/h. Fin 2025, la capacité mondiale devrait atteindre 7,9 TWh pour une demande prévue de 1,6 TWh. La réalité est plus complexe car des projets sont annulés, et chaque projet est modulaire, constitué de plusieurs tranches conditionnelles. Dans un premier temps, les producteurs, les constructeurs qui les soutiennent et les États qui les accueillent montrent leurs muscles, mais s’adaptent pragmatiquement à la demande.

Les gouvernements occidentaux en Europe avec le Plan Vert comme aux Etats-Unis avec l’IRA, mais aussi le Canada, l’Inde veulent se protéger d’une hégémonie industrielle de la Chine et ont incité les constructeurs automobiles et les producteurs de batterie à investir conjointement dans de nouvelles entités de production.

La multiplication de projets d’usines de production de batteries, les Gigafactories, à travers le monde vise à couvrir une demande raisonnablement prédictible au vu des politiques publiques, des stratégies des constructeurs et de l’état de la technique.  Or si tous ces facteurs évoluent sans cesse, l’industrie automobile a commencé à s’engager profondément envers la filière électrique et attend de la stabilité dans le cadre règlementaire. L’Agence internationale de l’énergie estime que la production de véhicules électriques devrait atteindre 17 millions en 2024, soit 45% du marché en Chine, 25% en Europe et 11% aux Etats-Unis. En 2030, une voiture sur trois serait électrique en Chine, une sur cinq en Europe et aux Etats-Unis. Ceci représenterait une non-consommation de pétrole de 10 millions de barils par jour en 2035, soit l’effacement de l’ensemble de la consommation de pétrole actuelle des véhicules thermiques aux Etats-Unis. Bien sûr plusieurs facteurs peuvent modifier ces prévisions ; mais la détermination de l’industrie à s’engager dans la production de véhicules électriques rend difficile la remise en cause de cette filière alors qu’elle est maitrisée et commence à apporter les bénéfices d’usages attendus. La filière batteries, incluant les mines, le raffinage des minerais et le recyclage dimensionne depuis cinq ans ses investissements pour faire face à l’accroissement de la demande dans la prochaine décennie.  Elle n’est pas prête à remettre en cause cette révolution technique, qui, finalement, lui convient. 

La demande de batteries lithium-ion augmente rapidement, à mesure que les constructeurs automobiles électrifient leurs flottes et que les services publics installent des batteries pour stabiliser le réseau électrique. Où sont situées essentiellement ces nouvelles usines de construction de batteries qui permettront de dépasser la demande pour le reste de la décennie, selon la BloombergNEF ? L’Asie et les Etats-Unis vont-ils être les principales régions à bénéficier de cet essor ? L’Europe et la France sont-elles bien positionnées ? 

Initialement implantées en Chine, les usines de batteries s’installent dans tous les pays producteurs de véhicules automobiles. Comme pour tous les équipements critiques des véhicules, les usines de batteries cherchent à se situer à proximité des usines d’assemblage de véhicules. Elles visent aussi les régions où une main-d’œuvre technique est accessible et où les prix de l’énergie, de préférence décarbonée, sont abordables. Mais ces critères de choix classiques pour l’industrie automobile sont aussi amplifiés par la volonté offensive des Etats de lutter contre la domination chinoise. Pour contrer l’avance de la Chine, les pays producteurs comme l’Europe et les Etats-Unis ont multiplié les incitations pour abaisser le coût d’investissement. L’IRA accorde ainsi une exemption fiscale de 35 $ par kWh pour les cellules et 10 $ /kWh pour les modules produits sur le territoire américain, ainsi que 10 % de crédit pour les coûts de production des minerais critiques. Ceci représente une baisse effective du coût de production de 30% et efface le différentiel de coût de production entre les Etats-Unis et la Chine. Évidemment cette aide massive a multiplié par deux  en 12 mois les projets de Gigafactories aux Etats-Unis, surtout dans les états du Sud où le coût de l’énergie est moins élevé. Ceci a aussi accéléré la constitution de joint-venture entre les constructeurs et les producteurs de batteries : Tesla-Panasonic, GM-LG Energy, Ford-SK Innovation.

L’Europe a également réagi à son retard en matière d’usine de batteries et dispose d’un potentiel de projets et d’usines installées représentant 1,9 TWh de capacité. L’UE a autorisé en mars 2023 la possibilité de financer  par l’aide publique des projets  qui ne pourraient pas se réaliser en Europe pour des raisons de coût comparé avec les Etats-Unis. Un projet Northvolt en Allemagne du Nord a ainsi été approuvé en janvier 2024 avec une aide fédérale allemande de 902 millions €.

Cette situation va-t-elle marquer une période difficile pour les nouveaux entrants dans l'industrie des batteries ? La concurrence sera-t-elle d’autant plus rude pour les pays ayant pris du retard dans le domaine des batteries ? 

