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Urgences : quand le respect de la procédure par le personnel soignant peut représenter une perte de temps fatale au patient
©Reuters

Bonnes feuilles

Jeune médecin-urgentiste, Mathieu Doukhan livre un témoignage sans concession sur sa vie quotidienne aux urgences. Joies, peines, amertumes, miracles... Un univers où les situations ubuesques sont le pain quotidien, où les méandres du système peuvent surprendre, mais surtout, avant tout, un monde plein d’humanité. Extrait de "Papa ! Pourquoi tu dors encore à l'hôpital ?" de Mathieu Doukhan, aux éditions de l'Opportun 2/2

Mathieu Doukhan

Mathieu Doukhan

Mathieu Doukhan a 34 ans et habite Lille. Il exerce depuis plus de cinq ans en tant que médecin urgentiste à Tourcoing, qui accueille l’un des plus gros services d’urgence de France.

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Champs de bataille

Une jeune patiente est sortie par sa famille d’une voiture arrivée en trombe devant notre porte. Elle doit avoir une vingtaine d’années et elle est à

peine consciente. Elle saigne abondamment. Nous avons besoin de sang rapidement. Mais demander un culot sanguin prend un certain temps, on ne peut pas le prendre dans le frigidaire comme un quelconque médicament.

La patiente s’enfonce dans le coma. Vérifier son groupe sanguin. La patiente n’a plus de tension. Réchauffer le culot. Son coeur ralentit malgré toutes les drogues. Le culot n’est toujours pas là.

"Allô ? Qu’est-ce que vous foutez ? On a besoin de sang ! Nous l’avons demandé en urgence vitale !

— On arrive, nous devons respecter la procédure."

Le saignement ne s’arrêtera qu’avec le coeur de la patiente que de longues et futiles manoeuvres de réanimation ne ramèneront pas à la vie.

La mort est déclarée. C’est injuste, elle est si jeune. L’humeur est maussade sur le camp des Rouges comme on dit à Koh-Lanta. Tout le monde

se regarde, sans un mot. Il y a du sang partout, la bataille est perdue. Les portes du déchocage s’ouvrent, une jeune femme entre en portant un petit récipient de polystyrène contenant des poches de sang. Le sang arrive mais trop tard. Il s’agit d’une jeune infirmière engoncée dans une blouse toute neuve. Le visage neutre elle demande machinalement une signature. Mais son visage blêmit devant cette scène de guerre en partie cachée par un long rideau de plastique beige. Le sang s’est répandu au sol, l’odeur prenante caractéristique de la viande froide envahit la salle. Elle trésaille, nous l’alpaguons.

"C’est maintenant que tu arrives ?

— J’ai respecté la procédure, dit-elle tétanisée, la voix tremblante.

— Tu sais ce que c’est une urgence vitale ?

— Oui mais…

— Il n’y a pas de “mais” ! Et de continuer en tirant brutalement le rideau laissant apparaître le corps exsangue d’une fille qui avait son âge. C’est ça une urgence vitale !

— Tu peux reprendre tes culots on n’en a plus besoin. La prochaine fois on lui donnera notre propre sang, ça ira plus vite."

Et l’infirmière de s’en retourner dans la guérite de la banque du sang. Elle est choquée, les larmes perlent sur son visage. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait de son premier jour.

En débriefant le cas nous nous apercevons que la procédure avait été respectée, que cette femme avait fait correctement son job et ne pouvait aller plus vite. Nous nous en sommes excusés auprès d’elle, cependant je pense qu’elle est marquée à vie par ce manque complet d’humanité. Elle avait fait les frais de notre frustration. Ces dommages collatéraux arrivent quand un médecin se sent impuissant face à l’inévitable, et cela arrive souvent.

Extrait de "Papa ! Pourquoi tu dors encore à l'hôpital ?" de Mathieu Doukhan, publié aux éditions de l'Opportun, avril 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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