Vaccins contre la Covid-19 : les laboratoires français ont-ils fait les mauvais choix ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme reçoit une dose du vaccin Pfizer BioNTech à l'Institut Pasteur lors d'un programme de vaccination, à Paris, le 21 janvier 2021.
Une femme reçoit une dose du vaccin Pfizer BioNTech à l'Institut Pasteur lors d'un programme de vaccination, à Paris, le 21 janvier 2021.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Bonnes feuilles

Vincent Bordenave publie "Covid-19 Vérités et légendes" aux éditions Perrin. La Covid-19, depuis un an et demi, bouleverse notre vie dans tous les domaines : travail, famille, santé, éducation. La pandémie sape la légitimité de tous les pouvoirs (politique, scientifique, médiatique). La crise sanitaire remet en cause les dogmes économiques (la dette publique, l'Etat-providence). Extrait 2/2.

Vincent Bordenave

Vincent Bordenave

Vincent Bordenave est journaliste au service « Sciences » du Figaro. Il y suit la pandémie depuis son apparition.

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L’enjeu vaccinal a pointé les limites de la recherche française. Le vaccin lancé par l’Institut Pasteur n’est pas arrivé au terme des essais cliniques et celui de Sanofi a pris énormément de retard. Le salut est venu de laboratoires des États-Unis, d’Allemagne, de Chine et même de Russie. La France n’a pas su être à l’initiative. Elle s’est reposée sur l’Union européenne, qui s’est comportée comme un client des grands laboratoires plus que comme un acteur moteur de la campagne vaccinale. « Pour le vaccin, nous faisons confiance aux entreprises », expliquait dès le 28  août 2020 le ministre de la Santé, Olivier Véran. Plus tôt dans le mois, il avait expliqué ne pas se placer « dans la situation d’un médecin français », plaidant pour une recherche à l’échelle internationale. Et pour cause, le développement de ces traitements protecteurs n’est plus l’apanage des États depuis de nombreuses années. « Développer un vaccin, le commercialiser est désormais un enjeu industriel, confirme Christophe d’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur. Ce n’est donc pas surprenant que les projets les plus prometteurs soient portés par des grands laboratoires. Cela dit, il suffit de regarder vers la Russie, ou même les États-Unis, pour constater que les États ont encore leur mot à dire. »

Les États-Unis bénéficient d’une structure extrêmement efficace, le Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority), capable de répondre rapidement aux projets et de lever un financement, confirme Jean Lang. « Il serait souhaitable, poursuit le vice-président recherche et développement de Sanofi-Pasteur, que l’Union européenne (UE) se dote d’une structure similaire, qui lui fait cruellement défaut. »

Au-delà de cet aspect, les laboratoires français ont-ils opéré de mauvais choix stratégiques ? Le pays ne s’est en effet pas tourné en priorité vers les plateformes innovantes que sont les vaccins à ARN messager, comme ont pu faire les sociétés de biotechnologie américaine Moderna et américo-allemande Pfizer-BioNTech. Ces start-up ont parié sur une nouvelle technologie, réalisant un gain de temps fantastique dans le développement de leurs produits, quand Pasteur (tout comme Sanofi) a misé sur une technologie plus ancienne. Pour des raisons d’abord économiques.

« Nous avons fait le choix de partir sur une technologie que nous maîtrisons : le vecteur viral utilisé contre la rougeole », expliquait Christophe d’Enfert en août 2020. « Ce choix s’inscrit parfaitement dans notre stratégie vaccinale : promouvoir un vaccin accessible au plus grand nombre, justifiait de son côté la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal. Y compris dans des pays moins développés. Or, avec des obligations de conservation à –  80 °C ou  – 20 °C, les vaccins ARN ne rempliront pas toutes ces conditions. »

En réalité, le choix français de ne pas se tourner vers l’ARN résulte plus du non-choix que d’une stratégie. Les marges de manœuvre des scientifiques sont en effet très étroites en raison des brevets. « Si un chercheur qui travaille sur l’ARN veut valoriser ses recherches, il devra trouver une niche, car ce domaine est déjà très encadré par de nombreuses protections intellectuelles, explique Bernard Verrier, spécialiste de l’ARN messager à l’université Claude-Bernard de Lyon. Cela peut expliquer pourquoi certains centres de recherche comme l’Institut Pasteur ou des sociétés de biotechnologie ne sont pas encore des acteurs majeurs des vaccins à ARN, faute d’avoir des brevets accordés. »

