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Une nouvelle définition du résultat des entreprises ne pourrait-elle pas réconcilier capital et travail ?
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Réconciliation

Sans capital, pas d’entreprise et sans entreprise pas d’emplois ! Il paraît donc impératif, indispensable de réconcilier le capital et le travail et ne plus considérer les bénéfices réalisés par les entreprises et les dividendes distribués comme de « l’argent volé aux salariés ».

Janin  Audas

Janin Audas

Janin Audas est Vice-président d’honneur en charge des finances du Mouvement ETHIC

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Le résultat doit rémunérer le capital investi ainsi que le risque de perte ; en revanche le bénéfice ne doit plus être entièrement appréhendé par les actionnaires. Une redéfinition du contrat de société permettrait d’institutionaliser la notion de partage. Cet article a pour objet de lancer un débat sur une révision du mode de détermination du résultat des entreprises en vue de sa répartition.

En 1959, le Général De Gaulle avait initié « la participation des salariés aux fruits de l’expansion » ; une importante réforme destinée, à ses yeux, à réconcilier le travail et le capital. D’abord facultatif, puis obligatoire pour les entreprises de plus de 100 salariés en 1967, ce seuil a été ramené à 50 salariés en 1990. Parallèlement, l’intéressement des salariés s’est également développé, essentiellement grâce aux avantages sociaux et fiscaux qui l’accompagnaient.

On aurait pu espérer que la loi sur la participation de 1959  ferait évoluer les esprits et permettrait une meilleure connaissance des réalités économiques de l’entreprise mais en vain.

Depuis, aucune initiative significative n’a été prise pour une redéfinition de la rémunération des différents facteurs de production. Une tentative de modification des règles de partage du résultat fut entreprise sous la mandature de Nicolas Sarkozy en vue d’imposer une répartition du bénéfice par tiers : 1/3 pour les actionnaires, 1/3 pour les salariés et 1/3 pour l’investissement. Posée en ces termes, cette approche idéologique ne pouvait prospérer faute d’une analyse économique réaliste.

Rappelons-nous les diatribes contre le capital : « Aujourd’hui on peut s’enrichir en dormant, il suffit d’être propriétaire… et de regarder le temps passer» déclarait François Mitterrand, « La bourse ? J’en ai rien à cirer » lancé par Edith Cresson ou dernièrement, lors de la campagne aux élections présidentielles de 2012 « Mon véritable adversaire, c’est la finance » annoncé  par François Hollande. Ce n’est pas avec de tels discours que l’on peut réconcilier le travail et le capital. 

Depuis, les choses ont évolué et Emmanuel Macron a clairement pris position pour une coopération loyale entre le travail et le capital et la loi Pacte vise à relancer l’intéressement des salariés aux résultats des entreprises. Préalablement, il est nécessaire de convaincre la majorité des Français que, sans capital investi, il n’y a pas de travail.

L’initiative est un des facteurs de production

Pour fonctionner, une entreprise, quelles que soient son activité et sa taille, a besoin de tous les facteurs de production : le capital,le travail (y compris la compétence) et, pour certaines activités, des matières premières. Nous considérons qu’il y a lieu d’ajouter aux facteurs de production traditionnels, l’initiative (ou l’esprit d’entreprendre), facteur déclencheur sans lequel les autres facteurs de production mis en commun ne constituent pas « une entreprise ».

Si la notion de travail est relativement bien appréhendée par l’ensemble de la population, le capital est encore souvent considéré comme un moyen « d’exploitation » du travail, sentiment souvent justifié au 19e siècle mais qui aurait dû s’estomper au fur et à mesure de l’adoption des lois de protection des travailleurs au cours du 20e siècle.

Le capital investi dans une entreprise est le premier moyen de son financement pour acquérir les biens et services nécessaires à son activité et à son développement (investissements matériels et immatériels et besoin en fonds de roulement).

Quant à l’initiative, elle résulte, soit de la prise de risques des entrepreneurs, (qui cumulent capital et initiative), soit du recrutement de managers chargés de développer l’activité à partir d’un capital mis à leur disposition. On observe qu’un « mix » (entrepreneur/dirigeant et capital) est de plus en plus  réalisé par les « nouveaux entrepreneurs » et leurs start-up.

Les dirigeants, ou managers, se distinguent donc des salariés, mais cette distinction devient de moins en moins nette, particulièrement avec les cadres, chargés de mettre en œuvre la stratégie définie par la direction. En réalité, tous les acteurs participent à la vie de l’entreprise et à son développement ; c’est ce qui peut légitimer un partage du profit.

Jusqu’à ce jour, on constate une prédominance du capital sur le travail et sur l’initiative. Le travail est rémunéré sous forme de salaires, d’honoraires, de commissions, de rémunérations des sous-traitants, ou de prestations incluses dans les prix d’achat des biens et services utilisés par l’entreprise. L’initiative des dirigeants est souvent rémunérée sous forme de salaires et par un intéressement généralement calculé sur la réalisation d’objectifs préalablement définis. Le niveau de cette rémunération fait débat, aujourd’hui, sous le vocable de « rémunération des patrons ».

On peut également considérer qu’économiquement la participation des salariés rémunère l’initiative collective des salariés et l’intéressement, leur initiative individuelle.

Cependant, avant de proposer de répartir le profit, il convient de s’entendre sur la définition de ce qui peut être réparti.

La notion de résultat et de sa captation

L’article 1832 du code civil définit ainsi la société « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Le contrat de société peut donc être résumé en une mise en commun de moyens (le capital) en vue de se partager un bénéfice. Ainsi, la loi rend légitime la recherche du profit et l’appropriation de la totalité du résultat (bénéfice ou perte) par les associés ou actionnaires.

