Valéry Giscard d'Estaing, ce président au bilan politique dramatiquement sous-estimé<!-- --> | Atlantico.fr
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Valéry Giscard d'Estaing.
Valéry Giscard d'Estaing.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Modernisation

Il y a cinquante ans, le 27 mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing devenait le troisième président de la Ve République.

Alain Laquièze

Alain Laquièze

Alain Laquièze est professeur de droit public à l’université Paris Descartes (Sorbonne Paris Cité). Il est spécialiste de droit constitutionnel et d’histoire des idées politiques. Il a notamment publié en co-direction avec Marie-Claude Esposito et Christine Manigand l’ouvrage Populismes. L’envers de la démocratie (2012). En co-direction avec Xavier Bioy, Thierry Rambaud et Frédéric Rouvillois, il a fait paraître Le Président de la Ve République et les libertés, préface de Valéry Giscard d’Estaing (2017). On citera également ses contributions «Benjamin Constant», «Guizot et la monarchie de Juillet», «Juste milieu» et «Thiers» parues dans Le dictionnaire du conservatisme sous la direction de Frédéric Rouvillois, Olivier Dard et Christophe Boutin (2017). (Libéralisme)

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Atlantico : Cela fait 50 ans jour pour jour, ce lundi, que Valéry Giscard d’Estaing a été élu. Que retenir du bilan du président, un demi-siècle après le début de son mandat ? Peut-on dire, aujourd’hui, que son action a été dramatiquement sous-estimée ?

Alain Laquièze : L’action de Valéry Giscard d’Estaing a certainement été sous-estimée. On mesure mal aujourd’hui les innovations qu’a pu représenter sa politique qui visait à moderniser la société française, après l’ébranlement de mai 68. Il a été celui qui a lancé de grandes réformes sociétales, en prenant parfois à contrepied sa propre majorité : loi sur l’abaissement de la majorité civile et politique à 18 ans, loi sur l’IVG, loi sur le divorce par consentement mutuel, réformes en faveur des droits des femmes … Il a également été à l’origine de grandes réformes libérales, telles que l’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou 60 sénateurs, la création des questions orales des députés au Gouvernement, la garantie des libertés en matière de données informatiques, le renforcement des droits des administrés face à l’administration ou la suppression de l’ORTF. Il ne faudrait pas oublier l’ouverture sociale dont il a fait preuve, avec la création du collège unique ou celle de l’aide personnalisée au logement. Cette politique, il l’avait en quelque sorte théorisée dans son livre Démocratie française, paru en 1976, en appelant de ses vœux une société démocratique moderne, libérale et avancée. S’il avait été réélu en 1981, il est fort probable, vu les initiatives prises à la fin de son mandat, qu’il aurait engagé une réforme en faveur d’une décentralisation administrative et libéralisé les radios. Peut-être même se serait-il engagé vers l’abolition de la peine de mort, vu ce qu’il a écrit dans des mémoires sur le droit de grâce. Ses engagements européens étaient également sans failles : il est à l’initiative du conseil européen, la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne et il a été l’artisan de la mise en œuvre de l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct.

Le chef de l'État actuel, Emmanuel Macron, a régulièrement été comparé à Valéry Giscard d’Estaing. Dans quelle mesure peut-on affirmer qu’il ne s’agit pas d’une comparaison très honnête pour VGE, tant sur le plan politique qu’idéologique ?

La comparaison entre Emmanuel Macron et Valéry Giscard d’Estaing est tentante. Ce sont deux présidents qui ont un parcours professionnel qui n’est pas sans lien : ils ont tous les deux été inspecteurs des finances, tous les deux ont été ministres de l’économie, tous les deux également ont accédé à l’Élysée, sans avoir été Premier ministre. En leur temps, chacun a été le plus jeune président de la Vème République. Ils ont aussi, l’un comme l’autre, occupé un positionnement politique au centre de l’échiquier politique et se sont caractérisé par leur attachement à la construction européenne. Pour autant, les différences entre les deux hommes sont importantes : Emmanuel Macron n’avait pas été élu, avant d’accéder à la fonction suprême, alors que Giscard avait une longue expérience en tant que parlementaire ; son exercice du pouvoir est différent : il intervient davantage que son aîné dans la gestion quotidienne des affaires, se substituant souvent aux compétences du Premier ministre ; sa politique elle-même s’éloigne de Valéry Giscard d’Estaing : elle est peu économe des deniers publics et semble davantage inspirée par les contraintes de l’instant que par des lignes directrices très nettes, qu’il s’agisse de la défense de la souveraineté nationale ou de la politique étrangère.

Contrairement à Emmanuel Macron, qui apparaît attaché au “en même temps”, Valéry Giscard d’Estaing s’attachait à convaincre le plus de ses concitoyens possibles (deux français sur trois, en somme). Peut-on dire qu’il s’agit d’un objectif plus efficace ? Dans quelle mesure a-t-il réussi à le mener à bien ?

On peut dire que les deux formules expriment un objectif politique difficilement réalisable, la première car elle tend à vouloir réconcilier des exigences contraires, la seconde car elle a pour ambition de réunir une majorité bien supérieure à ce qu’on a généralement vu lors du deuxième tour de l’élection présidentielle française. Dans l’histoire française contemporaine, seul le Général de Gaulle a pu en quelque sorte incarner cet idéal. Il faut préciser que Valéry Giscard d’Estaing a lancé la formule des « deux français sur trois », après avoir quitté le pouvoir. Durant sa présidence, il n’a pu, à part durant ses deux premières années de mandat, réaliser cet objectif. La majeure partie de son septennat a été marquée par une bipolarisation croissante droite/gauche qui s’est achevée par sa défaite à l’élection présidentielle de 1981. Après son départ du pouvoir, quelques rares périodes politiques ont pu donner l’impression qu’un gouvernement pourrait élargir sa majorité, en occupant un large espace au centre de l’échiquier politique : le début du second septennat mitterrandien, avec le gouvernement Rocard, la large victoire de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 2002, enfin la victoire d’Emmanuel Macron en 2017, puis sa réélection en 2022. Mais on ne peut pas dire que la réussite ait été au rendez-vous.   

Pourquoi le bilan du président Giscard d’Estaing est-il si souvent mésestimé ?

On peut avancer plusieurs raisons. Valéry Giscard d’Estaing pâtit d’avoir été un président, dont le septennat s’intercale entre les mandats du Général de Gaulle et de Georges Pompidou d’un côté, et de la présidence de François Mitterrand de l’autre, qui a été la plus longue de la Vème République. Son mandat clôt un cycle politique, celui des fondateurs de la Vème République, et a été finalement éclipsé par le grand tournant de l’alternance et de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Il ne faut pas oublier non plus que Giscard est un président qui échoue à se faire réélire. Les vaincus n’ont souvent pas bonne presse dans l’histoire politique française : pensons par exemple à Guizot ou à Émile Ollivier au XIXème siècle. Enfin, les jeunes générations actuelles ont gardé un souvenir fort de Jacques Chirac qui a pu être le président de leur enfance ; ils ont certainement entendu parler de Charles de Gaulle, voire de François Mitterrand, au cours de leurs études ; mais il est peu probable qu’ils aient souvent entendu le nom de Valéry Giscard d’Estaing.

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