Sanofi s’est associé à la société américaine Translate Bio pour entrer dans le domaine de la vaccination à ARN. Pour qu’un scientifique travaille sur l’ARN sans avoir à payer un brevet, il doit innover. « Cela limite les marges de manœuvre et demande beaucoup de créativité aux chercheurs pour créer une nouvelle propriété intellectuelle, poursuit Bernard Verrier. Les prochains défis concernent tout ce qui pourra diminuer la dose d’ARN à injecter et cibler au plus juste l’action de cet ARN messager. »

Sans brevet sur l’ARN messager, Pasteur est pourtant parti assez confiant dans la lutte contre le Covid, en pariant sur un vaccin à vecteur viral. D’autres laboratoires ont fait des choix similaires et connaîtront une issue bien plus favorable. « Le choix d’un vecteur à partir du virus de la rougeole était un risque logique », commente Christian Bréchot, ancien directeur de l’Institut Pasteur, entre 2013 et 2017. Cette filière technologique, lancée il y a une dizaine d’années, repose sur une plateforme qui n’avait été utilisée que pour deux vaccins contre Ebola. Le principe est assez simple : il s’agit d’utiliser un virus vecteur pour pénétrer dans les cellules et lancer la production des protéines que l’organisme doit apprendre à combattre. « Nous avons une totale confiance dans cette plateforme tournée vers l’efficacité et la sécurité, expliquait Jean Cimbidhi, directeur médical à MSD France en août 2020, avant les annonces de retrait. Elle prend peut-être un peu plus de temps à développer que d’autres, mais nous ne sommes pas dans une logique de course entre pays ou entre laboratoires, mais contre le virus. Rappelons qu’en temps normal développer un vaccin prend plus de dix ans. Nous restons donc extrêmement rapides. » C’est sensiblement la même stratégie qui a été développée, cette fois avec succès, par AstraZeneca ou Janssen/ Johnson  &  Johnson. Si ce n’est que, contrairement à ces laboratoires, Pasteur a choisi comme vecteur non pas un adénovirus, mais le virus de la rougeole.

Faut-il y voir une des raisons de l’échec de l’établissement français ? C’est l’avis de certains chercheurs, très sceptiques sur cette approche. Ils avancent que la majorité de la population est déjà protégée contre le virus de la rougeole, de manière naturelle ou par la vaccination, et que le choix de la protéine Spike présentée au système immunitaire n’a pas été optimal. « Les essais cliniques en cours avec le vaccin contre Zika ont pourtant montré une efficacité intéressante », se justifie-t-on du côté de l’Institut. « Le vaccin de la rougeole est modifié pour éviter qu’il ne soit reconnu par le système immunitaire », ajoute Marie-Paule Kieny. « Il n’y avait aucune raison a priori pour que ce vaccin ne fonctionne pas », renchérit Mylène Ogliastro, virologue à l’Inrae-université de Montpellier.

Deux autres candidats vaccins sont par ailleurs en cours d’étude, l’un reposant sur un vecteur lentiviral, l’autre sur une plateforme ADN. Un choix très risqué selon certains. « On n’a pour le moment aucune garantie que ce type de vaccin ne s’intègre pas durablement dans le génome vacciné, juge un expert. Ce qui peut faire craindre des recombinaisons génétiques. » D’autre part, le vecteur lentiviral cible des cellules importantes dans la réponse immunitaire, comme les cellules dendritiques, ce qui en théorie permettrait une réponse intense et universelle contre tous les variants. Un grand nombre de questions restent non résolues sur les effets à long terme sur l’organisme d’un tel vaccin. Il en va de même pour le vaccin à ADN, qui doit pénétrer dans le noyau des cellules pour interagir avec notre patrimoine génétique. Ce qui n’est pas le cas avec l’ARN.

