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Union européenne, Royaume-Uni : la grande divergence géopolitique
Union européenne, Royaume-Uni : la grande divergence géopolitique
©NIKLAS HALLE'N / AFP

"Global Britain"

Boris Johnson a dévoilé la nouvelle stratégie « Global Britain » du Royaume-Uni. Londres rehausse ses ambitions, notamment dans le domaine scientifique, et précise ses intensions pour la défense des intérêts britanniques.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Le Royaume-Uni n’a pas attendu longtemps après sa sortie de l’Union européenne pour tracer les perspectives de sa liberté retrouvée. Le 16 mars 2021, le Gouvernement britannique a rendu public un document intitulé Global Britain, dans lequel il entend expliquer comment le Royaume-Uni, qui selon le mot de Winston Churchill, a une nouvelle fois choisi le « grand large », défendra les intérêts britanniques sur une planète plus vaste que l’Europe, et dont le centre de gravité au XXIem siècle est maintenant entre Asie et Amérique.

De ce document fort se dégage une ambition et un réalisme auquel nous ne sommes plus habitués. Au-delà des mots, il trace un cap au travers d’une série d’annonces dont certaines ont franchement surpris, voire déplu. La plus importante est sans doute la décision de remonter progressivement le nombre plafond de têtes nucléaires, dont le gouvernement britannique avait en 2010 fixé le maximum à 180, à 260 têtes. Comment justifier cela ? Sans ambages, le document invoque à bon droit l’ « évolution de l’environnement sécuritaire, en ce compris le développement d’une série de menaces technologiques et doctrinales ». En un mot, l’heure n’est plus à baisser la garde.

Disons-le tout net : de la coupe aux lèvres il y a loin, et nos amis anglais ne nous en voudrons pas, au nom du pragmatisme qui est leur vraie idéologie, d’attendre que ces grandes intentions se matérialisent. Après tout, en fait de pouvoir de conviction et d’influence, oserions-nous dire de marketing, les britanniques sont des maîtres. Et en matière militaire, au-delà des effets d’annonces, la violence des coupes budgétaires de ces dernières années a mis en évidence un impitoyable pragmatisme financier mettant à mal le marketing déclaratoire.

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Quoi qu’il en soit, la posture du Royaume-Uni, à peine parti de l’UE, se démarque spectaculairement de ses anciens partenaires européens. Qu’on en juge.

D’un côté, en matière de défense, on voit une UE engluée. Les appels répétés de la France, accentués depuis 2017, à ses partenaires, en faveur de la construction progressive d’une autonomie capacitaire des européens, même relative, restent largement lettre morte. La réalité, brutale, qu’il faut constater, c’est que la plupart des pays européens – c’est leur droit - s’estiment parfaitement couverts par le parapluie otanien, entendez américain et n’entendent pas faire plus d’efforts que cette communauté de destin « réduite aux acquêts ». L’UE, après avoir divisé par deux le maigre budget militaire prévu sur la période 2021-2027, sourde aux réalités sécuritaires, n’hésite pas, par la voix de sa plus haute juridiction, à remettre en cause l’organisation de nos armées en prétendant leur appliquer au forceps la directive sur le temps de travail (DTT). Ce faisant, l’UE risque de porter un lourd préjudice à nos forces armées, sans que les autorités françaises, leur émotion exprimée, ne prennent les moyens, une fois encore, de réaffirmer la souveraineté française face à des institutions européennes qui ne craignent pas de sortir du rôle que les traités européens eux-mêmes leur ont pourtant assigné. On pourrait continuer.

Il y a pire. Car s’il l’on peut concevoir certaines réserves de la part des européens, il faut bien constater que c’est au cœur de la relation franco-allemande que le ver s’est glissé. L’Allemagne ne déguise plus son rejet des idées françaises de souveraineté pour l’UE. Elle accumule les déclarations vexatoires, tantôt sur la place de la France au Conseil de sécurité, tantôt sur l’arme nucléaire française. Pas une semaine sans que les outrances allemandes ne mettent en péril les fragiles coopérations industrielles esquissées au cours des dernières années. Si la liste est bien plus longue, l’on pourrait parler du char de combat, du drone MALE, ou du projet d’avion de combat européen dont il est un secret de Polichinelle qu’il est proche d’un échec irrémédiable.

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De l’autre côté de la Manche que voit-on ? Un pays qui, à nouveau pleinement responsable de son destin, comptable pour lui-même de ses réussites et échecs futurs, opère une double révolution intellectuelle. La première, la plus essentielle, c’est la compréhension de la dangerosité du monde présent et futur. Alors que l’UE reste enferrée dans la gangue des dividendes de la paix post-1989 et dans ses prophéties avortées d’une prospérité porteuse de paix, qu’elle continue – même si elle s’en défend mollement – de se rêver une grande Suisse dans une société internationale de paix et de coopération, qu’elle gaspille son énergie dans des combats idéologiques parfois contre ses propres membres, le Royaume-Uni regarde le monde tel qu’il est : un monde de carnivores, dans lequel, sans la force, les valeurs et la civilisation ne tiennent pas. La seconde révolution, c’est l’affirmation de cette évidence, qui tient d’ailleurs au titre même de ce document « The Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy » : les questions de souveraineté, de défense, de politique étrangère et de développement économique ne sont pas disjointes. Elles sont les facettes d’une même pièce. L’UE, projet économique, s’ingénie – mais une mue est-elle possible tant c’est son ADN ? – à ne pas comprendre que l’économie, le diplomatique, le militaire ne vont pas les uns sans les autres. Et qu’à terme, si elle ne sait pas se défendre, elle vivra comme les autres le lui imposeront.

C’est dire, en définitive, combien le Royaume-Uni, par la posture qu’il assume, tire pour les européens la sonnette d’alarme. Particulièrement pour la France, qui tout à une obstination européenne que ses partenaires regardent comme un cavalier seul, perd de vue l’essentiel : maintenant que le Royaume-Uni a clairement changé de posture, la France, malgré ses atouts militaires et la profondeur de son histoire, devient le seul des cinq membres du Conseil de sécurité des Nations Unies à refuser de regarder la violence du monde telle qu’elle est.

Bruno Alomar, auditeur à la 68 em session « politique de défense » de l’IHEDN

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