Le résultat peut être défini comme « ce qui reste après déduction des charges envers les tiers et l’amortissement des investissements » ; en d’autres termes, cela signifie que le capital récupère la totalité des profits ou des pertes, quelle qu’en soit l’importance. Ceci était fondé à une époque où le capital et les investisseurs étaient rares, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Cette conception du résultat entièrement alloué au capital se retrouve naturellement dans le mode de détermination du résultat comptable. En effet, le résultat comptable se calcule en déduisant des produits : le coût des achats et charges externes, les salaires et charges, les impôts et taxes, les frais financiers, les amortissements, l’intéressement et la participation des salariés. Le résultat est donc déterminé après déduction du coût du travail, du coût de l’initiative, du coût des capitaux empruntés mais avant le coût des capitaux mis à la disposition de l’entreprise par ses actionnaires. De ce résultat, l’Etat en récupère une part, le solde étant entièrement attribué aux actionnaires en rémunération du capital investi et du risque lié à l’investissement. Les actionnaires peuvent le réinvestir dans la société et/ou le distribuer.

Selon ce mode de calcul, un résultat apparemment bénéficiaire peut, économiquement être déficitaire. 

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Illustration :

Une entreprise qui ferait 3 000 K€ de bénéfice net et qui aurait 100 000 K€ de capitaux propres serait en réalité déficitaire de 2 000 K€ si l’on calculait le coût de l’argent investi sur la base de 5% (100.000 x 5% = 5.000).

Pour un bénéfice de 10.000 K€, le profit réel serait ramené à 5 000 K€.

Nb. Le taux de 5% retenu est celui appliqué actuellement pour le calcul de la participation des salariés.

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Proposition pour une nouvelle définition du résultat

Un nouveau concept devrait aujourd’hui pouvoir être  mis en place. En effet, il semblerait plus juste de calculer le résultat d’une entreprise après déduction du coût du capital investi, c'est-à-dire après la rémunération, au prix du marché, du montant des capitaux propres (capital + primes liées au capital + réserves).

Par le passé, il existait une notion proche, celle du premier dividende qui se calculait sur le montant du capital social, mais il n’était pas déduit du bénéfice de la société et constituait la première opération d’affectation du résultat. Le solde pouvait être mis en réserves ou distribué aux actionnaires sous l’appellation de « superdividende ». Cette distribution se faisait généralement selon les mêmes modalités que le premier dividende, ce qui explique la fusion des deux notions.

Cette notion est devenue facultative et le premier dividende est généralement fixé par les statuts.

Le principe de premier dividende devrait être repris pour rémunérer le capital investi et comptabilisé dans les charges de l’entreprise au même titre que la rémunération du travail et de l’initiative des dirigeants, celui-ci se calculant sur le montant des capitaux propres. En cas de résultat insuffisant pour rémunérer le capital investi, le premier dividende serait limité au montant du bénéfice. En cas de déficit, il serait nul. Le premier dividende pourrait ne pas être déductible pour déterminer le résultat fiscal (nb. les chefs d’entreprise sont habitués à ce que le résultat fiscal diffère du résultat comptable).

Le solde après ce premier dividende représenterait le bénéfice économique qu’il serait légitime de répartir entre :

  • l’Etat pour contribuer au financement des administrations, des infrastructures collectives et de la solidarité nationale ; c’est l’impôt sur les bénéfices ;
  • les associés ou actionnaires en rémunération du risque pris par les investisseurs (qui pourraient décider de laisser ce « dividende risque » en réserves pour réinvestir) ;
  • le solde, s’il en existe (que l’on peut qualifier de « super bénéfice ») étant réparti entre les acteurs de ce résultat, à savoir : le capital, l’initiative et le travail ; en d’autres termes, les actionnaires, les dirigeants et les salariés selon une quotité restant à définir (quotité prévue dans les statuts, formule de la participation, 1/3 chacun… ?). La question reste ouverte.

Les entreprises réalisant des déficits, feraient également ressortir la réalité économique de leur situation en comptabilisant le coût du capital investi (qu’elles ne pourraient, bien entendu, pas distribuer).

La détermination du résultat après la rémunération du capital investi devrait avoir un effet pédagogique sur la notion de bénéfice des entreprises, notamment auprès des salariés et de leurs représentants ou lors de la présentation des comptes au comité d’entreprise.

Il convient de rappeler que la formule de calcul de la participation des salariés retient déjà la notion de rémunération du capital puisque :

la participation = ½ (bénéfice – 5% des capitaux propres) x (salaires / valeur ajoutée)

que l’on peut traduire par « la proportion de salaires dans la valeur ajoutée appliquée à la moitié du bénéfice diminué de la rémunération des capitaux propres au taux de 5% ».

Cette présentation du « résultat net de rémunération du capital » retirerait un argument à certains acteurs de la vie sociale (notamment les anticapitalistes), qui n’hésitent pas à s’indigner « des milliards de profits » réalisés par telle grande entreprise sans s’interroger sur la réalité économique du résultat et ce que devrait être la juste rémunération des investisseurs.

Cela aurait également le mérite d’éclairer tous les acteurs économiques de la réelle performance des entreprises, y compris nombre de chefs d’entreprise qui n’appréhendent pas spontanément le coût du capital investi dans l’appréciation de leur performance.

Admettre en charges financières la rémunération du capital investi avant de calculer le résultat comptable d’une entreprise présenterait l’avantage de dégager le profit réellement  réalisé par l’entreprise ce qui aurait un rôle pédagogique de montrer que le capital, le travail et l’initiative sont les trois ingrédients nécessaires pour qu’une entreprise fonctionne.

A l’heure où le Gouvernement souhaite relancer la participation et l’actionnariat salarié, ce débat mérite d’être lancé.

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