Outre ces aspects technologiques, l’état de la recherche a été pointé du doigt à plusieurs reprises. « On ne peut pas dissocier les difficultés propres à Pasteur de celles qui traversent la recherche française, commente Mylène Ogliastro. Les politiques nationales de soutien n’ont eu de cesse depuis vingt ans de diminuer les financements. Nous n’avons tout simplement plus les moyens de nos ambitions. On forme des jeunes, mais ils sont contraints de partir. On n’a pas le tissu d’innovation pour les retenir. »

Quelques semaines avant l’annonce de l’abandon de son candidat vaccin, l’Institut était secoué par une autre polémique : on apprenait que le prix Nobel de chimie 2020 Emmanuelle Charpentier, dont les travaux sur les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 révolutionnent le monde de la biologie et de la médecine, avait sollicité l’Institut dans les années 2010 sans que celui-ci parvienne à lui proposer un poste intéressant. « C’est une erreur que j’ai du mal à comprendre, lâche Christian Bréchot. C’est d’ailleurs pour moi le symptôme du principal problème de la recherche en France. Et Pasteur en souffre tout autant que les autres : nous avons du mal à garder chez nous les meilleurs chercheurs. »

Autre difficulté, l’articulation avec le privé. Sur la question des brevets, Pasteur avait bien pris les devants en signant en 2015 un accord avec Moderna. Mais il semble avoir été à sens unique, la biotech américaine ayant plutôt profité de l’expertise pasteurienne pour valider certaines hypothèses. « Je ne sais pas pourquoi ce partenariat s’est interrompu », s’interroge toujours Christian Bréchot, à l’initiative de l’accord.

Steve Pascolo, fondateur de la société CureVac et pionnier des technologies à ARN messager, avait déjà proposé celles-ci à l’Institut dès 2002. Il s’agissait alors de mettre au point des vaccins contre le cancer. Un brevet a bien été rédigé avec l’Institut Pasteur comme demandeur et Steve Pascolo comme inventeur. Pourquoi cela n’a-t-il pas abouti ? Sans doute parce que les frais de maintien de la protection intellectuelle n’ont pas été payés. Sollicité, l’Institut n’a pas souhaité répondre sur ce sujet.

Pasteur, institut de recherche qui depuis la scission d’avec ce qui deviendra Sanofi en 1972 n’a pas vocation à faire de la production et n’intervient qu’en tout début de chaîne, doit aussi signer des accords avec d’autres entreprises pour lancer les productions à grande échelle. « Il manque un maillage entre des structures plus petites, continue Mylène Ogliastro. Aux États-Unis, de nombreux scientifiques dirigent eux-mêmes une start-up, ce qui favorise le lien avec le milieu universitaire. Il y a aussi une culture de l’acceptation de l’échec qu’on ne retrouve pas ici. »

Les Anglais de l’université d’Oxford semblent avoir réussi la synthèse des deux modèles : ils n’ont pas bénéficié de l’appui d’une start-up, mais ont été très largement financés par le gouvernement britannique. Ils n’ont pas craint les prises de risque et ont réussi à développer très vite un vaccin extrêmement efficace contre le Covid. Mieux encore, ses inventeurs ont pu imposer leurs conditions au laboratoire AstraZeneca quand il a fallu trouver un partenariat pour le produire à large échelle : un vaccin vendu à prix coûtant le temps de la pandémie, afin de le rendre accessible au plus grand nombre.

De manière générale, la France s’est montrée plus timide que d’autres pays sur le volet financier. Rappelons qu’avant l’arrivée des Américains, le projet de l’Institut Pasteur ne bénéficiait que du financement de la Cepi, une coalition internationale entre des organisations publiques et privées (financée par des États comme l’Allemagne, mais pas par la France…). Parallèlement, le ministère de la Recherche n’a décidé de soutenir directement que trois projets de vaccins à hauteur de 3 millions d’euros. Notamment celui développé par le professeur Jean-Daniel Lelièvre, immunologiste à l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP, Créteil), et par le Vaccine Research Institute, laboratoire d’excellence créé par l’Agence nationale française de recherche sur le sida et les hépatites virales et l’université Paris-Est Créteil. « On se place dans une stratégie vaccinale de deuxième vague, expliquait le scientifique en janvier  2021. Les premiers vaccins disponibles ne seront peut-être pas les plus performants, mais ils seront indispensables pour répondre à l’urgence et aideront à stopper l’épidémie. Ensuite, la demande sera différente. » Reste à savoir s’il restera réellement de la place pour tous au vu de l’efficacité remarquable des vaccins sur le marché.

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Extrait du livre de Vincent Bordenave, "Covid-19, Vérités et légendes", publié aux éditions Perrin

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