La concurrence est en toutes matières ferment de progrès. Le marché du véhicule électrique, hésitant dans la décennie 2010, est sorti de l’apprentissage dans la décennie 2020 et devrait atteindre la maturité dans la décennie 2030. Cette maturité se concrétisera par la capacité de l’industrie du véhicule électrique à produire des gammes diversifiées de véhicules, de toutes tailles et toutes caractéristiques, répondant à la demande à un prix équivalent à ceux des voitures thermiques de mêmes caractéristiques. L’AIE estime qu’en Chine 60% des véhicules produits en 2023 répondaient déjà à cette caractéristique !  On dénombre fin 2023 600 modèles de véhicules électriques dans le monde, mais 66% de ces véhicules sont encore des SUV et véhicules haut-de-gamme, ce qui est un ratio identique aux véhicules à moteur thermique. La progression du marché se fera par les véhicules de gamme moyenne et d’entrée de gamme.

Mais la concurrence va également contribuer à améliorer les caractéristiques des batteries. La recherche développement est très active et la suprématie incontestée du lithium ion nickel manganèse cobalt (NMC) est attaquée par la formule lithium-fer-phosphate (LFP), moins coûteuse, qui a doublé sa part de marché depuis 2020. D’autres solutions se profilent comme les batteries sodium-ion qui n’ont pas besoin de lithium.  C’est donc sur le plan technique un marché très évolutif et ouvert qui laisse la place à l’innovation. 

Enfin si en 2023 la Chine, l’Europe et les Etats-Unis ont représenté 95% de la demande mondiale de véhicules électriques, on commence à voir de nouveaux marchés s’ouvrir à cette technologie notamment en Asie. La diversification des véhicules, leur démocratisation, comme l’exportation de VE d’occasion vont commencer à développer l’intérêt de ces nouveaux marchés pour la demande de véhicules électriques. Les États seront prêts à financer des projets tout en participant à la surproduction mondiale temporaire pour ne pas perdre leur chance de participer à cette révolution technique.

Enfin les prix des batteries baissent et promettent des véhicules électriques performants au même prix que les véhicules thermiques dans toutes les gammes, ce qui est une révolution majeure pour cette industrie jugée trop chère pour les consommateurs modestes. CATL annonce vendre des batteries à 60$ le kWh en 2024. La barre des 100 $ par kWh devrait être franchie pour tous les types de batteries en 2024/2025. La valeur moyenne de la batterie était en 2013 de 780 $/kWh, de 183 $/kWh en 2019 avant la crise COVID. Il faut retenir qu’une batterie se compose de la partie active, les cellules, et de la structure qui les contient (le pack) le rapport de coût s’élevant à 78% compte tenu des progrès considérables qui ont été réalisés sur le conditionnement. C’est une industrie qui progresse constamment !

Quelles pourraient être les conséquences de la surabondance de capacité de batteries et de l’offre excédentaire la plus aiguë en Chine, où la capacité de fabrication dépassera la demande annuelle de batteries d’au moins 400 % pour le reste de la décennie, ou bien encore aux Etats-Unis ? Cela va-t-il avoir des effets contre-productifs pour la Chine ou l’économie américaine ? Certaines usines prévues dans le monde pourraient-elles être retardées ou annulées en raison de la surcapacité de l’industrie ? Cela pourrait-il freiner la production de véhicules électriques ?

La Chine  a dix ans d’avance sur le marché mondial. Malgré les progrès des autres pays, la Chine devrait abriter en 2030 68,5% de la capacité mondiale de production de batteries.   Elle a su mettre en place, de façon systémique, une industrie complète du véhicule électrique de la chimie de base à l’électronique la plus sophistiquée. Designée d’abord pour couvrir les besoins du marché intérieur, l’industrie chinoise a naturellement une vocation exportatrice, ce qu’elle a démontré pour la première fois en 2023 en exportant 1,2 million  de véhicules à énergie nouvelle (NEV), en augmentation de 77% par rapport à 2022.  Ces véhicules représentent 24% des exportations automobiles de la Chine. En 2024, les performances sont en croissance avec une perspective de 5,5 millions de NEV exportés en 2024. Les principaux clients sont la Belgique, c’est-à-dire l’Union européenne, la Thaïlande et le Royaume uni. Exporter des voitures c’est exporter des batteries chinoises, CATL, BYD étant déjà les premiers producteurs mondiaux.

La machine industrielle chinoise est implacable. Elle s’appuie sur la maitrise complète de la supply chain et la construction de clusters  industriels dans le delta du Yangtze, de la Pearl River et la région de Chengdu-Chongqing. Ces clusters sont efficients et permettent de baisser les coûts de toute la filière. C’est pourquoi pour défendre à court terme leur industrie automobile et leur industrie de batteries, Etats-Unis et Europe n’ont d’autre choix que d’augmenter les barrières douanières et exclure les véhicules chinois des systèmes d’incitation à l’achat de véhicules électriques, tout en accroissant leurs propres capacité et en réduisant les coûts de production. Si elles sont logiques, ces mesures ne changeront pas structurellement l’avantage chinois qui est actuellement le seul pays à concevoir une gamme complète de véhicules électriques de toutes natures, aussi bien individuels qu’utilitaires et industriels. Ainsi, les Etats-Unis ont augmenté de 25% à 100 % les droits de douane sur les importations de véhicule électrique chinois, et l’Union européenne va appliquer une surtaxe provisoire de 38% à partir du 1er juillet 2024 en plus des droits de douane de 10%.

Il faut aussi notre que cette capacité de batteries peut contribuer à lisser la production électrique des sources d’énergies alternatives comme les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. Stocker le surplus de production dans des batteries stationnaires abordables et fiables est une excellente réponse au caractère discontinu et aléatoire de la production.

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